Eloge de l’intellectuel

Eloge de l’intellectuel

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Nous venons de perdre Guy Wagner, l’intellectuel luxembourgeois peut-être le plus complet de sa génération.

L’intellectuel, selon Sartre, c’est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Zola fut le premier intellectuel au sens moderne; de quoi se mêlait-il en lançant son fameux „J’accuse …!“ dans L’Aurore pour s’élever contre l’injustice faite à Dreyfus?

Mais Zola l’intellectuel dépassait Zola l’écrivain, comme d’autres penseurs, depuis, ont publiquement dépassé le cadre de leur métier pour alerter, incommoder, critiquer, combattre. Beaucoup d’intellectuels des années 30, naturellement opposés à Hitler et Mussolini, sont montés au front de guerre contre Franco, beaucoup d’intellectuels depuis 1960 sont descendus dans la rue contre l’apartheid, la guerre du Vietnam, les colonels grecs, Pinochet, les Bush; Guy Wagner, l’instituteur, le professeur, le directeur de théâtre, l’auteur, le critique, le créateur, le réalisateur, ce Monsieur Cent Mille Idées Culturelles était de toutes ces batailles-là et de tant d’autres! Comme l’émancipation de la femme, l’abolition de la peine de mort, la décriminalisation de l’avortement, le droit à l’euthanasie, la séparation des églises et de l’Etat, la justice sociale, et surtout, la paix universelle, batailles qu’il poursuivait sans relâche dans la presse aussi.

Ah! Guy et la presse! Ayant lâché le Wort catholique en 1969, après lui avoir donné des critiques culturelles, il s’est tourné en 1970 vers le Tageblatt pour y publier, depuis lors, comme électron libre, un curieux mélange de contributions souvent politico-culturelles, parfois carrément politiques.

Impossible de faire ici et maintenant l’inventaire de l’œuvre journalistique de Guy Wagner. Elle est éclectique et vaste et surtout, édifiante: cet homme qui fut un érudit comme il y en a peu, a infatigablement puisé dans les richesses de son savoir encyclopédique pour étayer ses commentaires, diatribes, critiques, essais, interviews et analyses. Chez lui, pas de méchanceté gratuite, mais des frappes méritées.

Une place particulière revient à kulturissimo, lancé par Guy Wagner comme le nouveau supplément culturel du Tageblatt, qui connut immédiatement un franc succès.

kulturissimo paraît régulièrement depuis 1992, imaginé, rassemblé, configuré, corrigé, mis en page pendant de nombreuses années par le couple Wagner, car en Ariel, sa femme, Guy avait trouvé la compagne-complice idéale, celle qui compensait ses faiblesses tout en stimulant ses forces.

Guy, l’intellectuel complet, homme de plume et homme d’action, tirait de la musique la force presque magique qui l’animait en toute circonstance. Il a découvert Theodorakis par hasard, dans un discobus belge: „Le grand enrichissement de ma vie“, dit-il. Le sublime Theodorakis qui serait parmi nous si son corps affaibli par la torture, les maladies et l’âge ne l’en avaient pas empêché, n’a sans doute pas connu d’admirateur, de serviteur, d’allié plus fidèle que Guy Wagner, pour lequel il était l’archétype, ou peut-être le prototype, de l’intellectuel contemporain. Le compositeur souvent génial, le courageux militant et combattant politique, l’adversaire indomptable de tout régime totalitaire ou faussement démocratique correspond à l’image que Guy Wagner se faisait d’un homme engagé pour la liberté, l’émancipation, la justice et la solidarité.

Oui, Ami, nous écouterons Theodorakis et Mahler et Mozart, nous te relirons et nous ne t’oublierons pas.