Sous-marinsLa France ne décolère pas contre l’Australie … et Joe Biden

Sous-marins / La France ne décolère pas contre l’Australie … et Joe Biden
Le 11 février 2019, le premier ministre australien Scott Morrison (centre) assistait à la signature d’un accord sur un partenariat stratégique pour la fourniture de sous-marins français entre les ministres de la Défense Christopher Pyne (Australie) et Florence Parly (France)  Photo: AFP

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La décision de l’Australie de renoncer à la commande de douze sous-marins de dernière génération de type „Attack“ qu’elle avait passée à la France en 2016, pour leur préférer un modèle américain non encore précisé, mais qui sera, lui, à propulsion nucléaire, le tout par l’entremise du Royaume-Uni, n’en finit pas de susciter la colère officielle de Paris, qui a rappelé ses ambassadeurs à Washington et à Canberra.

Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, parle de „coup dans le dos de la part de pays alliés“, et assure que désormais „les relations de ces pays avec la France vont mal, très mal“. Il est d’autant plus enclin à se scandaliser du revirement australien que c’était lui qui, comme ministre de la Défense de François Hollande, avait voici cinq ans piloté les négociations et arraché l’accord face au puissant concurrent allemand TKMS – le contrat du siècle, disait-on – pour un montant qui était alors de 31 milliards d’euros, et que différents glissements monétaires et dérapages budgétaires ont fini par faire dépasser les 50 milliards.

La France a, dans cette crise, plusieurs raisons de fulminer, mais aussi de s’inquiéter. Sur le plan financier, tout d’abord, la perte est évidemment très importante, même si elle l’est en fait un peu moins qu’il n’y paraît: il avait en effet été prévu dans l’accord de 2016 que Naval Group, le champion français de la construction navale militaire, confierait à des entreprises australiennes la réalisation de la coque et des moteurs des submersibles, cependant que l’électronique de bord, ainsi que les torpilles et les missiles, seraient fournis par l’américain Lockheed Martin.

Reste qu’à Cherbourg, siège des chantiers de Naval Group (où s’étaient d’ailleurs installés plusieurs centaines de techniciens venus d’Australie), on redoute de voir le coût financier de cette annulation se doubler d’un coût social important, même si le carnet de commandes de l’entreprise doit permettre de limiter les dégâts sur ce terrain.

Humiliation et déception

Mais l’humiliation diplomatique est sans doute bien plus amèrement ressentie encore. D’abord, parce que la France se pique de disposer d’un savoir-faire reconnu en matière d’armements terrestres, aériens et navals. Les submersibles qu’elle devait livrer à l’Australie appartiennent justement à la série des derniers-nés de ses sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), si ce n’est que leur propulsion devait rester classique, c’est-à-dire diesel-électrique. Et cela à la demande … de l’Australie elle-même, qui, jusqu’à présent, se voulait résolument hostile à l’atome même civil, allant jusqu’à interdire ses ports aux navires à propulsion nucléaire.

Ensuite, Paris s’exaspère de ce qu’on y appelle désormais ouvertement la „duplicité“ australienne, bien au-delà de ce revirement sur la propulsion nucléaire. Personne, semble-t-il, n’a rien vu venir, même si le premier ministre de Canberra, Scott Morrison, assure qu’il avait prévenu ses interlocuteurs français. Mais c’est peut-être, en réalité, vis-à-vis de Joe Biden que l’irritation est la plus grande.

Et la déception aussi. Car à force de détester Donald Trump, on avait sans doute fini, en France, par se convaincre que son successeur, surtout flanqué d’un secrétaire d’État parfait francophone et francophile, Antony Blinken, renouerait le lien transatlantique et pas seulement anglo-saxon. Or, cette affaire – survenant après un retrait d’Afghanistan géré sans aucune concertation avec ses alliés, dont la France – illustre de manière spectaculaire le renforcement de la coopération stratégique entre les trois pays concernés, au détriment d’un autre vieux partenaire continental comme l’Hexagone.

Naissance de l’AUKUS

Ces trois pays ont même décidé de former une structure tripartite déjà baptisée d’un acronyme: AUKUS, pour Australia, United Kingdom, United States. Ce qui pose évidemment la question de l’avenir de l’OTAN, au moins sous sa forme actuelle, souligne-t-on au Quai d’Orsay. Certes, l’existence d’un lien anglo-américain privilégié n’a rien d’une nouveauté. Et l’on comprend, à Paris, que le Brexit ait achevé de pousser Londres dans les bras de Washington, même s’il reste à préciser le rôle joué par Boris Johnson dans cette affaire des sous-marins, à travers, bien sûr, les structures du Commonwealth.

Mais le partenariat très fort envisagé par les deux pays, auxquels s’adjoindra l’Australie – et sans doute, demain, le Canada et la Nouvelle-Zélande – semble tout de même assez difficilement compatible avec le caractère collectif de l’Alliance atlantique, déjà mis à mal ces dernières années par différentes autres crises.

Enfin, le nouvel axe américano-australien pourrait bien fragiliser les positions et l’influence de la France dans la zone indo-pacifique, où elle a des territoires, donc des eaux territoriales et des bases. Selon l’analyse française, c’est pour faire face aux appétits chinois dans la région que les Etats-Unis ont convaincu l’Australie qu’elle avait besoin de sous-marins non plus classiques et français, mais nucléaires … et américains (alors que la France aurait pu lui en fournir, transferts de technologie inclus). Et entre un contrat français et une alliance stratégique américaine, Canberra a vite choisi – au grand dam de Paris.