ThéâtreVoyage(s) au bout de la nuit: La saison 20/21 des Théâtres de la Ville de Luxembourg

Théâtre / Voyage(s) au bout de la nuit: La saison 20/21 des Théâtres de la Ville de Luxembourg
La pièce de danse „Vertikal“  (C) Laurent Philippe

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C’est le moment pour la culture luxembourgeoise de faire ses preuves: avec l’annulation ou le report de bon nombre de productions internationales, les Théâtres de la Ville de Luxembourg mettent en avant les productions maison et la solidarité entre les salles. Pour la saison 20/21, le Grand Théâtre et le Théâtre des Capucins donneront à voir un état des lieux de la scène locale, même si l’on a conjointement réussi à programmer une deuxième moitié de saison plus internationale.

„Ça sera une saison un peu particulière, en deux temps, avec une première partie fortement touchée par la pandémie, pour laquelle nous allons nous concentrer sur nos créations maison, et un deuxième volet, qui commence en janvier, et qui verra s’effectuer, espérons-le, un lent acheminement vers la normalité.“ L’enthousiasme idiosyncrasique de Tom Leick-Burns, directeur des Théâtres de la Ville de Luxembourg, montre quelques brèches, où pointe une inquiétude tout à fait légitime.

„Le volet anglophone de notre programmation est particulièrement menacé. Au Royaume-Uni, les théâtres ne vont pas rouvrir avant la fin de l’année. Pour ce qui est des tournées, il n’y en aura pas jusqu’au printemps, voire jusqu’en automne de l’année prochaine. Je compatis avec mes collègues d’outre-Manche.“ Les Théâtres de la Ville de Luxembourg offrant souvent une sorte de best of des productions internationales – qu’on se rappelle le grandiose triptyque Don De Lillo orchestré de main de maître par Julien Gosselin ou encore l’impressionnant „Arctique“ d’Anne-Cécile Vandalem de la saison dernière –, leur programmation permet non seulement de faire un état des lieux du théâtre luxembourgeois, mais aussi de mesurer concrètement, par ricochet pour ainsi dire, les répercussions de la pandémie sur les productions culturelles de tel ou tel pays.

En temps normal, la conférence de presse au Grand Théâtre est en elle-même une sorte de spectacle bien ficelé: entourée de vidéos de présentation réalisées avec soin, parsemée de messages vidéo enregistrés par tel ou tel metteur en scène, accompagnée de courts moments de spectacle, la présentation d’un Tom Leick-Burns qui glisse sans grand effort apparent d’une langue à l’autre est devenu un art en soi. Après donc une conférence de presse drive-in aux Rotondes et une conférence assez classique au théâtre d’Esch, la présentation de la nouvelle saison des Théâtres de la Ville de Luxembourg ressemblait quelque peu à la représentation d’une pièce d’avant-garde dans un décor post-apocalyptique.

En lieu et place des habituels gradins du studio, quelques chaises éparpillées aux quatre coins de la salle, qui font résonner étrangement les paroles introductoires de Tom Leick-Burns, qui nous remercie d’être venus „aussi nombreux“ avant de montrer une vidéo réussie, qui présente moins la saison qu’elle ne met l’accent sur les différents métiers du théâtre et la vitalité des arts de la scène. Point donc de comédiens pour enchâsser la conférence dans quelque chose de ludique – on en vient droit au but, avec un premier rôle pour la bourgmestre de la ville de Luxembourg Lydie Polfer en mère-poule qui, après avoir énuméré le nombre de productions avortées ou reportées de la saison précédente (21) et souligné l’importance du théâtre en tant qu’expérience commune, avertit les journalistes présents que les chiffres des dix derniers jours sont à prendre au sérieux, qu’un non-respect des consignes entraînera peut-être une deuxième fermeture des lieux et frontières et que les conséquences de la nonchalance d’aucuns sont d’ores et déjà en train d’être étudiées. Cela fait un peu bizarre, d’entendre de tels avertissements (teintés d’un brin de menace) dans un théâtre où aucun amateur du spectacle vivant n’aura encore eu l’occasion, faute de représentations, d’approuver ou de s’inquiéter de l’efficacité des mesures sanitaires qu’on compte y mettre en place.

Le directeur Tom Leick-Burns et la maire Lydie Polfer présentent la nouvelle saison des Théâtres de la Ville de Luxemboutg 
Le directeur Tom Leick-Burns et la maire Lydie Polfer présentent la nouvelle saison des Théâtres de la Ville de Luxemboutg  Photo: Editpress/Fabrizio Pizzolante

Peau de chagrin?

Cela fait d’autant plus bizarre qu’on se réjouit, en parcourant ce programme, volumineux comme à d’habitude, de découvrir une saison en théorie prometteuse – le moment venu, on aura probablement bien des occasions de s’inquiéter quant à l’évolution de la pandémie. Revenant sur une saison d’autant plus difficile à programmer qu’au fur et à mesure des désistements et reports, elle s’est réduite comme peau de chagrin, le directeur se rappelle l’édition virtuelle du TalentLab 2020, au cours de laquelle le dialogue avec des théâtres de différents pays tous touchés par la pandémie a fait surgir un bel élan de solidarité au sein du milieu théâtral.

Faisant écho à un tel élan, la saison 20/21 sera marquée par la solidarité entre grands et petits théâtres, puisque le Mamer Kinneksbond et les Théâtres de la Ville soutiendront le TOL, le Centaure et le Kasemattentheater, qui se voient inaptes, à cause de leur taille, à accueillir un public en nombre non ridicule dès lors qu’ils respectent les consignes sanitaires, en accueillant ces trois petits théâtres sur leurs plateaux respectifs. A cette initiative s’ajoutent deux projets: après avoir passé commande de pièces se limitant à un, deux, trois respectivement quatre personnages à huit auteurs (Romain Butti, Ian De Toffoli, Tullio Forgiarini, Anna Leader, Elisabet Johannesdottir, Nathalie Ronvaux, Guy Helminger et Lola Molina), les cinq théâtres organiseront, au Kinneksbond et aux Théâtres de la Ville de Luxembourg, quatre soirées avec deux mises en espace chacune. Une deuxième initiative invite artistes et collectifs à imaginer des performances „hors les lieux“ – parmi ces propositions, deux seront retenues par un jury.

Entamant à la fois la saison, le futur cycle sur les femmes (le deuxième portera sur l’Afrique) et les 13 créations et coproductions de la saison, la mise en scène par Marja-Leena Junker de „Hedda Gabler“ poursuit le cycle Ibsen et marque le retour sur scène de Myriam Muller dans le rôle-titre et du directeur Tom Leick-Burns lui-même. Ecrite par Ian De Toffoli et réalisée par Sophie Langevin, „AppHuman“ délibère sur les bien- et (surtout) méfaits de l’intelligence artificielle dans une histoire enchâssée autour d’une voiture autonome qui, lors d’un accident, choisit de renverser un passant au détriment d’un autre après que des calculs ont montré lequel des deux était „plus important“. Autre création francophone, Lauren Belvert s’attaque, après son adaptation remarquée du „Jeu de l’amour et du hasard“ de Marivaux, à Musset: avec „On ne badine pas avec l’amour“, il reste fidèle à une thématique et à un esprit international, puisqu’il recourt de nouveau à une équipe luxembourgeoise, belge et française. Les productions anglophones internationales se faisant rares, Anne Simon arrive à la rescousse en proposant son adaptation de „The Hothouse“ de Harold Pinter – la pièce se déroulera en un lieu non encore dévoilé, qui plongera les spectateurs dans l’ambiance carcérale, aliénante et sombre de la pièce.

Pour ce qui est des jeunes talents, à côté de Mandy Thiery, qui s’était fait remarquer avec son „Escher Meedchen“ et qui propose, avec „Das Fenster“, une pièce sur l’exploration des frontières (intérieures ou extérieures) dans une collaboration avec le Staatstheater Saarbrücken, Jacques Schiltz et Tom Dockal assureront le côté décalé avec „Mendy – Das Wusical“, un OTNI (objet théâtral non-identifié) signé Helge Schneider et Andrea Schumacher autour de Wendy, un magazine germanographe pour jeunes filles spécialisé en questions équestres.

Côté danse, les créations de deux des chorégraphes locales les plus talentueuses, à savoir Jill Crovisier et Elisabeth Schilling (qui propose une approche inouïe, avec la pianiste Cathy Krier, des Etudes de Ligeti), renforcent le cycle sur les femmes puissantes.

Gardez vos masques

Bon nombre de coproductions maison, dont „Die bitteren Tränen der Petra von Kant“ de Rainer Werner Fassbinder, „Habiter le temps“ de Rasmus Lindberg ou „Charlotte“, une pièce sur la peintre Charlotte Salomon, déportée puis tuée à Auschwitz, assurent le partenariat des Théâtres de la Ville de Luxembourg avec leurs partenaires allemands, français et belges tout en permettant à des acteurs, scénographes ou metteurs en scène du pays de se faire une renommée à l’étranger.

Pour compenser l’impossibilité de continuer le cycle Verdi, l’on s’est associé à l’OPL pour débuter la saison d’opéra en beauté avec „An Evening of Opera“, qui proposera des arias de Mozart, de Rossini et de Verdi. A côté du „Red Brigde Project“, pour lequel on a fait appel à l’artiste polyvalent William Kentridge et qui enchâssera le TalentLab de l’été prochain, le volet international de la saison suivante ne démarre véritablement qu’en janvier. Si la place nous manque ici pour tout passer en revue*, citons néanmoins, en vrac, le retour très attendu de la Hofesh Shechter Company, celui de la Comédie française avec „Hors la loi“, une pièce de Pauline Bureau autour de Marie-Claire Chevalier, qui fut arrêtée pour s’être fait avorter après un viol, „Heilig Abend“, une pièce de Daniel Kehlmann sur le terrorisme produite par le St. Pauli Theater, une nouvelle adaptation de „Maria Stuart“ de Friedrich Schiller par le Deutsches Theater Berlin, le retour d’Anne-Cécile Vandalem avec une première collaboration avec la Schaubühne („Die Anderen“) ou encore „Vertikal“, qui marque le retour au Grand Théâtre de Mourad Merzouki et de sa compagnie Käfig après le succès de „Pixel“.

Enfin, mentionnons l’accueil, fin octobre 2020, de Tiago Rodrigues et de son Teatro Nacional D. Maria II et celui, en janvier 2021, d’Ivo van Hove et de sa compagnie International Theater Amsterdam. C’est dans ce cadre que s’inscrit la coproduction maison „The Good Hope“, pour laquelle le très connu metteur en scène Simon Stone est assisté par Sally Merres, dont on avait apprécié le travail sur „Every Brilliant Thing“ pour la Volleksbühn.

Pour ce qui est de la capacité d’accueil des salles, cela variera, selon l’évolution de la pandémie, entre 250 et 600 places disponibles (pour la Grande Salle). Entre les adeptes de théâtre d’un seul ménage, qu’on pourra regrouper, on laissera un siège d’écart – à condition que chacun porte son masque. Pour l’instant, il n’y a pas encore de vente libre, qui ne commencera qu’en septembre – ceux qui sont intéressés par des abonnements peuvent toutefois déjà remplir leur bon de commande.

*Vous trouverez toutes les informations complémentaires sur theatres.lu.