Face au confinement„Nommer ce qui se passe en nous, sans être agressif“

Face au confinement / „Nommer ce qui se passe en nous, sans être agressif“
„En comprenant l’humain qu’est dedans, on comprend l’humain qui est devant“, explique le psychothérapeute Thomas d'Ansembourg Photo: Thomas d'Ansembourg

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Le psychothérapeute et formateur en communication non violente (CNV) Thomas d’Ansembourg voit dans la pandémie une chance de se poser les vraies questions et y apporter une réponse soucieuse des sentiments de chacun, sur un plan individuel comme sociétal.

A l’heure où nous tournons en rond dans un espace confiné, limité par sa taille, les seuls nouveaux espaces à défricher sont sans doute intérieurs. L’absence de sollicitations extérieures qu’impose la pandémie laisse le temps de s’y plonger. Les tensions au sein du foyer peuvent l’exiger. Sur cette voie, la communication non-violente est un guide à même d’aider l’individu à reconnaître ses émotions, à détecter les besoins qui s’y terrent, pour mieux formuler la demande qui permet leur satisfaction. En proposant d’abandonner le „tu qui tue“, pour substituer un „je“ qui permet en suite le „nous“, elle est ainsi à même d’aider à la pacification des êtres humains et de leurs relations sociales.

C’est ce qu’explique inlassablement le psychothérapeute Thomas d’Ansembourg depuis la parution en 2001 de „Cessez d’être gentil, soyez vrai“, publié désormais en 26 langues, suivi depuis par plusieurs ouvrages qui soulignent l’intérêt d’une communication non-violente et consciente. Comme les épidémies ont par le passé généralisé les pratiques d’hygiène physique, le psychothérapeute pense que la pandémie en cours pourrait dans les années sinon les mois qui viennent conduire à la généralisation de rituels d’hygiènes psychiques. „Nous le ferons avec la même évidence que, aujourd’hui, plus personne ne sort de chez soi sans s’être lavé ni brossé les dents“, parie-t-il. Entretien.

Tageblatt: De quelle manière la communication non violente CNV peut-elle être bénéfique en période de confinement?

Thomas d’Ansembourg: Les premiers bénéficiaires d’une communication non violente sont nous-mêmes. Apprendre à communiquer avec l’être que nous sommes, avec le premier humain dont nous avons la charge, qui est nous, de manière non violente, apporte un énorme bénéfice d’écoute, d’attention, d’encouragement, de soutien. C’est la première appartenance dont nous avons besoin. Est-ce que je m’appartiens? Suis-je au milieu de moi-même ou suis-je, au contraire, en exil de moi-même? Beaucoup de gens vivent loin d’eux-mêmes. Donc pratiquer cette approche d’écoute, de compréhension, vis-à-vis de soi, est une première clé. C’est de l’auto-empathie.

Du fait de cette meilleure compréhension de l’humain en moi, quand je comprends mes tristesses, colères, désarrois et passages à vide, j’ai les clés pour mieux comprendre qui est l’humain devant moi. En comprenant l’humain qu’est dedans, on comprend l’humain qui est devant. C’est un outil extrêmement bénéfique pour améliorer, affiner la relation, mais aussi élever notre niveau de conscience, être au-delà de l’agitation de nos émotions.

Beaucoup de gens, en ces périodes de confinement, sont très agités par les émotions, comme s’ils restaient en surface d’eux-mêmes. Au moindre coup de vent, il y a des vaguelettes et ça circule dans tous les sens, c’est très fatigant. Ce que nous devons apprendre, c’est de descendre dans un courant de fond, beaucoup plus stable, qui observe les moments d’émotion mais sans en être submergé. C’est en ça que la communication non violente est un outil très précieux.

Dans cet enfermement, comment se rendre compte de ce que vous appelez cet enfer-mement? Quelles questions se poser?

Je recommanderais de se prendre régulièrement dans la journée, au moins trois ou quatre fois, un temps d’arrêt sur soi, pour s’écouter et tenter de se comprendre, écouter les pensées qui passent, qui peuvent être agressives vis-à-vis de l’autre, écouter derrière ces pensées les sentiments, la colère, le dépit, le ras-le-bol, qui peuvent survenir. Ecouter ce que ces sentiments disent: besoin de paix, de calme, de silence, d’espace, de retrouver sa bulle. Que disent de moi ces sentiments? Faire en sorte de pouvoir envisager, même si on est confinés, de mettre en place ces besoins-là. Si j’ai besoin de paix, je peux m’organiser dans ma famille pour que chacun ait sa demi-heure d’isolement dans une chambre pour avoir cette paix. Si j’ai besoin d’avoir ma bulle, dans laquelle plus personne ne me parle pendant un moment, je peux organiser cela, en parler simplement et le demander, plutôt que d’engueuler l’autre quand je ne l’ai pas. Nous pouvons apprendre à faire des demandes claires sur ce qu’on voudrait.

Je crois que particulièrement aujourd’hui, dans ce confinement, nous sommes invités à nommer ce qui se passe en nous, sans être agressifs. Si nous sommes agressifs, nous allons rendre le confinement infernal. Mais si nous arrivons à nommer les choses avec clarté, sans agressivité, nous allons apprendre un nouveau vivre ensemble qui va nous servir par la suite. Après le confinement, nous aurons toujours besoin d’indiquer nos besoins et de comprendre les besoins des autres. Nous pouvons donc utiliser le confinement comme un laboratoire de la qualité de la relation. Et le fait que ce soit difficile n’est pas un hasard. C’est souvent parce que c’est difficile qu’on apprend plus finement. Passer à un palier de bonheur plus sain et stable exige de lâcher des habitudes, des conditionnements. Si nous restons dans l’habitude d’avoir des rapports de force ou la prétention d’avoir raison, nous allons nous bousiller la vie. Nous avons besoin de lâcher ces conditionnements qui ne sont pas, loin de là, la seule façon de traverser les conflits. Nous voulons les traverser par l’écoute, l’empathie, l’intelligence collective, la capacité à accueillir les désaccords. Je crois que sur le plan élargi de nos sociétés, nous avons besoin d’apprendre à traverser les conflits autrement que par les rapports de force.

Est-il judicieux d’exercer la communication non violente avec les enfants?

Considérablement. Les enfants sont souvent très demandeurs – et cela peut paraître parfois agaçant – d’écoute et de reconnaissance. Si vous prenez un moment d’écoute et de reconnaissance pour rejoindre l’autre dans ce qu’il aimerait, ce qui ne veut pas dire que vous allez le satisfaire, vous allez reconnaître la pulsion de vie qui l’habite. Vous allez retrouver un rapport plus doux. Si l’enfant vous tanne pour aller dehors, il faut reconnaître que l’enfant rêverait de passer sa journée dehors parce qu’il fait beau et que jouer au parc c’est fantastique. En reconnaissant cela, vous donnez droit à cette pulsion de vie d’exister et ensuite vous revenez au fait que pour le moment on demande cette discipline et l’on sait que ce n’est pas confortable. Il faut reconnaître les deux aspects, l’envie de l’enfant et indiquer pourquoi elle ne peut être satisfaite. La plupart du temps, on oublie l’autre. Le parent dira: „Je t’ai déjà dit que l’on ne peut pas sortir. Point.“

Cette venue brusque de l’incertitude n’entrave-t-elle pas cette démarche?

Bien sûr, ce confinement et l’épidémie nous placent face à une incertitude cruciale de manière inédite. Nous assistons à des décès. Cette proximité avec notre fin est très forte et très rare, sauf en temps de guerre. Cela nous amène à nous poser des questions de sens. Est ce que ma vie a du sens? Est-ce que j’aime ce que je vis? Est-ce que j’ai l’intention de contribuer à quelque chose d’utile? C’est clair que si l’on se les pose pour la première fois, ces questions ne sont pas confortables, parce que cela nous sort de notre zone de confort, peut-être de notre ronronnement dans des habitudes. En même temps, je peux témoigner, en tant que thérapeute accompagnant des personnes depuis 25 ans, que tant qu’on ne se pose pas ces questions-là pour tenter d’y apporter une réponse, claire, personnelle, signifiante, beaucoup d’enjeux de la vie quotidienne se révèlent assez problématiques. Tout ça peut être pénible parce que les questions de fond, où je vais et quel sens a la vie, ne sont pas réglées.

Cette pandémie n’aurait pas lieu si les gens avaient appris à être heureux solidaires, partageant, à être contents de ce qu’ils ont plutôt que d’être affamés de ce qu’ils n’ont pas

Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute

A l’inverse, si nous trouvons une réponse personnelle et vivante à ces questions, par un jardinage intérieur qui fait de plus en plus éclore le sens de ce que nous voulons vivre, alors les enjeux pratico-pratiques de la vie quotidienne se révèlent beaucoup plus simples à vivre. J’encourage les gens à enfin se poser les vraies questions et à lâcher les fonctionnements automatiques qui amènent à l’ennui, parfois à la dépression et même au burnout.”

La fin de cette période de confinement qui aurait facilité ce jardinage ne risque-t-elle pas d’être frustrante si les choses reprennent comme elles étaient avant?

Je pense qu’il y a des gens très pressés de revenir comme avant, de retrouver leur zone de confort. En même temps, je lis sur les réseaux que beaucoup de personnes sont en train de goûter une qualité de vie dont ils n’ont plus envie de se départir – ça ne veut pas dire qu’ils ne veulent pas retrouver un travail, des ressources, une vie sociale. Je vois beaucoup de commentaires sur la réduction de la pression et de la pollution, du temps passé dans les embouteillages, dans la foule. Il y a une douceur qui s’installe. J’aimerais qu’on puisse tirer parti de l’épreuve pour réintroduire de la douceur dans nos rythmes. Nous avons créé un monde très brutal, avec des rythmes hachés, stressants. Beaucoup de gens vivent au-delà de leur rythme. Moi-même j’ai été longtemps beaucoup plus agité que mon vrai rythme. Je copiais l’attitude de mes parents. Il fallait courir. J’ai mis des années à pacifier mon rapport au temps. Le bénéfice de ce confinement est de nous apprendre à respecter un rythme juste pour chacun de nous.

Diriez-vous que la pandémie, comme vous l’avez écrit au sujet des attentats en 2016, est le reflet d’une société malade?

En tout cas le reflet d’une certaine mégalomanie dans l’organisation: le fait d’avoir déplacé toutes nos productions à l’étranger, d’être extrêmement dépendants de ce qui se passe de l’autre côté du monde, le fait de circuler à ce point. On circule beaucoup trop, il y a trop de pollutions. Il y a quelque chose qui est à mes yeux excessif. Cela produit du stress, une tension. Le fait que tout cela ralentisse nous fait voir que la planète respire, des régions polluées ne le sont plus.

Je pense que ce qui permet une pandémie est un signe de maladie ou en tout cas de fatigue du système. Sur le plan de l’immunité, on voit aussi que si la maladie fait de tels ravages, c’est qu’il y a des gens qui n’ont pas la bonne immunité. Ils ne se nourrissent pas de façon saine, n’entretiennent pas leur corps, se nourrissent d’informations négatives, vivent dans la peur – et on sait que la peur fait chuter l’immunité considérablement. Cette pandémie n’aurait pas lieu si les gens avaient appris à être heureux solidaires, partageant, à être contents de ce qu’ils ont plutôt que d’être affamés de ce qu’ils n’ont pas.

Loin d’être un acte individualiste, se pencher sur soi est bénéfique à la société. Vous appelez cela l’intériorité citoyenne. Quel en est le principe?

Comme je l’évoquais plus tôt, tant que je ne me comprends pas bien, j’ai tendance à projeter mes inconforts sur l’autre. Je vais mal et suis mal compris à cause de l’autre. J’accuse et je reproche. A partir du moment où je vais mieux me connaître, je vais reconnaître un besoin d’appartenance et en prendre soin, je vais apprendre à m’occuper de moi, comme un être autonome et non pas comme quelqu’un qui se victimise et accable les autres. Il y a donc un énorme bénéfice à cultiver cet espace de recul à l’intérieur de soi, qui permet de s’observer pour mieux se comprendre.

Cela m’est venu de l’observation des gens. En écrivant mon premier livre, „Cessez d’être gentil, soyez vrai“, je voyais qu’être vrai améliore considérablement les relations, d’abord à soi, puis aux autres. Cela enlève les masques, les non-dits, les mal-dits, les bouderies. En même temps, être vrai n’est pas nécessairement confortable. Parfois, un petit mensonge rend la chose plus facile à vivre. Alors m’est venu le thème de mon second livre, être heureux passe par des inconforts.

Enfin, en ayant vu combien, quand les gens travaillent à être heureux, ils se mettent ensuite pratiquement automatiquement au service de la vie, au service des autres, m’est venue cette notion d’intériorité citoyenne. Un citoyen pacifié se révèle un citoyen pacifiant. Non pas passif dans son coin à fumer son pétard, mais activement pacifiant par son attitude, par sa compréhension. Comme il a nettoyé quelque chose en lui, il comprend mieux l’humain, il est plus à l’aise avec l’humanité des autres. Comme il a compris les pièges de son propre ego, il voit avec bienveillance les pièges de l’ego de l’autre. Il ne s’en agace plus ou alors beaucoup moins.

La paix, ça s’apprend comme les maths ou le foot. On sait faire la guerre parce qu’on s’y discipline, des mois, des années durant. On sait faire la paix si on s’y discipline.

Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute

Et puis, quand on prend ce temps de récul régulier, pour comprendre l’humain en soit, nous ouvrons une sorte de résonance et dans cette caisse de résonance vient nous parler ce que la plupart des traditions appellent le souffle ou l’esprit, on pourra aussi parler de Dieu si on veut, de Jésus, d’Allah. Nous sommes alors connectés à une dimension qui va au-delà de nous et qui nous indique plus clairement par où et comment nous voulons fonctionner. Nous ne sommes plus seuls tout à coup mais dans l’appartenance à l’esprit de la vie, au souffle, un terme qui parle même aux gens très farouchement athés, parce que le signe de la vie en eux, c’est le souffle. Si nous pouvons nous émerveiller du souffle qui est en nous régulièrement, notre attitude sera beaucoup plus empathique quand la friction s’installe. C’est une hygiène de vie pour pouvoir faire face au moment où il y a de la pression.”

La paix, ça s’apprend comme les maths ou le foot. On sait faire la guerre parce qu’on s’y discipline, des mois, des années durant. On sait faire la paix si on s’y discipline. Arrêtons de croire que la paix va tomber du ciel ou que c’est un truc gentillet, new age. C’est vraiment une hygiène, un travail. Et ça fait du bien. Je vis moi beaucoup plus en paix que je ne vivais il y a dix ans. Et autour de moi les gens qui se forment à des approches pacifiantes vivent infiniment plus en paix.

Vous défendez l’introduction de la communication non violente à l’école. Pourquoi?

En en voyant le bénéfice et combien la qualité de la relation, avec soi, avec les autres, que ce soit dans le couple, en famille, au travail, est la clé du bien-être individuel et social. Evidemment, lire, écrire et calculer sont les trois fondamentaux de tout enseignement. Il s’agit d’ajouter un quatrième pilier au moins aussi fondamental qui consiste à apprendre à savoir qui je suis, à apprendre mes émotions, ce qui me met en joie, en liesse, dans un élan de créativité, mais aussi ce qui me met en peine, en rage, et que je dois comprendre avant de faire exploser la rage aux visages des autres. On voit bien la dimension d’intérêt public. La connaissance de soi est un enjeu de santé publique. Nous serions tous infiniment en meilleure santé, psychique et mentale, mais aussi physique, si nous apprenions à dire ce qui est en nous. Combien de maladies, on le sait, sont le reflet d’émotions retenues.

Aujourd’hui, avec les récents attentats, commis la plupart du temps par des jeunes gens qui sont nés dans le sérail, dans les écoles, dans nos quartiers, chez nous, ils ne sont pas arrivés par hasard d’une autre planète, nous pouvons mieux comprendre combien la connaissance de soi, la gestion des émotions, est un enjeu de sécurité publique.

Ce pourrait être chacun de nous, dans un état de frustration tel que nous ne voyons pas d’autre issue que de nous faire exploser en bousillant la vie des autres. Quand un parent explose en envoyant une baffe magistrale à son enfant, il est dans la même situation. Il y a une différence de degré peut-être mais pas de nature. C’est le même submergement d’émotions qui nous fait passer à l’acte. C’est quand même précieux de le savoir.

La CNV

Les principes de la communication non violente sont accessibles facilement en ligne et notamment sur le site internet de Thomas d’Ansembourg: www.thomasdansembourg.com

Enjeu de santé publique, la connaissance de moi et la gestion des émotions sont aussi des enjeux de sécurité publique
Enjeu de santé publique, la connaissance de moi et la gestion des émotions sont aussi des enjeux de sécurité publique Photo: AFP/David Gannon