MusiqueAmy Winehouse en double: un livre et film rendent hommage à la chanteuse décédée

Musique / Amy Winehouse en double: un livre et film rendent hommage à la chanteuse décédée
Elle ne sera pas oubliée: plusieurs publications et expositions rendent hommage à la chanteuse Amy Winehouse, décédée en 2011 Photo: AFP/Daniel Leal

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Une série journalistique à présent disponible sous forme du livre „Amy pour la vie“ fait la lumière sur de nombreux pans de la vie d’Amy Winehouse, alors qu’elle renaît à l’écran sous les traits de Marisa Abela dans le film „Back to Black“.

Le 23 juillet 2011, Amy Winehouse, la chanteuse britannique à la voix jazz d’un velours grave inédit, nous quittait à l’âge de 27 ans, rejoignant ainsi le fameux club des artistes talentueux et maudits partis trop tôt – Jimi Hendrix, Kurt Cobain, Janis Joplin … Sophian Fanen, journaliste spécialisé dans la musique, a réuni dans un livre, „Amy pour la vie“, la série de huit articles qu’il avait publiée dans Les Jours, média d’actualité en ligne spécialisé dans les investigations et reportages, dont il est le co-fondateur. Dans un style léger, fluide, caractéristique de l’enquête journalistique long format, Fanen creuse les grandes questions que la mort prématurée de la chanteuse firent se poser au monde et met en lumière de nombreux faits qu’il semblait important de clarifier.

Ainsi, il entreprend de réhabiliter le père d’Amy, Mitch Winehouse, qui n’était pas, selon Fanen, l’homme vain et cupide, la sangsue avide d’exploiter le succès de sa fille décrite par les médias britanniques, mais un père aimant, „un père perdu, naïf, qui ne s’est pas assez protégé et qui pensait que parler à la presse rétablirait la vérité sur sa fille et sa famille“. „Amy pour la vie“ est structuré en huit chapitres courts, précis, bien renseignés et agréablement mis en scène. En tant qu’expert musical, Fanen analyse avec justesse ce qui fait le caractère unique de la création d’Amy Winehouse: „Il n’y a pas beaucoup de disques comme Back to Black, où chacun peut trouver la musique qu’il aime. Un gamin va y entendre un beat hip-hop, les plus âgés diront: ‚Mais elle a écouté les disques que j’adore!‘ C’est ça, le grand art, c’est faire écouter des musiques très différentes au public. (…) Le résultat est un disque miraculeux et hors du temps, un condensé de nostalgie des années 1950 et 1960 avec un son qui parle au XXIe siècle.“ 

Amy Winehouse en 2008 lors du Glastonbury Festival
Amy Winehouse en 2008 lors du Glastonbury Festival Photo: AFP/Ben Stansall

Fanen nous donne à voir et comprendre la façon dont certaines influences de la chanteuse ont modelé non seulement sa musique, mais également sa vision du monde et des rapports hommes-femmes: „(…) ces bandes de filles qui chantaient la quête échevelée de l’homme parfait pour l’aimer jusqu’à la fin des temps. C’est ‚Leader of the Pack‘, ‚To Know Him Is to Love Him‘ des Teddy Bears, qu’a chanté Amy Winehouse dans une version poignante, ou le terrible ‚He Hit Me (And It Felt Like a Kiss)‘ des Crystals, une célébration hallucinante de la violence conjugale au nom de l’amour. (…) Beaucoup de ces chansons ont été écrites par des hommes mais chantées par des femmes.“ En faisant dialoguer les différents points de vue des professionnels du show-business qu’il a interviewés (Valéry Zeitoun, Laetitia Rocca, Sally-Anne Gross…), Fanen décrypte les forces en puissance qui contribuèrent à la mort tragique d’Amy Winehouse – boulimie, addictions, dépendance amoureuse, abus d’un milieu capitaliste, mythe destructeur du show business avec le triptyque „sex, drugs & rock’n’roll“ … – et pose la question cruciale d’un changement culturel.

La mort d’Amy Winehouse contribua en effet à faire prendre conscience au grand public de la façon d’agir infiniment toxique des tabloïds anglais et de ceux qu’ils emploient – les paparazzi, sauvages prédateurs exempts de toute empathie ou humanité: „A l’époque, le droit à l’information est premier en Grande-Bretagne, explique Jamil Dakhlia. Il n’y a absolument pas de limites à l’intrusion dans la vie privée. La jurisprudence a évolué depuis du fait d’un certain nombre de scandales. (…) L’histoire d’Amy Winehouse est à la lisière de ce basculement, elle fait partie des éléments qui ont fait évoluer les mentalités en Grande-Bretagne.“ Pour qui avait vu en 2015 l’instructif et touchant documentaire „Amy“ d’Asif Kapadia, l’ouvrage de Sophia Fanen constitue l’opportunité de creuser davantage l’histoire de ce destin tragique, pour saisir de façon plus nette et complète encore l’importance de la multitude de facteurs qui jouèrent un rôle déterminant dans la vie et la mort de la chanteuse, ainsi que son impact sur les mentalités et le milieu du show business.

Sans appuyer le tragique et le sordide

Pour compléter cette importante et passionnante réflexion, l’attendu „Back to Black“, film de Sam Taylor-Johnson, en ce moment sur nos écrans, offre une perspective encore différente mais tout aussi enrichissante sur la regrettée Amy Winehouse. L’annonce de la sortie du film avait de quoi faire peur. En effet, rares sont les biopics qui ne s’apparentent pas à une traduction audiovisuelle de la page Wikipédia dédiée à l’artiste. La plupart du temps, ils sautent d’un événement à l’autre sans prendre le temps de faire vivre un silence, un doute, n’utilisent pas le langage cinématographique pour permettre au public de ressentir dans leur chair les moments qui ont marqué l’existence de la star ou déterminé sa trajectoire. Mais Sam Taylor-Johnson parvient à éviter ces obstacles et nous propose au contraire d’aller à la rencontre de la chanteuse et la femme de l’intérieur, dans une nouvelle intimité.

Ainsi, une grande place est donnée à l’amour qu’inspira Blake Fielder-Civil à Amy, mais contrairement aux autres œuvres qui traitèrent de leur relation, nous découvrons Blake à travers les yeux d’Amy, ressentons avec elle l’obsession qui la lia à lui. On pourra reprocher au film de ne pas suffisamment pointer les effets dévastateurs que cette codépendance passionnelle eut sur la chanteuse. Mais la réalisatrice Sam Taylor-Johnson fait le choix de ne pas appuyer le tragique, le sordide que l’on a déjà trop vu et entendu au sujet de la star, préférant donner davantage de place aux deux piliers que furent pour Amy la musique d’un côté et l’amour de l’autre.

Amy Winehouse n’était pas seulement profondément éprise de celui qui devint son mari, elle était également très liée à son père et adorait sa grand-mère Cynthia (interprétée de façon particulièrement touchante par Lesley Manville), qui l’influença de façon déterminante. Du haut de ses 27 ans, l’actrice principale Marisa Abela est tout simplement bouleversante dans l’interprétation qu’elle fait de la star et parvient à créer des scènes d’une intimité rare, moments de grâce inespérés dans lesquels Amy Winehouse nous semble revenue, le temps d’un instant suspendu. L’illusion opère grâce à sa voix envoutante (Marisa Abela chante elle-même l’intégralité des tubes interprétés à l’écran), sa silhouette si particulière, un petit corps fin surmonté d’une masse de cheveux noirs coiffée en une beehive démesurée, sa présence qui dégage un mélange de puissance, de gouaille et de vulnérabilité, et cette musique à la croisée des époques et des genres.

Par ses intentions narratives et ses choix de réalisatrice, Taylor-Johnson se place résolument en opposition à ce que la presse britannique fit subir à Amy Winehouse: au lieu de poser sur la chanteuse un de ces regards de prédateurs qui participa à la faire mourir, Taylor-Johnson nous donne à voir de l’intérieur la belle âme jazz d’une des plus grandes chanteuses du monde.

Infos

Sophian Fanen: „Amy pour la vie“, Novice, France, ISBN 2492301435
„Back to Black“ de Sam Taylor Johnson, en salle au Kinepolis Kirchberg, Kinepolis Belval et Ciné Utopia