Rencontre avec Viggo Mortensen„Je voulais explorer le point de vue des femmes qui se retrouvent seules“

Rencontre avec Viggo Mortensen / „Je voulais explorer le point de vue des femmes qui se retrouvent seules“
Le réalisateur Viggo Mortensen en action dans son propre film „The Dead Don’t Hurt“ Photo: Talipot Studio

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Rencontre avec le réalisateur et acteur Viggo Mortensen, venu au LuxFilmFest 2024 pour présenter son nouveau film „The Dead Don’t Hurt“ avec Vicky Krieps en premier rôle.

Tageblatt: Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un western?

Viggo Mortensen: J’aime les westerns. Quand j’étais petit, je les regardais au cinéma. J’en ai vu des centaines, y compris les premiers, réalisés au début du 20e siècle. La plupart ne racontent pas des histoires très intéressantes mais certaines sont très bonnes. Le western classique est le meilleur d’entre eux. Une fois que j’ai réalisé que l’histoire que j’écrivais se déroulait au 19e siècle, je voulais être très fidèle à la façon dont le western classique se présente en termes de photographie, de paysages, le comportement, la langue … Du coup, j’avais envie de m’attarder, parfois, sur les moindres détails de l’histoire au fil des ans pour créer un sentiment authentique de la vie au Nevada à l’époque de la guerre: comment les cow-boys montent à cheval, comment ils tiennent les rênes …

Une femme est au centre de l’histoire.

Effectivement. Lorsque Holger part à la guerre, nous ne le suivons pas. Nous restons avec Vivienne. Ce choix rend le western différent. Mais j’ai aussi pensé qu’il était intéressant que cette femme soit une personne très forte, très indépendante. Et donc d’une certaine manière, elle se crée une nouvelle frontière par son comportement, en tant que femme. Je voulais inscrire cette limite physique à l’époque de la guerre de Sécession. Cette juxtaposition me semblait intéressante. Même si ce n’est pas la première fois dans le genre, le film raconte aussi une grande histoire d’amour.

Pourquoi avez-vous choisi Vicky Krieps?

Elle est une excellente actrice. Je l’ai vue dans „Phantom Thread“ de Paul Thomas Anderson (2017) et „Bergman Island“ de Mia Hansen-Love … (2021) et quelques autres „petits“ rôles. Vicky est une très bonne actrice. Elle semblait être une femme très forte, donc j’ai pensé que c’était parfait pour le rôle de Vivienne. Elle a consolidé sa réputation d’interprète dotée d’une grande facilité à dépeindre des personnages qui ne se ressemblent pas. Elle a une aisance déconcertante à incarner des femmes intelligentes et compliquées, aux prises avec les limites et les attentes d’une société dominée par les hommes. Elle possède une beauté féminine particulière – pas seulement son apparence extérieure – qui semble venir d’une autre époque. Elle a quelque chose en elle, une force intérieure remarquable qu’elle est capable de transmettre et qui convient parfaitement à cette histoire. Vicky était très enthousiaste à l’idée de jouer ce rôle, non seulement parce qu’elle était intriguée par l’idée d’incarner Vivienne, mais aussi parce qu’elle avait l’impression d’être une femme. Elle a accepté immédiatement. J’étais très content. On n’est jamais sûr de ce qui nous attend.

La séquence du premier regard entre Holger et Vivienne est très forte.

Ce qui se passe dans cette histoire, c’est que Holger rencontre une femme, Vivienne, qui lui ressemble un peu. Une femme totalement indépendante, aussi têtue que lui, et qui a sa propre personnalité. Une attirance naît, peut-être, de manière inattendue entre ces deux personnes, et elles décident d’entreprendre un voyage ensemble, de se rejoindre, d’unir leurs vies et de voir où cela les mènera. Ensemble, ils se créent une sorte d’idylle rurale, une révolution intérieure. Le dynamisme inné de Vivienne pousse doucement Holger à devenir plus actif.

Vous êtes à la fois réalisateur et acteur. Cette volonté est née dès le départ?

Non. L’acteur qui devait jouer le rôle a décidé, très tard, de faire autre chose. J’ai essayé de trouver un comédien similaire, avec l’accord du financier. La personne à qui nous pensions n’était pas disponible même si elle appréciait le rôle. Donc, comme il fallait agir vite, je me suis dit que je pouvais moi-même incarner le personnage de Holger que je devais changer, inévitablement: normalement, il n’était pas aussi vieux (rire), il devait avoir le même âge que Vivienne. Un acteur doit être flexible et, finalement, le réalisateur aussi (sourire).

Je voulais explorer le point de vue des femmes qui se retrouvent seules et ce qui se passe avec elles

Viggo Mortensen, réalisateur et acteur

„The Dead Don’t Hurt“ contient-il une part autobiographique?

L’histoire du film est née d’une image de mon enfance. Je possède des livres illustrés des années 1930 que ma mère avait l’habitude de lire lorsqu’elle était petite fille, des histoires de chevaliers, d’aventures médiévales. Elle a grandi près des forêts d’érables dans le nord-est des Etats-Unis, près de la frontière canadienne. Et j’avais l’image d’elle, enfant, en train de courir dans ces forêts, s’imaginant dans l’une des histoires qu’elle avait lues dans ces vieux livres. Grâce à cette image, j’ai commencé à écrire le scénario de „The Dead Don’t Hurt“, pendant le confinement du Covid, au printemps 2020. Par ailleurs, dès le départ, le personnage de Holger était scandinave. Une fois que j’ai compris que je devais le jouer, il est devenu danois. Le son de la voix de mon père et la façon dont il parle me sont venus à l’esprit.

Le film est aussi une histoire de pardon.

Holger et Vivienne se pardonnent mutuellement. Ils sont solitaires, indépendants et têtus mais ils se respectent. Et ils sont capables d’apprendre l’un de l’autre. Ils se disent la vérité. Quand Vivienne lui dit qu’elle a un emploi, Holger ne comprend pas mais il l’écoute et donc il peut évoluer un peu parce qu’il est ouvert. Vivienne, aussi, évolue. Leur histoire se passe au milieu du 19e siècle mais elle pourrait se produire aujourd’hui, peut-être. Sauf qu’à cette époque-là, la société était très dominée par les hommes. Maintenant, cette domination masculine diminue même s’il y a encore des luttes à mener.

Vicky Krieps dans le rôle de Vivienne
Vicky Krieps dans le rôle de Vivienne Photo: Talipot Studio

Pensez-vous que le film a une connotation féministe?

Non, je ne pense pas. Disons qu’il est orienté vers les femmes. Je me demandais ce qu’elles pensent quand leur mari, leur père, leur frère partent pour faire ces guerres masculines. Je voulais explorer le point de vue des femmes qui se retrouvent seules et ce qui se passe avec elles.

Quel regard portez-vous sur les Etats-Unis, à l’approche des élections présidentielles?

Les guerres en Ukraine et à Gaza sont des enjeux importants. La guerre apporte toujours de la tristesse, de la destruction. Ce n’est jamais bon. Mais parfois c’est nécessaire de se défendre, vous savez, même si vous n’aimez pas la guerre. Je ne défends pas Biden. Je défends l’Ukraine. En revanche, je suis anti trumpiste. Il n’y a pas d’option. C’est un choix ridicule, mais c’est comme ça. Je suis américain, et je passe beaucoup de temps là-bas, et je suis souvent avec mon fils. Je n’ai rien contre les gens, les animaux, les paysages des Etats-Unis. J’ai un problème, comme beaucoup de gens, avec le gouvernement et la politique.

Vous portez bien l’Andúril, l’épée d’Aragorn que vous aviez utilisée dans „Le Seigneur des Anneau“?

Oui. Il me fallait une épée médiévale pour incarner le chevalier. On m’avait présenté plusieurs modèles. Aucun ne me plaisait vraiment. J’ai demandé à Warner Bros et Peter Jackson l’autorisation de pouvoir utiliser mon épée Andúril. Ils ont accepté à condition qu’elle n’occupe pas tout l’écran. Je m’en suis donc servie pendant quelques minutes et, à distance de la caméra.

The Dead Don’t Hurt

L’Ouest américain des années 1860: Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps) rencontre Holger Olsen (Viggo Mortensen), un immigrant danois. Ensemble, ils s’installent dans le Nevada, mais la guerre de Sécession bouleverse leur existence. Vivienne se retrouve confrontée à la solitude et aux menaces du maire corrompu et d’un riche propriétaire terrien. Le retour d’Holger après la guerre les oblige à se redécouvrir et à s’accepter dans leurs réalités nouvelles.
L’histoire commence avec un chevalier en armure galopant à travers une forêt verdoyante. Puis une femme, allongée sur son lit de mort, apparaît. Une larme coule sur sa joue. Nous n’apprendrons ce qui s’est déroulé qu’au fur et à mesure que le film progresse, décrivant la relation amoureuse entre Holger et la Canadienne d’origine française, Vivienne, après leur rencontre à San Francisco. Derrière la caméra, Viggo Mortensen insuffle à ce western au rythme lent un style visuel élégant, sublimé par une musique aux tonalités chagrines qu’il a lui-même composée. Relevant du slow cinema, „The Dead Don’t Hurt“, deuxième long métrage de Viggo Mortensen, rend compte de l’univers mental d’un homme et d’une femme percutés par la guerre de Sécession. Sa présence d’acteur, imposante, remplit l’écran. Vicky Krieps livre une nouvelle performance étonnante. „Sa“ Vivienne est à la fois courageuse et vulnérable, féroce et aimante. L’actrice luxembourgeoise saisit toutes les nuances d’une destinée féminine.

„The Dead Don’t Hurt“ de Viggo Mortensen. Avec Viggo Mortensen, Vicky Krieps, Danny Huston, Garret Dillahunt. En salles à partir de mai.