ExpositionImages du présent et de la présence – La photographie sous toutes ses formes au Casino

Exposition / Images du présent et de la présence – La photographie sous toutes ses formes au Casino
Raphaël Lecoquierre devant ses blocs de souvenirs en stuc Photos: Mike Zenari

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Rapport au temps et identités mouvantes sont au cœur des réflexions de photographes et d’artistes utilisant la photographie réunis au Casino Forum d’art contemporain.

Si l’on devait construire une cathédrale au présentisme, cette manière bien de notre temps d’abandonner passé et futur au seul horizon de l’instant telle que l’a décrit l’historien François Hartog, les salles et colonnes que présente Raphaël Lecoquierre au rez-de-chaussée du Casino Forum d’art contemporain pourraient en servir d’esquisses. Il est toutefois question de géologie dans la tête de l’artiste natif de France, installé à Bruxelles. L’artiste voit dans le glacier la personnification du temps, dont le mouvement coïncide avec le temps qui passe. Les „tills“, dont il donne le nom à son œuvre, désignent pour leur part des roches sédimentaires. Il a voulu représenter le dépôt des roches, en recourant au stuc vénitien, connu pour imiter le marbre, comme matière première, tandis que les traînées de roche qui y figurent sont, elles aussi, fictives et créées à partir de couleurs extraites d’images vernaculaires. En d’autres mots, à l’aide d’un procédé chimique, il récupère les pigments de photos de famille des années 70-80. Ces clichés „dénués d’intentions artistiques“, „instants de passé captés sur support“, sont ainsi effacés pour être incorporés au stuc. L’idée est déclinée sous forme de tableaux, fresques et sculptures. 

Il y a une dimension politique dans ces „blocs de souvenirs“. L’artiste entend ainsi offrir une alternative à un environnement chargé visuellement qui nous enserre dans une forme d’aliénation par un flux incessant d’images. „Cette surcharge visuelle n’est pas évocatrice, mais nous assomme“, dit-il. À l’inverse, l’espace produit par l’artiste, par son minimalisme, attise la curiosité et propose des contemplations en se plongeant dans les motifs dessinés à partir de la couleur de photographies, en ayant pleinement conscience du procédé employé. C’est „une sorte de méditation, de projection mentale“, poursuit Raphaëel Lecoquierre, qui offre ainsi en pleine ville une sorte de „safe space“ consacré au présent.

Les images sont ainsi figées dans un présent temporel et cette „dilatation temporelle“ se retrouve aussi dans la pièce sonore. Il s’agit d’une musique de drone, un son dénué de rythmique et donc d’autant plus présent. Cette musique sans fin est développée par Lou Dragon, un artiste sonore en recherche d’une verticalité temporelle qui produit un effet suspendu.  

En présentant un artiste qui travaille avec la photographie sans jamais utiliser un appareil, le Casino Forum d’art contemporain a trouvé une manière „radicale“ comme il les aime, indiquait la curatrice Stilbé Schroeder, de présenter ce médium si populaire dans le cadre du „Mois européen de la photographie“. À la manière d’un Adrien Vescovi qui, récemment, avait exposé ses installations tissées de drap, c’est ici la répétition d’un geste minimal qui est le soubassement du corpus artistique. 

„Bodies of identities“

Organisateur de ce mois consacré à la photographie, le curateur Paul Di Felice rappelle le rôle pionnier qu’a joué le Casino dès les années 80 pour consacrer la photographie comme médium d’art contemporain, à une époque où elle luttait pour sa reconnaissance comme tel. D’ailleurs, le premier étage du Casino donne un bel et complet aperçu de ce que la photographie peut faire aujourd’hui. Dans „Bodies of identities“, manière maligne de jouer avec le thème du „Mois européen de la photographie“ qu’est l’identité, ce sont pas moins de vingt photographes contemporains dont on découvre le travail au long d’un parcours riche dans la diversité des expressions qu’il présente. 

On est d’abord accueilli par deux saisissantes photos d’une artiste d’origine togolaise, mais née en Italie, Silvia Rossi qui s’intéresse aux identités de la diaspora africaine en Italie. Dans la série „Teacher don’t teach me nonsense“, elle porte un vêtement traditionnel togolais à la couleur rouge et aux motifs similaires à ceux que portaient ses parents et qui sont aussi utilisés dans le décor dans lequel l’artiste semble se fondre, manière intelligente de dénoncer le rôle auquel la religion notamment voulait l’assigner. Dans la salle attenante, Louisa Clement présente 55 portraits photographiques de têtes de mannequins exposées en vitrine. La forme, la position, la matière, la surface ou la couleur donnent à chacun d’entre eux une particularité. Cela rappelle l’esthétique des avatars, mais nous interroge également sur l’impossibilité de la représentation d’un corps type.

Marianna Simnett présente une expérience genrée dans la vidéo „The needle and the laryng“. À la manière d’hommes en quête d’une voix plus masculine, elle se fait injecter du Botox directement dans le muscle crico-thyroïdien. Au fil d’une vidéo ralentie de son opération, elle questionne les stéréotypes de corps et de genre que perpétuent de telles opérations. Il est aussi question d’identité portée par la voix explorée dans „By the thriat“, vidéo dans laquelle le duo Effi & Amir documente des cas de shiboboleth, un test qui permet d’identifier à la voix, l’origine d’une personne. Ce moyen de contrôle, connu depuis l’Antiquité, est encore utilisé à certaines frontières aujourd’hui. C’est l’identité de genre, par contre, que Philomène Hoel explore, en thématisant la construction de subjectivité et les conflits d’identité dans un dyptique baptisé „Niki“. 

L’artiste tchèque Dita Pepe explore les différentes vies qui auraient pu être les siennes si elle n’avait pas eu ce désir pour la photographie et la conviction qu’elle lui permettrait d’échapper au destin qui fut celui de ses parents. Et c’est à la profession de travailleuse du sexe qu’elle s’est intéressée, recherche restituée dans le décor d’une chambre de passe très réussie, aux murs de laquelle sont accrochés des portraits de l’artiste dans les différentes fonctions qu’elle aurait pu recouvrir. C’est en s’imaginant dans la vie des autres, en entrant dans leur peau par des montages photo, que Dita Pepe réfléchit à sa propre condition. C’est, de manière plus générale, l’exercice que la photographie offre à ses spectateurs.

Niki de Philomène Hoel
Niki de Philomène Hoel