ExpoCharles Loupot: un géant de l’affiche

Expo / Charles Loupot: un géant de l’affiche
 Photo: Beauclair

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Le musée municipal de Clamecy, dans la Nièvre, présente une exposition, Charles Loupot, géant de l’affiche. Cette manifestation, consacrée à l’un des grands créateurs français du XXe siècle dans le domaine de la publicité, a été conçue par Pierre-Antoine Jacquin, directeur du musée, enseignant l’histoire de l’art à l’université de Bourgogne et à l’Institut Denis Diderot. Pierre-Antoine Jacquin a bien voulu s’entretenir à propos de cette exposition, aboutissement d’un long travail qui lui tient à cœur.

Tageblatt: Comment est née cette exposition Loupot au musée de Clamecy? Quels objectifs précis aviez-vous en la concevant?

Pierre-Antoine Jacquin: Cette exposition est née en grande partie d’une rencontre, faite en 2016 avec la belle-fille de Charles Loupot. Alors que, par goût personnel, je commençais des recherches approfondies sur la vie de cet affichiste, j’ai souhaité connaître sa belle-fille, Jacqueline Loupot, et ai proposé à celle-ci de lui rendre visite. Jacqueline Loupot m’a reçu très aimablement et nous avons passé un après-midi à parler de son beau-père. Nous nous sommes revus une seconde fois et à la fin de notre entretien, mon interlocutrice m’a offert certaines œuvres de Loupot pour le musée de Clamecy. Quelque temps après, Jacqueline Loupot m’a dit qu’elle estimait que le musée de Clamecy, qui possédait déjà des affiches de Loupot données par la compagne de celui-ci, France Pier, était le meilleur établissement pour recevoir le contenu de l’ancien atelier de son beau-père. En 2017, Jacqueline Loupot a donc offert au musée de Clamecy plus de cinq mille œuvres, essentiellement des dessins et des photographies. Depuis, je souhaitais réaliser une exposition temporaire d’une certaine ampleur afin de donner une visibilité à cette collection extraordinaire. Le maire de Clamecy, Nicolas Bourdoune, a partagé mon avis.

Quelle est la généalogie artistique de Loupot? De quels artistes s’est-il revendiqué?

Loupot a reçu de 1911 à 1913 à l’Ecole des beaux-arts de Lyon un enseignement classique très solide, basé sur le dessin de modèles et d’objets. Cette formation lui a permis de représenter avec talent tout ce dont il devait faire la publicité, de ces vêtements élégants visibles dans ses premières affiches, à ces bouteilles de vin qui apparaissent dans ses dernières réalisations des années 1950. Il a déclaré que son peintre préféré était le Titien, et il appréciait beaucoup certaines œuvres de Delacroix.

La peinture est chez Loupot une sorte de violon d’Ingres auquel il a toujours voulu se consacrer davantage, tout en s’en trouvant empêché par son activité d’affichiste

Pierre-Antoine Jacquin

Comment Loupot est-il parvenu à cette œuvre si graphique et visuelle? Pourquoi l’univers de la publicité? Selon quelle tradition?

A l’issue de sa formation, Loupot s’est toujours considéré comme „artiste peintre“. Il a dit qu’il était venu à l’affiche en 1916, parce qu’il fallait bien vivre, ce qui donne le sentiment que tel n’était pas son souhait initial: peut-être aurait-il préféré ne faire que de la peinture. Il a été assez vite connu en Suisse comme affichiste de talent et n’a pas eu de difficulté à trouver des commandes publicitaires quand il s’est réinstallé en France en 1923.

Pierre-Antoine Jacquin
Pierre-Antoine Jacquin

Loupot a-t-il influencé les générations suivantes? Y a-t-il une continuité ou une survivance de l’art de Loupot dans notre monde contemporain?

Plusieurs critiques d’art ont remarqué que Loupot n’avait pas d’élèves; l’un de ces critiques a écrit que l’artiste n’était „pas chef d’Ecole parce qu’inimitable“. En revanche, l’art de Loupot, affiché sur les murs des villes de France, a certainement influencé ceux qui le voyaient, mais on est là dans un domaine assez subjectif. Si l’on examine les survivances de son art, on peut supposer qu’il subsiste, dans le graphisme contemporain, une influence de Loupot, difficilement mesurable – on songe à ses créations si claires pour L’Air liquide ou Route et Ville. Si l’on parle de survivance de façon plus concrète, on peut signaler que, justement, l’entreprise Air liquide a utilisé jusqu’à la décennie 2010 l’emblème que lui avait créé Loupot. Par ailleurs, la route buissonnière, qui va de Fontainebleau à Lyon, est toujours jalonnée par des panneaux émaillés représentant un lapin, qui est l’œuvre de Loupot.

Loupot au fil du temps devient de plus en plus elliptique, ceci jusqu’à la disparition de l’objet pour son idée, un symbole. L’art de Loupot le mènerait-il aux portes de l’abstraction?

En effet, Loupot est un artiste qui a évolué. Dans ses premières affiches réalisées en Suisse, Loupot met souvent en valeur l’objet à vendre avec une femme élégante. Au fil du temps, l’artiste ne va plus hésiter à représenter le produit seul. Puis, dans les années 1950, ce produit disparaît et cède la place à un emblème qui symbolise la marque. Dans une de ses rares œuvres d’art sacré, ses fresques peintes pour la chapelle de Menou, Loupot adopte aussi un style très dépouillé, traçant en quelques traits noirs des scènes de la vie de la Vierge et du Christ. Cependant, à la fin des années 1950, Loupot, estimant peut-être qu’il a suffisamment exploré l’abstraction, revient avec plaisir à des œuvres figuratives, comme les affiches pour le vin Rapha.

Votre exposition montre aussi que Loupot peint. Quelle place occupe sa peinture dans son œuvre, quand on voit combien elle diffère de ses affiches? Celles-ci sont précises et très graphiques quand, dans sa peinture, la technique est plus classique. Sa peinture, aux contours flous, atmosphérique, est plus rêveuse.

La peinture est chez Loupot une sorte de violon d’Ingres auquel il a toujours voulu se consacrer davantage, tout en s’en trouvant empêché par son activité d’affichiste. Pendant l’Occupation, Loupot, qui a fermé son atelier parisien et a vécu dans sa résidence secondaire de Chevroches, près de Clamecy, a passé plus de temps à peindre. Son fils, Jean-Marie Loupot, me disait qu’il n’était jamais complètement satisfait de ses tableaux et les montrait peu. Cependant ses peintures réservent des surprises intéressantes. Je pense à une des dernières œuvres offertes par Jacqueline Loupot, un portrait où l’artiste a représenté sa mère, âgée, avec une expression assez sévère et presque amère. L’œuvre, qui a beaucoup de force, prouve que Loupot n’était pas qu’affichiste, quoi que ce soit dans ce domaine qu’il ait atteint la célébrité.

Infos

Musée de Clamecy
Jusqu’en novembre 2022
Avenue de la République, 58500 Clamecy
Horaires et jours d’ouverture: www.clamecy.fr