Musée Dräi EechelenDix années d’acquisitions

Musée Dräi Eechelen / Dix années d’acquisitions
Charles le Téméraire, d’après Giovanni di Niccolo de Luteri, 124 x 99 cm (avec cadre) Photos: MNHA/Tom Lucas

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Avec l’exposition „Collect10ns“ qui se tient jusqu’au 12 mars 2023, le musée Dräi Eechelen célèbre ses dix ans par une riche rétrospective de ses acquisitions. Sous toutes leurs formes et leurs couleurs. 

Pour qui veut savoir comment on acquiert et quelle est l’histoire des tableaux et objets qui font la collection d’un musée historique comme celui de Dräi Eechelen, l’exposition „Collect10ns“ est très instructive. Aux commandes de l’institution depuis décembre 2009, François Reinert évoque „une pléthore d’acquisitions“ et selon des moyens très variables comme il l’écrit en introduction du catalogue de l’exposition – (…) „grâce à une recherche assidue, à des contacts soignés et entretenus, à la simple coïncidence, à la chance de les repérer au hasard de leur apparition sur le marché, et bien sûr au gré des disponibilités budgétaires“.

Dix ans et 224.000 visiteurs après son ouverture, il a semblé le moment opportun à l’équipe du musée Dräi Eechelen de faire un bilan de la manière dont la collection s’est enrichie depuis son lancement et faire, en même temps, œuvre d’archiviste en mettant sur papier toutes les informations récoltées sur les œuvres, mais aussi sur l’histoire instructive de leur parcours et de leur acquisition. 

Ces acquisitions peuvent en effet s’opérer auprès de vieilles familles luxembourgeoises, comme les Munchen, les Blochausen, les Tornaco et autres Bech, restées bien conservées à l’ombre de leurs demeures. Mais elles peuvent, à l’image d’ailleurs du public qui vient les admirer, venir d’horizons bien plus divers. 

Un achat téméraire

Pour présenter toute la richesse de la collection, l’équipe a opté pour un parcours chronologique et un voyage centré sur les objets et leurs histoires, du plus précieux au plus banal. Au premier étage du musée, on est plongé dans la solennité de la période bourguignonne, avec un portrait de Charles le Téméraire. Le musée, au fil des années, a voulu collectionner des portraits d’hommes forts en rapport avec la forteresse. Lorsqu’un soir de Noël 2021, François Reinert, surfant sans grande ambition sur internet, a découvert la mise en vente d’un portrait de Charles le Téméraire, il s’est dit que c’était le moment de faire entrer l’ambitieux duc de Bourgogne et du Luxembourg (entre autres) dans la collection. Le lendemain, il s’informe auprès de l’antiquaire pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une copie du XIXe siècle, mais bien d’un tableau du XVIe, puis l’a réservé. En fait, le tableau avait été mis aux enchères à 1.000 euros par une salle de ventes de Beaune en octobre. Il était parti à 6.800 euros, mais c’était encore trop peu au vu de sa valeur. L’acheteur, flairant le bon coup, l’avait alors revendu à un antiquaire.

Le tableau appartenait au mobilier du château de la Rochepot en Bourgogne. D’ailleurs, il avait déjà un rapport avec le Luxembourg depuis 2015, puisque le château avait à cette époque été racheté par un groupe d’investisseurs ukrainiens basés au Luxembourg, comme on le lit dans le catalogue. Une simple recherche sur internet permet d’ailleurs de compléter que l’opération immobilière avait été une escroquerie et que la vente aux enchères, contestée par les riverains et les élus locaux, en était une conséquence directe. 

L’acquisition des portraits de Louis XIV, de Maximilian von Bayern comme de Thüngen est moins sulfureuse.  Le tableau représentant Adam Sigmund von Thüngen fut proposé au musée par un mail envoyé de Dubaï. L’héritier du tableau non signé, mais dont le modèle était inscrit au revers de la toile, suggérait au musée que son tableau pourrait l’intéresser. Or, ce portrait n’était connu qu’au verso d’une brochure éditée pour le 75e anniversaire de la société chorale Klang & Sang, en 1932, année des 200 ans d’existence du Fort Thüngen qui abrite le musée Dräi Eechelen. Le portrait, qui a été réalisé en 1720 en Franconie, au retour des guerres de Turquie, douze ans avant que von Thüngen devienne le commandeur du duché et épouse une fille de l’aristocratie luxembourgeoise, ne pouvait qu’intéresser l’institution muséale.

Au rayon des portraits, ceux-là d’une facture toute autre, on notera notamment un lot de sept tableaux des XVIIe et XVIIIe siècles, acquis en avril 2017 auprès de la petite-fille de l’ancien ministre d’État Joseph Bech. C’est le genre de lot rare, comme seuls les Munchen en détenaient de similaires. Les ancêtres représentés n’ont aucun rapport avec les Bech, mais en ont avec la maison (rasée en 1963) que ces derniers habitaient dans la rue de Chimay à Luxembourg. Y sont notamment portraitisés les acheteurs de la maison, le riche commerçant Henri Ambroise Hencké et son épouse Marie-Catherine Servais. C’est le mariage avec cette dernière femme autochtone et catholique qui a permis à Henri Ambroise Hencké d’exercer le commerce qu’on lui refusait parce qu’il était luthérien (venu de Palatinat) et de devenir un des plus riches marchands et citoyens de la ville. Son enterrement en 1804 dans le cimetière catholique provoquera malgré tout une émeute et on l’inhumera au pied du mur de clôture pour calmer les esprits. 

Adam Sigismund von Thüngen, huile sur toile, 82 x 65,5 cm
Adam Sigismund von Thüngen, huile sur toile, 82 x 65,5 cm

Certaines œuvres semblent à première vue d’un intérêt particulier aussi pour l’histoire de l’art, comme ce tableau qu’on dirait naïf avant l’heure, mais acquis pour sa „valeur documentaire unique“ après „de longues et particulièrement tenaces négociations“. Acquis en 2013 auprès des héritiers de l’enseignant Fernand Wictor, bien connu des collectionneurs de monnaie, cette aquarelle, intitulée „L’entrée du Prince de Ligne en 1781“ est une représentation haut en couleurs, d’un représentant de l’Empereur, en l’occurrence le prince de Ligne, connue comme le prince Rose, couleur qui, comme le grand nombre de ses domestiques, exprimait le faste. On observe des plumets jaunes, des collets rouges, les maîtres de métiers de la ville vêtus de longs manteaux bleu ciel, dans ce tableau de jeunesse que l’équipe du musée attribue à un membre du régiment des dragons wallons d’Arberg représentés en tête du cortège, et qui se serait inspiré de la gravure bien connue d’une procession religieuse. 

L’abbaye de (Neu)münster avant

Les recherches pour les catalogues d’expositions donnent des idées d’acquisition. Parfois, ce sont les expositions qui elles-mêmes sont sources de nouvelles acquisitions. En juin 2019, alors que démarre l’exposition „Et war eemol e Kanonéier. L’artillerie au Luxembourg“, pour laquelle le musée a acquis deux haquebutes fondues à Amiens, un collectionneur belge adresse un mail au musée pour dire qu’il vient d’acquérir deux canons en bronze, qui se révèlent être ceux qui avaient été retrouvés en 1926 dans le puits du château médiéval de Brandenbourg. Ils avaient appartenu à la baronne de Brocqueville, propriétaire du château de Birtrange (à côté de Colmar-Berg), ancienne demeure du baron de Blochausen. Les deux canons fondus par le maître fondeur Caspar à Vianden sont les seuls canons made in Luxembourg connus jusqu’à ce jour.

Vue de l’abbaye de Münster, 31,3 x 19,5 cm
Vue de l’abbaye de Münster, 31,3 x 19,5 cm

C’est à un bibliophile averti qu’on doit d’avoir retrouvé une représentation jusque-là passée inaperçue de l’ancêtre de l’abbaye de Neumünster, l’abbaye de Münster. Elle figurait dans la deuxième édition de la „Monasteriologia“ publiée en 1638 par le Bénédictin Karl Stegel, dans laquelle treize abbayes sont présentées dans le détail. C’est la première vue de l’abbaye entre sa destruction de 1543 et sa destruction en 1684 à la suite du siège par les Français. Ce dernier siège est au contraire richement documenté au musée Dräi Eechelen. Un portrait de Louis XIV, une pièce commémorative du siège, comme une aquarelle qui représente le détail d’une toile du peintre des conquêtes du Roi Soleil, Van der Meulen, figurent parmi les prises relatant ce dernier épisode.

Les plans de la forteresse, qu’ils soient réalisés de la main d’ingénieurs ou d’auxiliaires militaires, apparaissent régulièrement sur le marché des antiquités et viennent enrichir la collection. Il en est de même des armes comme des faïenceries. Dans cette dernière catégorie, un plat à barbe de la manufacture Boch à Septfontaines fait sensation. Il a surgi dans une vente parisienne en novembre 2015, suite au décès d’un collectionneur, Charles Tousch, médecin d’origine luxembourgeoise établi à Paris, qui a fréquenté pendant quarante ans les salles de vente à la recherche notamment des productions des frères Boch. Sur ce plat à barbe, c’est le soldat de l’armée napoléonienne Philippe Nilles qui s’est fait représenter en armes. C’est un „nouvel exemple du culte du souvenir de la période napoléonienne à Luxembourg“, lit-on dans le catalogue. „Il se retrouvait ainsi même sur les faïences, où il culminera dans toute une série de plats et assiettes à décor imprimé montrant les faits d’armes de l’empereur, édités à plusieurs reprises entre 1830 et 1850.“

D’un beau tableau de la famille du peintre-décorateur Lambert Schaack (dont il reste à écrire l’histoire), composé au milieu du XIXe siècle, aux rosaces qui ornaient le Prinz-Heinrich-Thor retrouvées en 2015 dans un jardin de Bonnevoie, en passant par le brouillon du discours du 10 novembre 1914 annoté par la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde et rédigé par le ministre d’État Paul Eyschen, les objets de curiosité sont très nombreux. Pour accéder à la richesse de leur histoire, il faut passer par le catalogue ou les visites guidées.

L’entrée du Prince de Ligne à Luxembourg en 1781 par Bernhard Rudolph, 36,9 x 41,7 cm
L’entrée du Prince de Ligne à Luxembourg en 1781 par Bernhard Rudolph, 36,9 x 41,7 cm
Marie-Catherine Servais par Ignace Milim, huile sur toile, 78 x 60 cm (hors cadre).
Marie-Catherine Servais par Ignace Milim, huile sur toile, 78 x 60 cm (hors cadre).

Infos

Jusqu’au 12 mars 2023. Du mardi au dimanche de 10 à 18 heures. Fermé le lundi. Nocturne les mercredis jusqu’à 20 heures.