LuxFilmFestMetacinéma: „Careless Crime“ („Jenayat-e bi deghat“) de Shahram Mokri

LuxFilmFest / Metacinéma: „Careless Crime“ („Jenayat-e bi deghat“) de Shahram Mokri

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„Careless Crime“ est une ode au cinéma, dans toutes ses formes et manifestations: le septième art que l’on tourne, que l’on projette, dont on discute, sur lequel on théorise, que l’on encense, que l’on abhorre … le cinéma comme reflet du monde, outil de provocation, feu aux poudres de la révolution.

Le film de Shahram Mokri est d’une richesse rare et se construit sur une mise en parallèle de deux espaces temps. D’un côté, des personnages et destins qui se croisent en 2020 dans une ville d’Iran autour d’un lieu précis – un cinéma d’art et d’essai où est projeté le film „Careless Crime“.  De l’autre, ce film-même, dans lequel on plonge et dont on suit le récit. Il raconte l’histoire d’un missile, découvert dans la campagne iranienne, dont on ne sait d’où il provient, ni à qui il était destiné, ni pourquoi il n’a pas explosé. La mise en abyme se creuse lorsque les protagonistes du film se mettent à discuter du long-métrage „Les Cerfs“.

Ce film de Masoud Kimiai a en effet une importance historique, politique et symbolique pour l’Iran. C’est lui qui était projeté lorsque, en 1978, le cinéma Rex de la petite ville d’Abadan fut incendié par quatre terroristes islamistes. Un événement qui contribua à provoquer la Révolution islamiste et à placer l’ayatollah Khomeini à la tête du pays.

Un tel point de départ pourrait paraître obscur et confus. Mais le film de Shahram Mokri ne l’est pas: nous suivons Takbali, un pyromane toxicomane qui s’allie à trois malfrats, déterminés à mettre le feu au cinéma où est projeté „Careless Crime“, un film qu’ils considèrent comme „gauchiste et militant“.

Chronique d’un crime attendu

La façon dont Mokri filme et narre son histoire rappelle celle de Gus Van Sant dans „Elephant“: le récit se construit autour d’un crime annoncé et attendu, et au sein d’un lieu central – le cinéma – où s’entrecroisent les destins de nombreux personnages.

Le réalisateur se meut dans son récit, dans l’espace et la temporalité: on plonge dans une scène, pour la revivre plus tard, sous un autre angle ou en suivant un personnage différent. On reconstitue ainsi les morceaux d’un puzzle qui fait ici se confondre les époques, mélange Histoire et fiction, recrée des situations passées dans un présent angoissant, tout en faisant grandir une tension significative.

Non content de rejouer ainsi certaines scènes pour leur conférer une puissance et un sens nouveau, Mokri avance toujours plus profondément dans la mise en abyme, jusqu’à mettre en scène un film dans un film dans un film dans un film.

Ce qui est admirable, c’est qu’il parvient à ne pas nous perdre, mais à provoquer en nous de nouvelles questions et réflexions – sur le cinéma, sur sa place dans le monde intellectuel, politique, artistique ou historique, mais également sur l’Iran et sur ce qui s’y joue aujourd’hui, par comparaison avec la période d’avant la Révolution, il y a plus de 40 ans.

Plus le film avance, plus Mokri s’octroie de liberté narrative, jusqu’à construire de véritables boucles de récit qui, en se répétant le temps d’un plan-séquence, offrent différents niveaux d’interprétation. En digne héritier de la culture et de l’art perse, il truffe son film de pensées et d’images poétiques, l’agrémente d’humour, passe par la forme du conte, avant de clore son morceau de bravoure par une brillante apothéose finale.

Dans la dernière scène, nous suivons Takbali dans les couloirs du cinéma bondé auquel il veut mettre le feu. L’homme avance, ébloui par les néons, vivante métaphore de l’aveuglement du fanatisme face aux Lumières de la „lanterne magique“. Le cadre est par moment intégralement envahi par cette lumière et l’image devient blanche, comme si la pellicule du film que nous regardons était elle-même en train de prendre feu, comme si le mal était fait, comme si l’intrigue, traversant époques et écrans, contaminait à présent le „Careless Crime“ de Mokri lui-même.

En compétition officielle.