Théâtre„Les vaches sont mortes, mon amour“: „Les enfants“ de Lucy Kirkwood dans une mise en scène collective au TOL

Théâtre / „Les vaches sont mortes, mon amour“: „Les enfants“ de Lucy Kirkwood dans une mise en scène collective au TOL
Robin (Olivier Foubert), Rose (Véronique Fauconnet) et Hazel (Catherine Marques) ont trouvé refuge dans une maisonnette dans un monde ravagé par un incident nucléaire (C) Bohumil Kostohryz

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Avec „Les enfants“, la saison au TOL ouvre sur une pièce écologique sur la responsabilité que doivent prendre les boomers coresponsables de la crise climatique qui s’intensifie d’année en année. Si c’est un sujet courageux et important, la lâcheté de ses trois personnages leste quelque peu la production et son rythme.

Deux sujets paraissent dominer cette saison théâtrale encore jeune, sujets dans lesquels se reflète à la fois le confinement pandémique, avec un repli sur des questionnements plus intimes, familiaux, et la réalité d’une actualité politique plus qu’anxiogène, avec la guerre en Ukraine et la crise climatique.

D’un côté, on constate un nombre impressionnant de fictions sur la famille et la jeunesse, avec le réussi „Ensemble“ au Théâtre du Centaure ou des fictions dont les titres se suivent et se ressemblent – après le magistral „Les enfants des autres“ de Rebecca Zlotowksi au cinéma, s’ensuivent „Leurs enfants après eux“ au Théâtre d’Esch, dont on reparlera dans l’édition de jeudi, et „Les enfants“ de Lucy Kirkwood, dont le titre paraît condenser et résumer tous les autres.

De l’autre côté figurent un certain nombre de productions dystopiques, voire postapocalyptiques, comme l’adaptation au TNL de „Weltuntergang“ de Jura Soyfer ou encore „Die Laborantin“ d’Ella Road au Théâtre des Capucins, pièces qui reflètent l’avenir incertain qui est le nôtre, pris que nous sommes dans l’étau étouffant d’une guerre, d’une pandémie et du triste constat que nous continuons à détruire notre planète malgré des signes de plus en plus évidents que tout va (pas si lentement) à vau-l’eau.

C’est précisément de cela que parle la pièce de Lucy Kirkwood, même s’il faudra attendre son dernier tiers pour que le sujet qui plane au-dessus des personnages, qui contamine toutes les conversations et remplit les silences de ces trois scientifiques retraités qui se retrouvent dans une maisonnette plus ou moins délabrée, soit abordé de vive voix.

Cette maisonnette, dont le délabrement se voit dans le papier peint craquelé, roussi, mangé par des brûlures, fut investie par Hazel (Catherine Marques) et son mari Robin (Olivier Foubert), qui ont fui leur vieille maison aux „merveilleux murs roses“ après un incident (nucléaire, au sujet duquel les personnages resteront dans le vague). Même si leur belle maison ne se trouvait pas dans la zone d’exclusion, Hazel dira avoir eu, après l’incident, „l’impression de voir la radiation dans l’air, une sorte de nuage de paillettes sales“, raison pour laquelle ils ont déménagé dans une maisonnette appartenant à une vague cousine de Robin.

Ce quotidien rodé, entre Robin qui s’en va dans la zone d’exclusion afin de nourrir leurs vaches auxquelles il tient tant et Hazel qui veille sur leur domicile en essayant de faire au mieux dans une situation de dénuement énergétique imposée par le gouvernement, se fissurera avec l’arrivée de Rose (Véronique Fauconnet), ancienne collègue à la centrale partie en Amérique et au sujet de laquelle le couple se demandera bien vite pourquoi elle est venue les voir, la tension entre les trois étant assez vite à couper au couteau.

On apprend vite que, s’il n’y a eu que deux femmes à travailler à la centrale, Robin se les est tapées toutes les deux, créant de la sorte une relation de rivalité entre Rose et Hazel qui sera omniprésente, dans les non-dits d’abord, puis, à mesure que les longues années de distance se diluent dans les souvenirs communs, dans des reproches ouvertement formulés.

Leurs enfants après le déluge

S’il est fort réaliste que ces trois personnages parlent tant autour du pot – ils fuient leurs responsabilités, ils pratiquent la politique de l’autruche en évoquent le passé tout en essayant d’éviter des sujets qui gênent et qui ont trait à leur ménage à trois d’antan, aux quatre enfants que Hazel et Robin ont mis au monde alors que Rose n’en a pas eus, d’enfants –, cela n’en fait pas moins que le véritable enjeu de la pièce – à savoir la question de la prise de responsabilité des boomers face aux jeunes qui doivent à présent endurer seuls les conséquences des actes de leurs parents et essayer de sauver les meubles, si tant est que meubles il y ait encore à sauver – arrive assez tard dans la pièce, qui aurait peut-être gagné à écourter un peu les scènes de discussions. Car si celles-ci mettent en évidence le ton acerbe de l’autrice, elles n’en dégagent pas moins une impression de déjà-vu.

La mise en scène collective semble avoir le vent en poupe dans les productions francophones récentes, puisque, après „Leurs enfants après eux“ au Théâtre d’Esch et les représentations avignonnaises de „Terres arides“, „Les enfants“ est une fois encore une production où l’instance quasi-divine du metteur en scène est distribuée sur l’équipe artistique.

Ce choix ne nuit pas à la cohérence d’une mise en scène intelligente, quoiqu’assez conventionnelle, qui laisse beaucoup de place au jeu et aux mouvements des acteurs. Si la pièce commence dans le noir, dont surgira une Rose saignant du nez, pour retourner au noir, avec ce bruit d’un souffle nucléaire qui la traverse de part et d’autre, la lumière qu’elle braque, le temps de ses cent minutes de durée, sur un huis clos étouffant n’illumine souvent que les mesquineries humaines, les jalousies, les taquineries qui sont en réalité de discrets coups de couteau que se lancent des personnes désabusées par un monde en ruines et, surtout, par eux-mêmes.

Si cet humour cynique très anglais se perd parfois dans la traduction, les répliques cinglantes permettent de situer les personnages de plus en plus précisément – le cynisme de Hazel cache mal sa désillusion et son aigreur, l’humour de Robin recèle une mélancolie profonde quand il dit pleurer six ou sept heures par jour, Rose, enfin, paraît être la seule à porter, malgré sa froideur analytique, le sens de la responsabilité sur ses frêles épaules.

Si les trois acteurs parviennent à incarner de façon convaincante les trois personnages avec toutes leurs nuances, il se dégage parfois de leur jeu et de la pièce parfois un rythme étrange – certains moments s’étirent un peu trop en longueur, comme la séquence finale, qui aurait gagné à finir sur son white noise terrifiant, là où d’autres sont un peu précipitées, les personnages comme les acteurs se réfugiant trop dans les traits caricaturaux grâce auxquels ils ont réussi à se construire un paratonnerre qui les protège du désastre qu’est devenu le monde. Ainsi, parce que précisément il est difficile de faire percer de l’émotion sous la surface des insultes, sous la façade de ces postures factices, la production manque parfois un chouïa de subtilité.

Néanmoins, voir la lente prise de conscience prendre forme sur les traits de ces trois retraités désabusés a quelque chose de touchant et, si l’on sait faire abstraction de ces quelques écueils, „Les enfants“ mérite le détour au TOL.

Prochaines représentations: le 19, 20, 21, 25, 26, 27, 28 octobre à 20 heures au TOL.