Politique culturelleDu fantasme au réel – un „Arts Council“ pour le Luxembourg

Politique culturelle / Du fantasme au réel – un „Arts Council“ pour le Luxembourg
Valérie Quilez et Diane Tobes, les deux coordinatrices de Kultur:LX Photo: Editpress/Claude Lenert

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Dès les premières Assises culturelles, la création d’un „Arts Council“ pour le Luxembourg fait rêver le secteur culturel. En été dernier, l’asbl de préfiguration Kultur:LX est fondée et après un moment de suspense riche en rumeurs, Valérie Quilez et Diane Tobes sont nommées à la tête de cette hydre. Afin d’en savoir un peu plus sur les premiers pas concrets de cette structure, le Tageblatt a parlé aux deux responsables dans les locaux de music:LX.

Depuis qu’on en parle, Kultur:LX apparaît comme une structure mystérieuse, dont les grandes lignes restent abstraites. Dans une première mouture du plan de développement culturel, on évoquait un organe de subventionnement indépendant, qui serait aussi en charge de la mobilité, de la promotion et de la diffusion de la culture luxembourgeoise. Puis Catherine Decker, présidente de l’asbl de préfiguration, dessinait, lors des dernières Assises culturelles, le double but de soutenir le développement de carrière des artistes et de promouvoir l’export de la culture luxembourgeoise. Installées depuis le 1er février dans les locaux eschois de music:LX, Valérie Quilez, ancienne responsable de la Mission culturelle du Luxembourg en France, et Diane Tobes, qui fut chargée de programmation à Neimënster puis responsable projets et partenaires du LuxFilmFest, nous éclairent non seulement sur les missions de Kultur:LX, mais aussi sur leurs visions du paysage culturel luxembourgeois.

Tageblatt: Quelle est, de façon succincte et dans vos termes, la fonction de Kultur:LX? Et quels seront vos premiers pas concrets – puisque le programme est très, très vaste?

Valérie Quilez: Nos premiers pas sont impliqués dans une stratégie globale. Avant de mettre en place quelque aide supplémentaire ou quelque nouveau programme que ce soit, on veut re-consulter l’ensemble du secteur. On a tout un calendrier de rendez-vous qui se remplit au fur et à mesure pour aller re-rencontrer tout le monde afin d’être au diapason de ce dont a besoin le secteur. Quand on dit secteur, cela implique plusieurs strates. Ce sont d’abord les artistes, qui sont pour la plupart – pas encore tous, malheureusement – représentés au sein de fédérations, qui sont pour nous des courroies de transition très importantes à solliciter. Il y a ensuite les institutions, qui sont en général les premiers accompagnateurs, diffuseurs et producteurs des artistes. Enfin, il y a ces intervenants qui financent déjà la culture comme le Focuna, l’Œuvre ou le ministère de la Culture. Dans un premier temps, on cherchera à différencier entre ce qui va rester du domaine de chacun et ce qui devra être centralisé par Kultur:LX. Il s’agit là d’un travail de six mois à un an, le temps de redessiner une cartographie. On consulte les données qu’on a, on évalue les dispositifs d’aide qui existent puis on voit comment quelle place on occupera dans tout ça. Qu’on se rassure toutefois: les aides qui existent à l’heure actuelle resteront existantes. Personne ne tombera dans un trou de financement.

Au-delà de cette cartographie, quelles sont les priorités sur les plans national et international?

V.Q.: Pour la partie export, donc pour la diffusion à l’international, on est en train de prendre contact avec des homologues, comme Pro Helvetia, pour évaluer leurs politiques. Je pense que les systèmes préexistants, qui avaient fait leur preuves jusqu’à très récemment, sont en train d’être remis en question: l’on réévalue ce que ça signifie d’être présent sur un festival, dans une Biennale, d’être dans l’hypermobilité dans un contexte pandémique en se demandant quels seraient d’éventuels recentrages à faire. La mobilité internationale doit désormais être conçue dans la coopération et la co-construction. Quand il y a des moments empêchés, il y a plus de chances de reporter ou de trouver de nouvelles formes si la collaboration et le réseau dans lequel on se tient est fort. Si nous cherchons le contact à l’international, c’est pour nous insérer dans un réseau international, mais aussi pour faire comprendre qu’il y a une porte d’entrée unique et facilitée pour le Luxembourg. L’idée étant qu’on passe par Kultur:LX, qui dispatchera ensuite vers les responsables en termes de qualité, de contenu, d’artistes.

Diane Tobes: Sur le plan national, on ralliera d’abord les différents secteurs, qu’on aura tous sous un toit. On a déjà fait l’intégration de music:LX qui n’existe plus sous sa forme passée. C’était un premier pas important. Les autres vont suivre, l’idée étant d’arriver à long terme à un équilibre entre les différents secteurs, d’aider à favoriser tout le secteur culturel dans son acquisition de nouvelles compétences et de travailler au-delà des frontières. Mais pour que ce saut vers l’international se fasse avec succès, il faut que la base nationale soit faite.

Comment comptez-vous les consolider, ces bases?

D.T.: Notre travail consistera d’abord à regrouper les inputs qu’on va avoir de différents acteurs sur le terrain et d’en déduire quels sont les réels besoins dans chaque discipline pour savoir où on peut apporter un plus.

V.Q.: Le problème n’est pas celui de la qualité. Il y a beaucoup de productions luxembourgeoises qui ont le potentiel d’entrer en dialogue avec des productions internationales. On sait qu’il y a des métiers qui manquent au Luxembourg – mais ces métiers relèvent plutôt de l’entourage des artistes – des agents littéraires, des managers. Le vivier est riche et qualitatif, mais il n’est pas très étendu. Du coup, certains métiers ont du mal à trouver leur place et à se développer parce qu’il n’y a pas assez d’artistes, et de possibilités d’en vivre. Une question cruciale est: comment trouver des solutions pour accompagner des artistes sur les volets qui ne sont pas de leur unique compétence? On demande aujourd’hui à l’artiste d’être multi-casquettes, d’être son propre comptable, son propre producteur, son propre agent, on exige qu’il trouve en lui-même toutes les ressources pour pouvoir réaliser son projet. L’artiste a certes besoin d’avoir une vision globale de ce dont il a besoin – mais il n’est pas normal qu’on demande, dans un métier, de cumuler l’ensemble des compétences en une personne. On retrouve ce problème au niveau des structures – car là encore, ça ne manque ni de compétences, ni de qualité, ni d’envie, mais de ressources humaines. Dans le spectacle vivant, beaucoup d’institutions arrivent au maximum de leurs capacités parce qu’elles mettent tout dans la création et sont débordées, au point qu’elles voient trop tard qu’il aurait fallu, un an auparavant, d’essayer de trouver des partenaires.

Le rôle de Kultur:LX consistera-t-il à offrir une consultation ou à fournir les ressources humaines qui font défaut?

V.Q.: C’est un peu les deux. Une structure, si intelligente ou dynamique soit-elle, ne possède pas toutes les solutions. Mais elle peut trouver les personnes qui proposent des solutions, qui ont des réponses.

D.T.: C’est pourquoi la question du réseautage, qu’on élabore au fur et à mesure et ensemble avec les autres Arts Council, est si centrale. On est vraiment l’outil pour le secteur au service des professionnels et des acteurs.

V.Q.: Quand on s’aperçoit qu’il y a un déficit, on essaiera de travailler ensemble sur des thématiques qui concernent parfois des secteurs très variés. On a pris l’habitude que chacun se pose les questions dans son coin, non par manque de transparence, mais parce qu’on ne s’imagine pas que les autres travaillent aussi sur cette question-là. On voudrait rassembler les énergies afin d’éviter qu’elles se perdent dans des redondances.

Après l’intégration de music:LX, celle de Reading Luxembourg, du TROIS C-L et du volet mobilité du Focuna s’ensuivront – comment se dérouleront ces enchâssements successifs? Et quelle indépendance ces structures garderont-elles? Qu’en est-il des autres disciplines?

D.T.: D’un point de vue des ressources humaines, il nous faudra recruter d’abord, afin qu’on ait une visibilité à l’extérieur, un responsable communication. C’est dans cette optique de visibilité qu’on mettra en ligne une première version de notre site fin avril ou début mai. On essaiera ensuite de mettre en place les postes pour les responsables des arts audiovisuels et des arts de la scène. Pour ce qui est du TROIS C-L, il y aura quelques aides qu’on reprendra. Mais le TROIS C-L reste une institution culturelle à part entière. Il restera l’interlocuteur principal pour la danse au Luxembourg.

V.Q.: Il en va un peu différemment de l’intégration de music:LX et de celle de Reading Luxembourg, prévue d’ici juillet. On ne va pas tout révolutionner, mais on va être amené à redéfinir certains contours pour rentrer dans la mission de ce qu’est un Arts Council. On analysera ce qui a bien fonctionné, ce qui mériterait d’être repris tel quel, ce qu’on peut réévaluer, ce qu’on peut apporter de nouveau et ce qui peut être abandonné. Enfin, les aides à la mobilité du Focuna sont les plus faciles à intégrer.

D.T.: Même si, de mobilité, il n’y en a guère en ce moment.

L’on a parfois parlé des défauts de music:LX – l’un aurait été d’envoyer des musiciens aux quatre coins du monde, dont ils revenaient sans avoir pu faire du réseautage, ces musiciens ayant eu l’impression de ne faire que nourrir des statistiques. Avez-vous une approche différente?

V.Q.: On a beaucoup de chance d’intégrer music:LX. Ils ont dix ans d’expérience – et ils ont dix ans d’expérience de ce qui peut être l’appréhension même d’un bureau d’export par le secteur. Quand on crée un bureau d’export, on crée des fantasmes. On crée Kultur:LX, on devient le miroir des fantasmes des autres. Chacun va regarder dans ce miroir et y projettera ce qu’il s’imagine être derrière un Arts Council. Des fois, on va être en adéquation avec cette imagination, d’autres fois pas du tout, et ça peut être déceptif. Pour avoir parlé avec Giovanni (Trono, responsable de music:LX, ndlr), qui nous a donné, ensemble avec son équipe, toute sa compétence et qui pointe lui-même quelques défauts de certaines ambitions en disant qu’on a parfois poussé trop loin certains critères qui ne correspondaient pas, on sait qu’il faut essayer de faire comprendre au secteur ce qu’on est et ce qu’on n’est pas – on n’est pas des tourneurs, on n’est pas des agents, on n’est pas des bookeurs. Le changement de logo, de tête, permet peut-être de repositionner ces bases-là.

Comment votre indépendance, soulignée dans une première mouture du KEP, est-elle garantie quand on sait que le CA comporte une majorité de membres issus de trois ministères (six contre cinq représentants culturels) et que toute „élaboration par le ministère d’une politique de soutien“ aura des répercussions sur le fonctionnement de Kultur:LX?

V.Q.: Oui, il y a plusieurs représentants de l’Etat dans le CA. On est un outil de politique culturelle, il est donc tout à fait légitime que le ministère de la Culture soit impliqué dans la structuration afin de veiller à ce qu’on accomplisse notre mission de développement du secteur. Nous, on propose un répertoire d’aides qui va s’étoffer au fur et à mesure. Mais pour déterminer qui sera le destinataire de ces aides, il y aura un comité d’experts, un jury. L’Etat n’est pas du tout impliqué dans ces décisions, quitte à ce qu’on puisse avoir des membres du ministère experts sur de la danse, du théâtre …

D.T.: Les jurys seront soumis à un renouvellement afin qu’on n’ait pas toujours les mêmes têtes, qu’il y ait d’autres avis qui émergent.

Diane Tobes
Diane Tobes Photo: Editpress/Claude Lenert

Y a-t-il des idées pour développer le réseautage encore plus en avant qu’on ne le fait déjà maintenant – et quels sont les défis qui se posent pour un petit pays? Pour les résidences, est-il prévu d’en offrir plus, d’en créer de nouvelles?

V.Q.: Il faut d’abord voir où il y a un besoin de résidences et où il n’y en a pas encore. Ce sont des questions de territoire, de langue, mais aussi des questions de disciplinarité. Il s’agit d’un travail de recherche à faire.
Il faut aussi approfondir l’analyse des résidences et bourses existantes en se demandant: combien de candidatures sont déposées? Comment sont-elles reçues, est-ce que les artistes sont capables de les prendre en compte, peuvent-ils se rendre disponibles pour deux, trois, six mois à l’étranger? Je suis d’accord pour augmenter le réseau de résidences – mais il faut que les artistes les utilisent réellement. On peut évidemment jouer sur les rythmes, on peut penser à une présence luxembourgeoise tous les deux ans, pour que les artistes puissent bénéficier d’une année de préparation et d’organisation en amont de la résidence. Il faut travailler les rythmes, les temporalités, les territoires et les réseaux. Au moment où on arrive à centraliser un peu mieux les résidences, il devient plus facile de créer des ponts et des réseaux, dont bénéficieront aussi les résidences qui sont en train d’être mises en place au Luxembourg, tout l’intérêt étant d’avoir une circulation.

D. T.: Pour être invité, il faut inviter en retour. Il faut suivre de près les initiatives que „neimënster“ veut mettre en place. Pour ces initiatives-là, il faut voir comment nous on peut aider et comment on peut s’intégrer et de profiter pour faire des synergies et des ponts.

Comment voyez-vous l’évolution du contexte actuel, où les événements à l’international sont devenus difficiles? Dans le contexte littéraire par exemple, après deux ans de présence forte du Luxembourg à Francfort, on assiste à des annulations en série et les solutions de repli sur le digital et le national connurent des succès mitigés …

V.Q.: Même si la pandémie incite à repenser les salons à l’aune du développement durable, ça reste des endroits très importants pour faire du réseau, pour se montrer, pour être présent: on y rencontre tout le monde en quelques jours. Quand on arrive à y aller de façon groupée, on a une présence de frappe différente que si chaque éditeur ou si chaque artiste s’y rend dans son coin. C’est un format qu’on ne voudra pas arrêter, même si là, ça ne dépend pas de nous. Je pense qu’on en est encore au début des possibilités de ce qu’on pourrait faire avec le digital. Il faudrait y créer des plateformes qui ne se contenteront pas de copier-coller sur le digital ce qu’on aurait fait „en vrai“ mais de développer des outils de création qui exploitent ce que le digital peut offrir. Après, quand on n’a pas de présence physique sur les salons, le monde ne s’arrête pas de travailler et il faut se demander s’il n’y a pas d’autres chantiers qu’il serait intéressant de démarrer et de mettre en œuvre – et qui concerneraient par exemple une recentralisation sur des dispositifs ici au Grand-Duché.

Quels seraient ces programmes?

V.Q.: Il y a notamment des programmes à développer en termes de traduction, de prise de contact. L’idée de Marc Rettel (responsable de Reading Luxembourg, ndlr) de créer une ambiance de rentrée littéraire était très bonne. Il faudrait densifier ces actions-là. Car mine de rien, une rentrée littéraire signifie que le pays a des auteurs. Une rentrée littéraire fait débat. Se pose aussi la question de la traduction: est-ce que les populations résidentes du Luxembourg, qui ne sont pas toutes polyglottes, ont un accès suffisant à la littérature luxembourgeoise? Car les freins sont des freins de texte, de traduction.

Le cinéma ne tombe pas sous la coupe de la culture – est-ce que c’est gênant pour Kultur:LX?

D.T.: C’est à nous de faire en sorte que ça ne gêne pas. Le Film Fund est en charge de la promotion de ce secteur-là – et on ne peut que profiter de son expérience et de ses connaissances.

V.Q.: On n’est pas obligé d’être tous sous le même toit pour avancer ensemble. Par ailleurs, il y a des endroits très spécifiques où par nécessité, on sera ensemble: prenons les artistes de réalité virtuelle qui se retrouvent dans le champ des arts visuels mais qui, en termes de production, sont soutenus par le Film Fund. Il y a des champs de création dont l’industrie du film est en capacité de répondre parce qu’ils ont un peu plus de sous et des modèles financiers qui le permettent. Pour autant, les canaux de diffusion et de distribution ne sont pas les mêmes, puisqu’il ne s’agit pas typiquement des distributions dans des salles de cinéma: ce sont beaucoup des distributions dans des centres d’art ou des festivals de VR. On parle beaucoup de pluridisciplinarité. Dans ce cas-là, il faudrait que les ministères soient pluridisciplinaires. Mais les guichets sont encore cloisonnés.

Le milieu culturel est petit et on retrouve souvent les mêmes acteurs, parfois à tous les niveaux hiérarchiques possibles – comment éviter le risque d’une trop grande concentration des pouvoirs?

V.Q.: C’est une question de juste distance aux choses, de pouvoir à un moment apprécier la qualité intrinsèque d’un travail, peu importe qui le porte. Pour les créations qu’on a envie de soutenir, on va définir un groupe d’enjeux, qu’on détaillera sur le site Internet – c’est déjà une base de travail objective. On retrouvera peut-être certaines personnes plus souvent que d’autres, peut-être parce qu’elles font plus de demandes, qu’elles sont plus présentes que d’autres. Si certains sont peu présents parce qu’ils estiment ne pas connaître les accès aux financements ou à l’accompagnement, il y a un souci. Mais en général, le fait d’être présent à l’international comme au national et dans les réseaux, ça demande un engagement sans faille du créateur lui-même. C’est une question d’envie et de désir partagés. Et ça doit se faire ensemble.