Féminicides, écocidesDes crimes pas comme les autres

Féminicides, écocides / Des crimes pas comme les autres
Le terme féminicide est apparu sur les murs de la ville mais pas dans le Code pénal Photo: Editpress

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Des termes politiques peuvent-ils devenir des termes juridiques? C’est la question que pose le débat sur l’introduction des termes de féminicide et d’écocide dans le code pénal.

L’entrée d’un mot dans le code pénal survient toujours après son entrée dans le dictionnaire; le terme de féminicide est entré dans le Petit Robert en 2015, mais 2020 s’achèvera sans qu’il ait fait son entrée dans les jugements des tribunaux. Le terme d’écocide, déjà connu dans les années 70, attend toujours sa consécration juridique.

Un crime pas comme les autres

L’inscription d’un terme politique dans le code pénal est pour les mouvements sociaux l’obtention d’un nouvel outil, l’ultime peut-être, dans le combat qu’ils mènent au quotidien. Le terme de féminicide a d’abord fait une percée remarquable à la suite du mouvement „metoo“ à la fin de l’année 2017. Il souligne  la spécificité de meurtres perpétrés en raison du genre de la victime, et par là même supplanter ceux euphémisants de drame familial et de crime passionnel habituellement employés dans le champ médiatique. 

Dans un récent article paru dans la revue juridique Délibérée, l’association française d’observation des médias Acrimed  a comptabilisé quatre occurences du mot dans la presse française en 2003 contre plus de 2.000 en 2019 et constaté  que „l’initial décalage des médias par rapport au vocabulaire de la justice semble aujourd’hui s’inverser“. Désormais, ce sont les termes du code pénal qui semblent en retard sur les termes du débat public.

Le député „déi Lénk“ Marc Baum a souligné cette contradiction en décembre dernier à la fin d’une question parlementaire très dense qui entendait faire le tour des lacunes entourant la protection des femmes victimes de violence domestique.

La réponse commune des ministres de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Taina Bofferding, et de la Justice, Sam Tanson, sur l’officialisation du terme de féminicide a consterné le parti, comme il allait le faire savoir en avril dernier. „Une ‚suraggravation’ de l’infraction n’est pas opportune et ne présente aucun avantage concret“, rétorquaient les ministres. Pour cause, une loi de 2003 a déjà défini la cohabitation, et les relations familiales entre auteur et victime comme circonstances aggravantes des menaces, des coups et blessures volontaires, ainsi que du viol. Par exemple, pour des coups et blessures ayant causé la mort sans l’intention, la réclusion criminelle est portée de 20 à 30 ans (au lieu de cinq à dix ans). „Seul le meurtre et l’assassinat ne comportent pas de peine plus sévère, la sanction étant la réclusion à vie dans tous les cas.“ 

De la sorte, les ministres se sont méprises sur la portée d’une inscription du féminicide dans le code pénal.  „On ne parle pas simplement de punir mais aussi de prévenir, de faire prendre conscience qu’il s’agit d’une violence liée à des inégalités structurelles de genre. Cela va au-delà d’une question juridique“, explique Line Wies, attachée parlementaire et à ce titre membre de la plate-forme Journée internationale de la femme.

L’inscription au Code pénal est pensée dans une approche sociologique plutôt que juridique. „Quand on veut cerner un phénomène social, il faut commencer par le définir. Et en le définissant on se donne les moyens d’analyse, les catégories pour pouvoir, d’un point de vue juridique, le soutirer du reste de ce qu’on met dans les violences.“

C’est aussi une question de chiffres, qui pour l’heure proviennent d’interventions de police qui n’indiquent rien des circonstances des violences. „C’est tout un ensemble. Si on n’a pas de définition précise d’un phénomène, on ne peut pas faire d’enquête. Si on n’a pas d’enquête, on n’a pas de chiffre“, commente Line Wies. „Les termes d’homicide, parricide, infanticide existent aussi dans le Code pénal. Là c’est une spécificité. On montre qu’on essaie de faire une distinction, qu’il y a d’autres enjeux.“ 

L’objection qu’il serait difficile de faire la différence entre un féminicide et le meurtre d’une femme ne tient pas. „Une femme qui a été battue pendant des années et après meurt sous les coups de son compagnon, c’est un féminicide, car la femme meurt à cause de sa condition de femme dans la société. Une femme qui se fait violer dans la rue et qui meurt suite à ce viol, c’est aussi un féminicide“, explique Elodie (prénom modifié), une colleuse qui a fait fleurir sur les murs, un terme encore timidement utilisé dans le débat public et non reconnu dans la communication du gouvernement, dans sa version allemande (Femizid) comme française. 

Les contours flous de l’écocide

L’inscription d’un terme comme écocide dans le droit pénal est l’envers de l’inscription de principes comme le développement durable dans la Constitution. C’est une arme de dissuasion censée garantir l’effectivité d’une protection. Mais, cette revendication bute encore trop souvent sur des problèmes de définition et de mesure. En décembre 2019, une proposition de loi d’un député socialiste français qui voulait porter à 20 ans d’emprisonnement et de dix millions d’euros d’amende les dommages irréversibles, qualifiés d’écocide, portés à un écosystème „en toute connaissance des causes“ avait été rejetée. Au début du mois de juillet, la revendication a resurgi dans les conclusions de la Convention citoyenne sur le climat qui en a fait l’une de ses recommandations-phares. Elle entend instaurer de nouvelles formes de responsabilité, notamment pénales, pour apprécier la dangerosité d’une activité industrielle en s’appuyant sur les valeurs seuils déterminées et sur la définition de neuf limites planétaires.

Le professeur de droit Laurent Neyret a défini l’écocide comme „une atteinte systématique à la sûreté de la planète“. C’est à la lumière de cette définition que l’avocat spécialisé en droit de l’environnement, Thibaut Chevrier, doute de l’intérêt d’une telle innovation dans la législation luxembourgeoise. Le Code de l’environnement est un code volumineux, qui couvre toutes les domaines de la protection de l’environnement, en indiquant des dispositions pénales qui permettent de sanctionner l’auteur de la violation d’une règle de droit. Cela suffirait. „Il est — aux premiers abords — tentant d’envisager l’insertion d’une notion générale d’„écocide“ qui permettrait de regrouper sous un même texte les atteintes à l’environnement“, observe-t-il. „Toutefois, l’insertion de cette notion dans le Code pénal paraît ardue car elle est difficilement conciliable avec le principe de l’égalité des peines qui impose, pour sanctionner un comportement, un texte pénal précis et clair.“

Ainsi, dit-il, l’utilisation quotidienne d’un véhicule personnel pourrait tout aussi bien être considérée comme „une atteinte systématique à la sûreté de la planète“, dit-il. „Cette réflexion permet de caractériser les limites du Code pénal qui n’est pas un outil devant être manipulé pour prévenir, de manière générale, un comportement susceptible d’interprétation et ce alors qu’il existe déjà dans l’ordonnancement juridique des textes traitant avec précision — et en les distinguant selon leur gravité — les comportements pouvant être dangereux pour l’environnement.“ Citant les Lettres persanes de Montesquieu, il conclut: „Il faut se montrer prudent avec ces notions tendances et le fait de vouloir légiférer dessus à tout prix.“

Pour autant, la justice doit aussi savoir prendre en compte les nouvelles sensibilités de la société. Le débat ne fait que commencer.