Biennale de StrassenLa fin de l’influence politique 

Biennale de Strassen / La fin de l’influence politique 
Daniel Mac Lloyd succède à Jeff Dieschburg pour le prix d’encouragement Photo: Commune de Strassen/Kary Barthelmey

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La 12e Biennale d’art contemporain de Strassen n’est pas la copie de la précédente, en 2022, durant laquelle a éclaté l’affaire de plagiat du peintre Jeff Dieschburg. Plusieurs nouveautés ont été prises pour éviter le mélange des genres et des principes.

A l’heure d’inaugurer sa 12e Biennale d’art contemporain, la commune de Strassen avait préparé un communiqué de presse au sujet de l’affaire de plagiat qui avait éclaté entre la photographe Jingna Zhang et le peintre Jeff Dieschburg, au beau milieu de la précédente édition, en 2022. Ce communiqué n’était étonnamment disponible qu’aux journalistes qui en feraient la demande. La commune pouvait toutefois difficilement espérer que ce ne soit pas le cas. Par une concordance des temps qui confine à la poisse, au matin de l’ouverture de la Biennale de Strassen – le 10 mai dernier –, les journaux du pays évoquaient la précédente édition de la Biennale d’art contemporain de Strassen. Le Luxemburger Wort arborait même en une ce jour-là une publicité de la commune pour la biennale et un commentaire sur le caractère inévitable de l’affaire de plagiat tranchée en défaveur du jeune peintre. 

„La commune n’a aucun contrôle sur les actions individuelles des artistes et ne peut être tenue responsable des choix créatifs ou des comportements d’un artiste“, disait le communiqué de presse qui comportait une annonce. Désormais, le règlement de la Biennale d’art contemporain de Strassen stipulait que, „par sa signature sur le formulaire d’inscription l’artiste garantit l’authenticité des œuvres présentées par ses soins, les déclare exemptes de tout plagiat ou bien de toute copie illicite auprès d’un autre artiste“. „Les œuvres présentées sont de sa propre création et l’artiste certifie d’être en possession de tous les droits intellectuels et droits d’auteurs nécessaires pour l’exposition publique de l’œuvre“, stipule aussi le règlement qui ne peut être on ne peut plus clair.

Le diptyque „Turandot“ de Jeff Dieschburg avait été choisi parmi 200 propositions pour être exposé, puis parmi les plus jeunes des 30 artistes, pour recevoir le prix d’encouragement, doté de 1.500 euros. La médiatisation qui suivit ce couronnement avait facilité l’identification du plagiat par l’artiste plagiée, et l’avait rendu condamnable, puisque l’artiste avait gagné de l’argent du prix avec son œuvre, qui avait d’autant plus de chance d’être vendue. Jeff Dieschburg avait dû renoncer à son prix, et à l’exposition dans la galerie „A Spiren“ qui va avec, mais aussi décrocher son œuvre.

Eloge de la fatalité

„Ça aurait pu arriver à n’importe qui d’autre“, veut se convaincre le bourgmestre CSV de la commune, Nico Pundel. „Le jugement et toute cette affaire sont en dehors de la biennale. La question est: est-ce que la photo est protégée par la loi sur les droits d’auteurs ou pas?“ Néanmoins, au matin de l’inauguration, le bourgmestre avait fait le court déplacement pour venir dire quelques mots aux journalistes, et annoncer une autre nouveauté. Désormais, la politique se tenait à l’écart du jury, qui sélectionne les œuvres et donne des prix. Il l’a dit sans mentionner directement l’affaire, ni rappeler que Jeff Dieschburg était le fils d’une conseillère communale d’opposition, membre du DP, en 2022. Jusqu’alors, Betty Welter, actuelle échevine socialiste, figurait dans le jury. Elle est la seule conseillère communale qui était là quand au tout début du XXIe siècle, la majorité socialiste avait décidé de faire de Strassen une place-forte de l’art contemporain. „Dans l’art, l’orientation politique ne joue pas“, dit d’ailleurs le bourgmestre quand on l’interroge sur la couleur politique de la création de la biennale.

Désormais, le jury de cinq personnes, présidé cette année par Marc Thill, est composé d’experts, dont les historiennes de l’art Danièle Wagener et Nathalie Becker en 2024. Cette décision était nécessaire pour se mettre à l’abri de tout reproche d’influences politiques sur un tel événement qui entend avoir une aura nationale sinon internationale – dans le cadre de la Grande Région. Le choix stratégique de miser sur l’art figure à l’inverse dans un contexte plus local. La voisine Mamer a misé sur les arts vivants avec le Kinneksbond, Bertrange sur la musique avec l’Arca, tandis que la capitale juste à côté propose tout. „Chaque commune a ses spécificités. Chez nous, c’est l’art“, résume Nico Pundel.  A la biennale se sont ajoutées deux grandes expositions sur les 50 ans et 100 ans (en 2021 et 2023) d’art au Luxembourg, organisées en collaboration avec le Lëtzebuerger Artisten Center (LAC), plate-forme de promotion de l’art contemporain qui rassemble des artistes que l’on retrouve plutôt dans des expositions dans les galeries communales ou des banques que dans les institutions muséales du pays. Une grande exposition sur l’art luxembourgeois est prévue en 2026, sans que les détails ne soient encore publics.

Désormais, donc, la politique entre en jeu quand les dés sont jetés, pour savoir lesquelles des œuvres exposées elle va acquérir, et, subsidiairement, dans quel bureau les nouvelles acquisitions vont atterrir. Le choix stratégique, entamé avec l’ouverture de la galerie „A Spiren“ en 1992 et renforcée avec la création de la biennale en 2001, va avec la constitution d’une collection d’art en tous genres (peintures, sculptures, installations). La quantité d’œuvres accumulées par la commune depuis 30 ans se compte en centaines, voire en milliers. Identifiée comme ville d’art, elle reçoit aussi des dons de plus ou moins bonne facture, qu’elle n’ose pas refuser. Les conditions de conservation ne sont pas nécessairement professionnelles. La meilleure méthode consiste à les accrocher pour décorer le bâtiment communal. La ville investit „au moins 10.000 euros par an“ pour acquérir des pièces. Les grandes expositions sur l’histoire de l’art luxembourgeois lui coutent environ 100.000 euros. Il faut notamment financer les coûts de gardiennage d’un centre culturel qui n’a pas été construit pour abriter les œuvres des artistes luxembourgeois les plus réputés. Ce n’est pas un coût aussi grand que celui du „Stroossefestival“, l’événement bisannuel créé sur le modèle des festivités de Chassepierre, et en alternance duquel fut créée la biennale. 

Recycler plutôt que plagier

Après le Covid, le nombre de propositions artistiques pour la biennale avait explosé. Pour la biennale de 2022, 200 artistes avaient introduit un dossier. C’est pour freiner cette tendance qui déborde aussi les moyens de la commune, que fut introduit une thématique pour cette année. Le thème de la durabilité a réduit sensiblement le nombre de propositions. Ils étaient 70 artistes à se disputer les 30 places disponibles. Ironie de l’histoire, le thème retenu incite au recyclage de matières premières, mais aussi des œuvres d’autres personnes. Et les trois lauréats de l’édition 2024 le font à leur manière – sans reproche de plagiat possible. 

Le premier prix Tanja Kremer-Sossong intègre des motifs d’autocollants et de graffitis – „trouvés dans des lieux publics souvent négligés“ – dans des toiles où se mêlent broderie et photographie. Ce sont les multiples d’images de colibri qu’a manifestement utilisés le prix d’encouragement Daniel Mac Lloyd pour réaliser des peintures sur des matériaux de récupération. Enfin, le prix spécial, Jip Josée Feltes donne, par le dessin, une seconde vie et une extension à des photos datant des années 50 faites par son beau-père et retrouvées dans son grenier. Elle leur donne pour titres des chiffres et des annotations manuscrites au dos des clichés. Il y a donc bien une vie après le plagiat.

La Biennale d’art contemporain de Strassen est ouverte jusqu’au 26 mai. Ouvert tous les jours de 10 à 20 h au Centre culturel Barblé (52, rue des Romains)

Jip Josée Feltes a reçu le prix spécial en redonnant avec délicatesse une seconde vie à des clichés réalisés par son beau-père dans les années 50
Jip Josée Feltes a reçu le prix spécial en redonnant avec délicatesse une seconde vie à des clichés réalisés par son beau-père dans les années 50 Photo: Jérôme Quiqueret