LuxFilmFestivalRivalités en série: „Official Competition“ de Gastón Duprat et Mariano Cohn

LuxFilmFestival / Rivalités en série: „Official Competition“ de Gastón Duprat et Mariano Cohn
 (C) Manolo Pavon

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Un an après l’encensé mais finalement très peu convaincant „Nomadland“, la douzième édition du LuxFilmFest ouvre le bal avec „Official Competition“, une métacomédie satirique sur l’industrie cinématographique qui tient autant des premiers films de Pedro Almodovar que des comédies plus légères des frères Coen ou de Woody Allen, dont les réalisateurs reprennent les ressorts.

Un film plaisant sur des gens horribles – c’est, en quelques mots, la prémisse de ce film dont le titre est on ne peut plus métafictionnel et où l’on côtoie des acteurs égocentriques imbuvables, une réalisatrice déjantée et des assistants soumis. Comme il ne sait plus que faire de son argent et qu’il craint de mourir sans laisser de trace, le richissime entrepreneur octogénaire Humberto Suárez décide de financer un film, n’importe lequel, à condition qu’il devienne un chef-d’œuvre absolu, un film à succès, qui rayonne au-delà de sa mort.

Pour cela, il exige évidemment le meilleur, achetant à un prix fou les droits d’une fiction d’un prix Nobel, recrutant Lola Cuevas (Penélope Cruz), la réalisatrice la plus en vogue du moment, pour l’adapter, exigeant d’elle un casting de rêve, confondant du coup cinéma et cuisine, ne comprenant pas qu’on peut disposer, pour un film, des meilleurs ingrédients possibles et produire un navet tout comme il est possible de n’avoir que très peu de moyens et de produire des chefs-d’œuvre.

Pour adapter le roman „Rivalry“, dont Humberto a acquis les droits en dilapidant un montant fou sans le lire et qui parle, comme son titre l’indique, d’une rivalité tragique entre deux frères inégaux, Lola engage en toute logique deux acteurs on ne peut plus différents: d’un côté, Ivan Torres (Oscar Martínez), un comédien exigeant, méticuleux, proche du method-acting, qui s’investit dans ses rôles, les vit de l’intérieur et, de l’autre côté, Felix Rivero (Antonio Banderas), acteur mainstream qui dit de lui-même qu’il ne croit pas en l’existence des personnages qu’il incarne, qu’il suffit de „dire avec conviction les mots du texte“ et que son visage est „son plus grand capital“.

Evidemment, les deux acteurs ne s’entendent pas, leur interaction créant une énergie négative dont l’excentrique réalisatrice veut tirer profit. Le film relate la préproduction du long-métrage en enchaînant les répétitions dans une bâtisse qui ressemble au Mudam, où Lola confronte les deux acteurs à leur égo, les poussant dans leurs derniers retranchements, les exposant à des situations incongrues, grotesques et hilarantes sans prévoir que le narcissisme des deux acteurs sabotera peu à peu son projet, le scénario d’„Official Competition“ étant surtout un prétexte pour le trio d’acteurs de s’en donner à cœur joie: pour le plus grand plaisir des spectateurs, qui se délecteront de leurs coups bas, de leurs manigances odieuses, de leur pâmoison ridicule, Cruz, Banderas et Martínez ne se prennent jamais au sérieux.

Bien sûr, les ressorts narratifs sont parfois un peu grossiers et certains revirements assez prévisibles – il est évident qu’à force de reproduire sur le métaniveau les rivalités de la fiction, cette dernière finit par contaminer le réel. Parfois, le film dégage aussi un air de déjà-vu: le côté déjanté, excentrique des premiers Almodovar y côtoie la satire grinçante des frères Coen, qui permettait à des acteurs archi-connus comme George Clooney ou Brad Pitt de s’auto-persifler (Banderas rappelle d’ailleurs le Clooney de „Burn after Reading“).

Quant à la rivalité entre acteurs, l’on pense à certains Woody Allen, le film reproduisant, vers sa fin, une séquence de „You Will Meet A Tall Dark Stranger“. Enfin, on pourrait reprocher au comité de sélection d’avoir choisi un film assez déconnecté du réel – mais, d’un, c’est cette déconnexion même qui est parodiée dans le film et, de deux, qui aurait pu prévoir, au moment où on programmait le film, que le monde serait plus que jamais éloigné de la légèreté? En fin de compte, cette satire grinçante diablement bien écrite et parfaitement jouée inaugure le festival avec un sens de la légèreté un brin anachronique tout en permettant de voir jusqu’où le narcissisme solipsiste – qui caractérise par ailleurs aussi maint tyran – peut mener.

3/5