ForumElections du 9 juin: l’Europe que nous voulons (2e partie)

Forum / Elections du 9 juin: l’Europe que nous voulons (2e partie)
 Photo: dpa/AP/Zurab Tsertsvadze

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Les élections européennes pointent à l’horizon. Au vu des déclarations à l’emporte-pièce qui se multiplient un peu partout et des sondages d’opinion qui prédisent un avenir radieux aux adversaires de l’Europe, il semble indiqué de rappeler, une fois n’est pas coutume, certains fondamentaux au sujet du pourquoi, du comment, du quand, de la construction européenne. La première partie est parue dans l’édition du 15 mai 2024.

4) Demain: quels enjeux?

Oui, il existe des convictions, des choix plus justes que d’autres. Le recul des idéologies ne signifie pas l’effondrement des idées. Le seul pragmatisme, prôné par des partis politiques de droite comme action politique en soi, tournera rapidement à une forme non désirée d’opportunisme permanent. Et la lutte contre les réglementations et autres simplifications administratives, le nouveau credo de la droite, n’a jamais remplacé des contenus politiques.

Tout en tournant le dos aux vieux clivages que débitent les marchands de haine et les professionnels de l’irrationnel, il va falloir nous battre pour les vrais enjeux de demain. Citons notamment:

– promouvoir une éducation tout au long de la vie;

– organiser la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique, en mettant en œuvre le „green deal“ européen dans sa totalité, en contrant les oppositions diverses tout en restant flexibles, davantage dirigées contre les procédures que contre le fond, sans courber l’échine au premier vent de face, affronter les lobbies, nationales ou internationales;

– concevoir de nouveaux droits civiques, notamment de vote pour les jeunes à partir de 16 ans, mais également de nouveaux droits de la personne humaine: respirer un air pur, avoir des logements abordables, avoir l’accès à l’eau, manger des comestibles non contaminés, ce qui sera difficile à réaliser sans contraintes et sans réglementations;

– fonder une „économie partenaire“ qui n’oppose plus artificiellement ce qui est public et ce qui est privé, mais qui fasse le choix de ce qui fonctionne;

– venir en aide à ceux qui connaissent des problèmes d’existence en sollicitant les nantis, ceux qui sont favorisés par la naissance ou par la fortune (merci Papa!);

– renforcer la solidarité entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, capable de combler les anciens fossés et n’ouvrant pas de nouvelles fractures, et privilégier nos relations dans l’espace euro-méditerranéen;

– proposer de nouvelles formes de fonctionnement démocratique pour faire participer plus de citoyens européens aux décisions politiques et aux élections, à condition d’être détenteur d’une des nationalités de l’Union européenne;

– obtenir enfin que, dans une société qui, globalement, ne cesse de s’enrichir, la pauvreté soit moins répandue, les mendiants plus respectés, mais également la richesse mieux répartie, l’emploi plus abondant, la santé prise en compte différemment, le travail partagé autrement;

– prendre en compte le nombre de plus en plus grand de personnes plus âgées, les inégalités entre hommes et femmes qui perdurent.

Soyons fiers de l’immense chemin parcouru

Demain, dans tous les pays européens la politique devra surmonter ces défis et certainement d’autres pour réussir l’examen d’entrée dans un monde nouveau et une Europe nouvelle, plus justes. Les élections européennes de juin 2024 doivent également être l’occasion d’un examen de conscience.

Ne soyons pas des citoyens négatifs, dubitatifs, peureux, hésitants. Le verre de l’Europe doit être vu comme étant plutôt rempli de moitié que de moitié vide. Soyons également fiers de l’immense chemin parcouru.

Comme Paul Valéry l’avait déjà noté en son temps: „L’Europe n’a pas la politique de sa pensée. La principale source de faiblesse est son incapacité à constituer un corps politique uni, doté d’institutions à la fois fortes et légitimes, doté de moyens à la hauteur de ses ambitions.“

Or la faute n’incombe pas seulement aux gouvernements des Etats européens, bien au contraire. Au niveau des élites, des hauts fonctionnaires, des chefs d’entreprises des grands groupes européens, un sentiment commun d’appartenance, d’identité, de destin commun, s’est développé. Mais ceux-ci n’ont pas su ou voulu le répandre dans les masses de leurs salariés et des citoyens lambda ou n’ont jamais trouvé le discours adéquat ou, pire, ont souvent considéré le(s) peuple(s) comme (des) ignare(s) et l’Europe comme leur chasse gardée.

 Photo: dpa/Arne Immanuel Bänsch

5) Demain, quelle Europe?

Plusieurs schémas différents, plusieurs cas de figure peuvent se dessiner pour l’Europe de demain.

– Pour certains, l’Europe est déjà et demeurera une grande puissance, d’un type nouveau, moins capable d’action que les autres grandes puissances déjà évoquées dans ce texte, mais avec laquelle il faudra néanmoins compter. Trop puissants pour autoriser une dislocation, les intérêts communs ne le sont pas assez pour permettre une fédéralisation, même minimale, même souple.

– Une autre hypothèse consiste dans une sorte de dilution en un vaste espace d’échanges, largement ouvert au reste du monde, très inégalitaire et sans réelle personnalité ou volonté propre. C’est le modèle longtemps privilégié par les Anglais, mais depuis le Brexit, cette possibilité, heureusement, est tombée en désuétude. De toute façon, il ne faut pas réduire le monde à un seul marché.

– La dernière hypothèse, celle qui est privilégiée par l’auteur de ces lignes, est celle d’une nouvelle prise de conscience qui est déjà favorisée par l’introduction de la monnaie commune, par la nécessité non seulement de faire face à la mondialisation, mais également d’en tirer profit pour enfin s’attaquer ensemble et solidairement au fléau persistant du chômage, de l’exclusion et de la pauvreté.

La voie de l’unité dans la diversité et dans la liberté

Alors, définitivement victorieuse de ses haines, de ses peurs, de ses timidités, l’Europe inventerait une forme politique nouvelle et à sa mesure, une grande démocratie plurinationale, respectueuse des identités des peuples et des nations, mais néanmoins constituée d’un pouvoir politique fort.

Ayant à leur actif ce succès fantastique, les Européens auraient montré à l’humanité tout entière la voie de sa survie, sinon de son progrès, la voie de l’unité dans la diversité et dans la liberté. Pourquoi n’aurions-nous pas le droit de rêver un peu et de transformer, plus tard, ce rêve en réalité? N’est-ce pas aujourd’hui l’absence d’idéal qui fait le plus défaut à la politique? Et à l’Europe? En tout cas cette dernière en a un besoin pressant.

6) Les institutions européennes

Plus que jamais, il s’avère que les nations d’Europe n’ont désormais d’avenir qu’à travers leur union. Dans ce contexte, le rôle des institutions européennes est certes important, mais ne doit pas constituer l’unique préoccupation. Les aficionados de l’Europe, surtout au niveau de ses hauts fonctionnaires, peuvent passer des heures et des soirées à discuter institutions européennes. Lors des divers renouvellements du Traité européen, ce sujet a été largement évoqué à chaque fois.

Le rôle des institutions est non seulement de concilier les intérêts nationaux, mais également de favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance à une communauté pluriannuelle. Les institutions tirent leur force des sentiments d’identité commune qu’elles contribuent par ailleurs à développer. Cette allégeance civique à l’Europe communautaire est aujourd’hui la meilleure expression des patriotismes nationaux car sans l’Union européenne, toutes les nations qui la composent seraient condamnées à un avenir médiocre et peut-être tragique.

Pas besoin de préciser que la conscience claire et sans équivoque des exigences d’une démocratie pluriannuelle, condition d’émergence d’un corps politique européen, est encore très minoritaire. Ainsi, par exemple, on ne peut concevoir l’efficacité d’une communauté de 26 Etats aujourd’hui, et demain probablement 30, qui ne se conçoit pas sans un plus grand nombre de décisions prises à la majorité, et non à l’unanimité.

Or, là où il y a majorité, il y a forcément aussi minorité, et pour que la minorité s’incline et accepte les règles du jeu, elle doit avoir un fort sentiment d’appartenance et de participation.

Désormais il est évident que l’Europe ne se fera pas contre les peuples ni à leur insu. Si les gouvernements veulent réussir l’Union ou tout simplement la faire vivre, leur comportement devra changer aussi. Cette remarque s’applique également à d’autres pouvoirs de la société, les médias notamment.

Deux „nationalités“ complémentaires

Au lieu de vanter leur action au détriment de l’Union en analysant les négociations à Bruxelles comme autant de batailles menées contre les autres partenaires européens ou contre la Commission européenne, les hommes politiques devront valoriser davantage l’action de la Communauté, souligner d’abord les acquis communs avant de se prévaloir des quelques divergences.

Pour paraphraser l’ancien président américain JF Kennedy, les dirigeants européens pourraient répéter le mot d’ordre suivant, valable pour tout citoyen européen, décideurs divers inclus: „Ne vous demandez pas ce que l’Europe peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour l’Europe.“

Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain.

Jean Monnet, haut fonctionnaire français et l'un des „pères de l’Europe“

7) Besoin d’une nouvelle forme de patriotisme?

Sans une forme de patriotisme européen, il n’y aura pas d’Europe vraiment unie. Il devra être le complément d’un patriotisme national, accompagné d’une éducation civique européenne. Nous Européens devrons être conscients du fait que nous aurons tous deux (voire trois) „nationalités“ complémentaires: la luxembourgeoise ET la „nationalité“ européenne. Et dans une société multinationale comme la nôtre, doubles nationalités obligent: une ou deux nationalités propres à chacun et une nationalité commune à tous.

Pour le dessert, donnons la parole à deux éminentes personnalités françaises, la première étant considérée comme étant un écrivain-phare du XIXe siècle et la deuxième, généralement considérée comme l’architecte de la construction européenne. Tous les deux avaient en commun une certaine vision de l’Europe et une capacité à penser l’après-demain.

Citons donc d’abord Victor Hugo, qui écrivait dans „Les Burgraves“: „Il y a aujourd’hui une nationalité européenne, comme il y avait, au temps d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, une nationalité grecque.“

Et puis Jean Monnet, LE grand visionnaire européen qui écrivait à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale: „Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain.“

Méditons ces sages paroles au moment de faire des choix dans l’isoloir et de participer ainsi à la définition des contours de l’Europe de demain.

Il n’y a pas d’alternative à la construction européenne pour le Luxembourg. Notre avenir, notre bien-être, notre souveraineté, partagée avec d’autres, y sont étroitement liés …

Ne croyez pas les saltimbanques qui vous racontent des chimères …

8) Ne marquez pas contre votre propre camp!

Et surtout ne suivez pas les illusionnistes qui veulent laver l’Union européenne à 90 degrés pour lui conférer une taille plus petite, moins forte, moins souveraine, moins protégée. Une prise de pouvoir de ces personnages, ces tristes sires, serait synonyme d’aventure et de désillusions, d’appauvrissement et de plus de chômage, de stand still définitif. L’Europe sortirait durablement affaiblie par un tel cas de figure. Jacques Delors, autre grand Européen devant l’éternel, n’a eu de cesse de comparer l’Europe à un vélo qui ne reste en équilibre, disait-il, que s’il avance.

Donc un recul ou une crise majeure signifierait sa mort cérébrale.

Et dans ce cas, il sera trop tard, il n’y aura pas de deuxième chance, il n’y aura pas de marche arrière …

Réfléchissez-y avant d’entrer dans l’isoloir. Et, surtout, ne faites pas n’importe quoi, ne vous laissez pas guider par des coups de bluff, des coups de menton, des préjugés, des promesses impossibles à tenir!

Et méfiez-vous des marchands de sable qui vous promettent monts et merveilles avec moins d’Europe et plus de nationalisme. Ils ne recherchent que leur (petit) profit politique à très court terme. Ils se foutent de votre sort comme de l’an quarante.

Ne marquez pas de but contre votre propre camp! N’affaiblissez pas l’Union européenne!

Vous risquez de vous affaiblir vous-mêmes!

René Kollwelter est un ancien député et conseiller d’Etat
René Kollwelter est un ancien député et conseiller d’Etat