Penser le coronavirusLa pub doit changer de message

Penser le coronavirus / La pub doit changer de message
 Photo: AFP/Oli Scarff

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Professeure de lettres et de philisophie de l’université de Salerno, à la retraite, Paola Capone souligne comment la publicité semble anachronique en période de pandémie, et fait face au défi de se réinventer pour épouser l’esprit des temps nouveaux. 

„Il nous attend sans aucun doute un monde très différent après le passage funeste du Covid-19. Pour l’instant, c’est encore un long voyage qui nous attend, dont l’unique certitude est que le futur ne pourra pas être reconstruit avec les schémas du passé. Et encore moins dans le domaine de la publicité. Dans ce domaine, les schémas du passé prenaient pour base une simplification du proverbe latin hic et nunc, du sens que, d’une manière légère, on lui attribuait. 

La locution latin hic et nunc signifie littéralement ici et maintenant: Dans son usage commun, elle indique un accomplissement, une question dont la résolution ne souffre aucun retard, un engagement qui, dans sa mise en oeuvre, ne peut être renvoyé pour aucun motif. Dans la langue latine, elle est souvent utilisée par qui est pressé·e, mais aussi par qui intime des ordres, pour souligner l’urgence et l’impérativité.

Hic et nunc, l’invitation à exploiter le présent, dans le monde antique est toujours associé aussi à l’incertitude du lendemain et à la certitude de la mort qui rappelle constamment l’impermanence des choses humaines, mais souvent la publicité a omis cette seconde partie

Paola Capone, historienne de l’art

Hic et nunc, l’invitation à exploiter le présent, dans le monde antique est toujours associé aussi à l’incertitude du lendemain et à la certitude de la mort qui rappelle constamment l’impermanence des choses humaines, mais souvent la publicité a omis cette seconde partie. Une campagne publicitaire lancée par Vodafone en 2006 démontre une stratégie de communication qui apparaît comme exemplaire de l’hic et nunc qui règne souverainement sur chaque publicité. L’appel ‚Life is now’ substituait tout ce qui entoure le consommateur apparaissant comme obsolète parce que l’élément central était Vodafone et non la personne à laquelle la publicité était adressée.

Ce changement devient en réalité une évolution: l’attention se déplace vers le client, s’étend à la vie avec le concept de ‚life empowerment’, à savoir une charge positive, un regain d’enthousiasme et de curiosité, pour vivre au mieux chaque moment: elle exprime en résumé un moyen important d’employer au mieux son temps, valeur fondamentale de la société moderne, et colporte les histoires de personnes communes qui doivent répandre autour d’eux, comme un virus, la vitalité et l’énergie de la nouvelle communication. Les protagonistes sont en effet des personnes réelles, engagées dans la vie quotidienne, qui ouvrent les portes à la vie, l’invitant à entrer. Un autre spot publicitaire de Vodafone de 2017, qui confirme et renforce le précédent, est accompagné de la devise ‚Le futur est extraordinaire. Prêt?’.

Messages obsolètes

Comment resituer la publicité dans ces paramètres après le Covid-19? Il semble déjà loin le 20 février 2020, jour de la nouvelle du patient 1 du coronavirus en Italie, comme ils semblent lointains les contenus de la publicité prise ici pour exemple. Il suffit de regarder la télé pour se rendre compte qu’il y a lieu de repenser et remoduler une série de messages créatifs, choix identitaires et positionnements qui, à la lumière de ce qui se passe, s’avèrent obsolètes. En un seul mois est survenu un phénomène pour le moins inattendu, dans la substance et dans les proportions, dont les conséquences, à de nombreux niveaux, ont des aspects encore peu définissables. La publicité, qui en général saisit d’abord le zeitgeist, a déjà pris diverses positions. En voilà quelques exemples.

Quelques campagnes publicitaires ont été momentanément bloquées, comme celles du secteur du voyage. D’autres liées à des activités commerciales du secteur alimentaire ont décidé de continuer à communiquer. Un exemple est Crodino, l’apéritif sans alcool, revenu avec un spot réalisé dans une période pré-coronavirus, dans lequel un gorille invite tout le monde à s’embrasser, qui, en période de distanciation sociale, a quelque chose de déchirant!

La bière Ceres, par contre, pour rester dans le mouvement, a créé une série de spots liés à la fermeture des bars et pubs, lieux de prédilection pour la consommation de bière; véhiculant un message de résilience, („Courage, l’Italie existe encore, même à bars fermés“) pour diffuser l’envie d’aller de l’avant et vivre comme une communauté dans une période délicate. Il y a aussi le cas de ces entreprises qui se sont retrouvées dans le flux des conversations et actualités et ont essayé d’en profiter par un message en temps réel: c’est le cas des pâtes De Cecco qui, après la diffusion de photos de supermarchés dévalisés de tous les types de pâtes sauf celles de type ‚penne lisce’, peu appréciée du consommateur moyen même dans les moments d’urgence, a créé une série de spots liés proposant une série de recettes qui valorisent ce type de pâtes. Parce que chaque occasion est bonne pour communiquer et soutenir les consommateurs, même les épidémies!

L’exemple publicitaire qui me semble le plus en ligne avec les prémices de ma réflexion est celui que BMW est déjà en train de véhiculer sur les réseaux sociaux. De l’hic et nunc, du ‚Life is now’, de ‚Le futur est extraordinaire. Prêt?’, sa campagne est devenue „Take some time off“. Bien que la raison d’être de la marque soit de se déplacer, son message est qu’il est désormais temps de s’arrêter et de se préparer à repartir … en achetant peut-être une BMW.

De nouvelles valeurs à défendre

Il sera intéressant d’observer comment les marques vont affronter l’après-virus. Evidemment, nous sortirons occis de la bataille contre le coronavirus mais nous aurons aussi un regard différent sur de nombreuses choses, et la publicité qui reflète, en bien comme en mal, le modèle économique, politique, culturel de l’époque, devra se réinventer. Un grand défi l’attend elle aussi.

Et nous, nous serons là à observer si et dans quelle mesure la publicité saura encore être capable d’établir un rapport fertile avec le nouveau présent: si et comment elle saura se renouveler, non tant dans les techniques que dans les contenus, si et comment elle pourra devenir un témoignage non superficiel, mais profond et digne de foi, des sentiments et des tensions des temps nouveaux, quelles visions du monde se reflèteront, à la manière d’un miroir, dans les messages publicitaires qui nous harcèlent de toutes parts.

L’espoir est que des concepts comme la soutenabilité, le respect de l’environnement, la responsabilité sociale, deviennent beaucoup moins des slogans à étaler, mais bien plus des valeurs à pratiquer, concrètement, au-delà de l’interprétation simpliste de l’actuel hic et nunc.“