„The Testaments“ de Margaret Atwood„It’s always the same plot“

„The Testaments“ de Margaret Atwood / „It’s always the same plot“
L’autrice canadienne Margaret Atwood dit „ne pas avoir eu besoin“ du Booker Prize qu’elle remporte ensemble avec Bernardine Evaristo

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Couronné par le Booker Prize, „The Testaments“ de Margaret Atwood est la suite de „The Handmaid’s Tale“, dont il reprend et développe l’univers misogyne et fanatique 34 ans après la publication du roman-culte. Si c’est toujours aussi bien ficelé, qu’on a envie de le finir d’une traite et qu’on partage avec l’autrice canadienne le plaisir (douteux) de replonger dans l’univers de Gilead, la nécessité d’une telle suite n’apparaît pas toujours.

„The Testaments“ est un de ces livres dont on aura beaucoup parlé sans qu’on ait vraiment débattu de ses qualités ni évoqué son contenu.

Il y eut tout d’abord l’annonce de sa publication peu après que „The Handmaid’s Tale“ (1985), dont il est la suite, a connu une deuxième jeunesse grâce au succès de la série éponyme sur Hulu. Les férus du Booker Prize, qui dévorent dès leur annonce la „longlist“ et la „shortlist“ dudit prix, durent prendre leur mal en patience puisque le roman figurait sur les deux listes avant même qu’il ne fût publié.

Le jour de sa publication, certaines librairies ouvraient à minuit, et les traductions étaient publiées en simultané comme il se doit pour de tels futurs bestsellers – la machinerie commerciale, consciente du succès de la série télévisuelle, tournait efficacement et si ça pouvait exaspérer un peu, il était tout aussi satisfaisant de voir qu’une œuvre littéraire parvenait encore à susciter un tel engouement.

Il y eut ensuite, dans un deuxième temps, la polémique du Booker Prize. Les jurés, enfreignant le règlement qui n’autorisait pas que deux romans fussent couronnés en même temps, attribuèrent le prix conjointement à Bernardine Evaristo pour „Girl, Woman, Other“ et à Margaret Atwood pour „The Testaments“, expliquant qu’il leur avait été impossible de choisir entre les deux.

Après que Margaret Atwood eut déclaré, lors de son discours de remerciement, qu’elle n’avait pas vraiment besoin de ce prix – ce qui est assez incontestable – des voix se firent entendre, qui reprochèrent à juste titre que comme par hasard, pour une fois qu’on couronnait une autrice noire, il fallait lui adjoindre une deuxième lauréate, blanche. Comme si l’ouvrage d’Evaristo (sur lequel nous reviendrons dans cette série) n’avait pas été assez bon pour porter le Booker à lui tout seul.

L’éditeur de Lucy Ellmann, autrice de „Ducks, Newburyport“ – un pavé de mille pages qu’un pauvre correspondant s’est porté volontaire de recenser (on reste sans nouvelles de lui depuis) – aurait de surcroît détecté un vice de forme, le jury ayant affirmé récompenser l’œuvre d’Atwood alors que le Booker Prize est censé primer un texte en particulier.

Un „1985“ féministe

Si peu, du coup, a été dit du roman – et si nous sommes en train de tourner nous-mêmes autour du pot – c’est aussi parce que c’est un livre dont il est difficile de parler, non pas que son intrigue ne serait pas aisément résumable (elle l’est), qu’il n’y ait pas beaucoup à dire sur l’univers théocnomique misogyne de Gilead et ses recoupements d’avec le monde d’aujourd’hui (il y en a presque trop) ou qu’il n’y ait pas d’analyse à faire sur la forme choisie et le style d’Atwood (c’est parfaitement ciselé et les trois narratrices ont des voix très différentes), mais pour la simple raison que le bouquin vit tant de ses surprises qu’on s’en voudrait de trop vous en dire et que son intrigue se construit tant sur le premier volet que certaines révélations – y inclus la révélation de l’identité de certaines narratrices – ne fonctionnent que si vous avez (re)lu le premier tome, une sorte de dystopie rappelant, de par la société de surveillance réciproque qu’il décrivait, l’Orwell de „1985“ („The Handmaid’s Tale“ fut d’ailleurs publié en 1985), mais avec des éléments de fanatisme religieux et de misogynie en plus.

Dans le monde dystopique d’Atwood, la fécondité de l’humanité a connu, à cause de la pollution environnementale, une baisse signifiante. Une secte fanatique, les frères de Jacob, a instigué un coup d’Etat pour prendre le pouvoir aux Etats-Unis, qui s’appellent désormais La République de Gilead. D’un jour à l’autre, la population féminine entière s’est vu refuser l’accès à ses comptes bancaires et destituer de son emploi.

Dans la nouvelle organisation des frères de Jacob, les femmes n’ont plus aucun pouvoir et doivent, un peu comme la femme aryenne, veiller à entretenir le foyer (pour ce faire, les „Epouses“ des „Commandants“ dirigent un lot de „Marthas“, des gouvernantes soumises au bon vouloir tyrannique des „Epouses“) et à procréer (si l’„Epouse“ n’est pas féconde, on fera venir une „Servante“, remplaçable si elle ne remplit pas sa fonction et s’avère inféconde à son tour).

La société patriarcale du roman n’est, évidemment, qu’une extrapolation de toute la misogynie contenue dans la nôtre: le lecteur choqué par les énormités proférées et commises à l’encontre des habitantes de Gilead n’aura qu’à penser à tous ceux qui, un jour, dans notre réalité à nous, ont affirmé que si une femme en mini-jupe s’est fait violer, c’est qu’elle l’aura quand même un peu cherché. C’est contre ces gens-là, contre cette réalité sociale que le roman d’Atwood a été écrit. Et force est d’admettre qu’il est plus actuel que jamais.

Quinze ans plus tard

L’action de „The Testaments“ se situe quinze ou seize ans après qu’Offred, la narratrice de „The Handmaid’s Tale“, a disparu des circuits officiels sans que le lecteur ait pu connaître sa destinée exacte. Les trois narrations sont, comme dans le premier roman, des transcriptions ou des documents découverts par la postérité, dans un monde où Gilead a cessé d’exister.

Comme dans „The Handmaid’s Tale“, l’épilogue mettra en scène un colloque d’historiens spécialisés dans l’histoire de Gilead qui débattront de l’authenticité et des circonstances de production des manuscrits que le lecteur vient de lire et qui, pour ce deuxième roman, tournent autour du destin de la jeune Agnès, qui grandit dans une famille élue et dont le destin est de devenir l’épouse d’un commandant renommé et de la tout aussi jeune Daisy, qui vit au Canada et qui participe, en début de roman, à une marche contestataire contre Gilead.

Dans l’ombre conspiratrice, la terrible tante Lydia, dont les lecteurs du début se souviendront, complote et intrigue à la manière d’un Frank Underwood dans „House of Cards“, manipulant à tant de niveaux que ça en devient vertigineux tout en racontant les débuts de Gilead, la façon dont son destin a chaviré, le roman s’offrant, dans cette narration, quelques réflexions pertinentes sur le fonctionnement du pouvoir tout en insufflant un peu d’humanité à ce personnage cruel dont les deux premières phrases, grandioses, hanteront le roman entier: „Only dead people are allowed to have statues, but I have been given one while still alive. Already I am petrified.“

Dans „The Handmaid’s Tale“, l’on restait enfermé dans le monde claustrophobe d’Offred – le confinement de la narratrice était formellement imité par le cloisonnement d’une narration homodiégétique, qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez et, à cause des bonnets que les servantes sont obligées de porter, parfois moins loin encore, les bonnets faisant office d’œillères guidant et restreignant le champ visuel de la servante. Ce confinement permettait à Atwood de lever lentement le voile sur l’enfer d’un monde fanatique, concentrationnaire et misogyne.

Pour „The Testaments“, de telles précautions paraissaient inutiles – l’autrice sait pertinemment que la plupart de ses lecteurs auront pris connaissance de son univers, que ce fût à travers la lecture du roman ou du visionnement de la série, et qu’il ne serait en l’occurrence pas narrativement fructueux de restreindre une deuxième fois, hormis par plaisir de l’ironie dramatique – un ressort sur lequel le roman s’appuie souvent –, le roman à l’ingénue vision du monde d’une héroïne innocente.

Atwood y substitue donc une narration alternée et contrastée, où la naïveté des unes se frotte à la froide lucidité de l’autre. Cette ouverture narrative permet à Atwood de tisser des liens entre ses narratrices d’une façon qui force le respect, mais en fait un roman „Netflix“, qui mise plus sur les coups de théâtre et les revirements en fin de partie que sur la construction patiente d’une ambiance et d’un monde.

Comme le dira tante Lydia: „How tedious is a tyranny in the throes of enactment. It’s always the same plot.“ En voulant à tout prix éviter le piège de la redondance tout en donnant au lecteur le sentiment de se mouvoir en terrain connu, Atwood a écrit un livre haletant, qu’on lit d’une traite, mais à qui manque un peu le caractère novateur et claustrophobe du premier tome.

Info

Margaret Atwood, The Testaments, 2019, Penguin Random House, 419 pages