FilmSauver l’amour: „Streams“ de Mehdi Hmili

Film / Sauver l’amour: „Streams“ de Mehdi Hmili
„Streams“ est une histoire d’amour entre une mère et son fils, au sein d’une société tunisienne gangrénée par le patriarcat et la masculinité toxique (C) Tarantula

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Après avoir fait sa première mondiale en compétition officielle au Festival du film de Locarno, „Streams“, second long-métrage de Medhi Hmili, co-produit par Tarantula au Luxembourg, sort au Grand-Duché.

Amel, mère de famille tunisienne, frotte un linge dans une bassine d’eau savonneuse. Une souris apparaît le long de l’un des murs du petit appartement, qui la fait s’interrompre en criant. Son fils, Moumen, hurle également. Elle le taquine: c’est elle, et non lui, grand gaillard de 17 ans, qui devrait être effarouchée par le petit animal. La souris disparue, mère et fils se laissent tomber sur un lit en riant. Moumen se blottit contre sa mère, comme un enfant.

De toute évidence, ces deux-là s’aiment d’un amour filial et maternel puissant. A tel point qu’Amel n’hésite pas à entrer dans la salle de bain lorsque Moumen y est, et à écarter le rideau de douche pour frotter le dos de son fils à l’aide d’un gant de crin. Mais lorsqu’elle remarque qu’il s’est fait percer les oreilles, la maternelle intimité cesse: les mœurs tunisiennes demeurent strictes et conservatrices. Amel n’approuve pas du tout le nouveau look efféminé adopté par son fils. En quelques minutes, les grandes thématiques du film sont tracées: „Streams“ est une viscérale histoire d’amour entre une mère et son fils, au sein d’une société tunisienne gangrénée par le patriarcat, le diktat des apparences, le poison des injustices, de la masculinité toxique, et de la corruption.

Chacun à leur manière, les personnages d’Amel et Moumen vont être confrontés à l’horreur de ces maux qui rongent la Tunisie d’après la révolution: condition de la femme dans une société où elle est réduite à être mère ou putain, marginalisation des queers condamnés aux abus et violences de toutes natures, corruption, criminalité, obscurantisme … Medhi Hmili connaît son pays et nous le donne à voir sans l’embellir ou l’adoucir. Ses personnages évoluent beaucoup la nuit, dans des décors baignés d’une lumière rose – night clubs, soirées underground, cabarets, rues désertes éclairées par la triste lumière des lampadaires.

Tandis qu’Amel, dont la vie a été marquée par une injuste et violente ignominie, cherche à retrouver son fils après avoir été séparé de lui pendant six mois; Moumen, de son côté, tente d’échapper à son existence en s’enfonçant dans la fête et la défonce. Mais sa nouvelle famille de queers est exposée aux pires des vautours et le jeune homme va subir les mêmes abus que sa mère. La beauté du chant du muezzin s’élève, tandis que nos personnages se débattent désespérément dans un piège dont les crocs de métal leur meurtrissent chaque jour davantage la chair.

Une interprétation délicate et subtile

Iheb Bouyahia qui interprète Moumen crève l’écran avec ses traits fins et bien dessinés, son regard profond qui laisse passer naturellement les émotions les plus profondes. Il y a quelque chose d’indompté chez ce talent encore brut, dont émane tantôt une violence encore contenue bien qu’à fleur de peau, tantôt une grande vulnérabilité. Afef Ben Mahmoud, qui joue Amel, offre elle aussi une interprétation délicate et subtile, et révèle une puissance insoupçonnée chez son personnage, malgré ses entraves.

Il faut dire que les différentes injustices auxquelles Amel fait face sont telles que l’on éprouve à plusieurs reprises l’envie fulgurante de la voir se rebeller violemment contre le système qui l’oppresse, la rabaisse, foule au pied ses droits les plus essentiels. Ce n’est pas qu’Amel reste passive, mais elle ne va pas jusqu’à ruer vraiment dans les brancards pour tout casser sur son passage. C’est peut-être précisément là ce qui fait la plus grande force du film de Mehdi Hmili: il nous place en effet, nous, spectateurs européens, face à notre désir rageur et frustré de voir les personnages se révolter, se venger, s’en sortir.

Mais Amel et Moumen connaissent leur pays aussi bien que Mehdi Hmili. Ils le subissent chaque jour et savent qu’il n’y a pas de réel salut possible, sans compromission de l’âme, de la dignité, des valeurs humaines les plus fondamentales. Cela est illustré de manière terrible par une scène dans laquelle Moumen sort en trombe d’une voiture, s’opposant avec force à un nouvel abus, avant de s’arrêter, comme saisie, figée, dans la rue, éclairée par une lumière sale et crue. Elle sait n’avoir en réalité pas le choix. Si elle veut retrouver son fils, elle va devoir céder. La violence, la corruption ont gagné. La société, l’individu a perdu. Il n’y a plus qu’à courber l’échine, sans oublier ce pour quoi on se fait ainsi violenter: pour tenter de sauver la seule chose qui nous reste et qui nous appartienne. L’amour.