L’histoire du temps présent„Mir wölle bleiwe wat mer sin: Urdeitsch Muselfranken“

L’histoire du temps présent / „Mir wölle bleiwe wat mer sin: Urdeitsch Muselfranken“
VdB-Führertagung au Lichtspielhaus Rex à Esch le 8 décembre 1940 Photo: FEY, Scan CDRR

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Il y a 80 ans naissait la Volksdeutsche Bewegung (VdB). Le mouvement collaborationniste est né officiellement le 13 juillet 1940. A ce moment le Luxembourg était encore sous administration militaire.

L’administration militaire allemande, imposée au Luxembourg du 10 mai à la fin juillet 1940, a longtemps joui d’une réputation très positive, contrastant de manière saisissante avec celle de l’administration civile qui lui a succédé. Les officiers prussiens, conservateurs et bien élevés, étaient plus soucieux de maintenir un ordre sévère mais juste que de se conformer aux marottes idéologiques de leur gouvernement. Ils étaient donc l’exacte antithèse des fonctionnaires nazis, brutaux et grossiers, en premier lieu le Gauleiter Gustav Simon, qui imposèrent leur pouvoir arbitraire au pays pendant l’essentiel de l’occupation.

Cette imagerie a été forgée après la Libération par des hauts fonctionnaires comme Albert Wehrer, qui était secrétaire général du gouvernement en mai 1940 et devint par la suite le président de la Commission administrative, le gouvernement luxembourgeois de fait qui offrit sa collaboration à l’Allemagne nazie. Présenter les officiers allemands comme l’antithèse des fonctionnaires nazis lui permettait de se disculper, d’affirmer qu’ils n’avaient pas cherché à entretenir des rapports privilégiés avec le régime nazi mais avec des gens droits et corrects qui n’avaient servi le Troisième Reich que par une sorte d’accident de l’histoire tout en le méprisant profondément.

Cette vision de l’histoire n’était pas entièrement fausse mais elle était partielle et partiale. Le fait que certains des officiers allemands se méfiaient des nazis ne change rien au fait que l’unification des organisations luxembourgeoises favorables au Troisième Reich a été non seulement initiée mais encouragée au moment où ils exerçaient leur autorité sur le Grand-Duché.

Un officier de renseignement d’origine luxembourgeoise

A peine quelques heures après l’invasion, le major Ferdinand Beck arriva au Luxembourg. Beck était un officier de l’Abwehr, le service de renseignement de la Wehrmacht. Il était aussi d’origine luxembourgeoise et maîtrisait parfaitement la langue du pays. Sa mission était d’influencer l’opinion publique luxembourgeoise dans un sens plus favorable au Troisième Reich. Concrètement son but était de créer un journal.

Deux journalistes luxembourgeois l’accompagnaient. L’un était une personnalité obscure, qui allait toutefois sortir de l’ombre dans les semaines suivantes, un certain Camille Dennemeyer. L’autre était Emmanuel Cariers, qui avait été l’un des principaux rédacteurs de la Luxemburger Freiheit, le journal du Lëtzebuerger Nationalpartei (LNP), un parti violemment antisémite et ardemment pro-allemand, apparu dans les années 1930.

Dennemeyer et Cariers devaient aussi permettre à Beck de rencontrer des partisans luxembourgeois du Troisième Reich. Ils organisèrent plusieurs entrevues avec des membres du LNP, de la Luxemburger Volksjugend (LVJ), un groupe de jeunes gens de bonne famille passés du catholicisme nationaliste au nazisme par peur des Juifs et des communistes et sous l’influence de l’un de leurs professeurs, Damien Kratzenberg. Ce dernier, qui venait de fonder la Volksdeutsche Gruppe, fut aussi approché par Beck.

Un respectable universitaire

Le major de l’Abwehr ne mena pas ses projets à terme. A la mi-juin, il fut appelé à d’autres tâches. La situation avait complètement changé à ce moment. L’Allemagne était sur le point d’écraser ses adversaires. Il n’était plus désormais question de changer l’image que les Luxembourgeois avaient du Reich mais de les convaincre de la nécessité du rattachement de leur pays à l’Allemagne.

Cette nouvelle tâche fut confiée à un expert, un chercheur de l’université de Bonn, le géographe Josef Schmithüsen. Celui-ci travaillait depuis des années sur le Luxembourg, l’avait parcouru à plusieurs reprises, y avait rencontré de nombreuses personnes et s’y était bâti une réputation et un réseau. Schmithüsen était au service de la Volksdeutsche Mittelstelle (VOMi), un organisme nazi qui, conformément à sa devise „Heim ins Reich“, avait pour tâche d’intégrer dans le Reich les „Volksdeutsche“, c’est-à-dire les Allemands „ethniques“, qui vivaient au-delà de ses frontières.

Le géographe voulait créer un parti qui réclamerait l’annexion du Grand-Duché au Troisième Reich. Ce parti ne devait toutefois pas être animé par des nazis fanatiques, qui risquaient d’effaroucher une bonne partie de la population et en particulier les élites, mais par des notables germanophiles. Schmithüsen avait préparé une liste de noms. Tout en haut de celle-ci figurait celui de Kratzenberg.

La naissance de la VdB

Du travail préparatoire de Beck et du plan de Schmithüsen naquit la Volksdeutsche Bewegung (VdB). Celle-ci vit officiellement le jour dans la soirée du 13 juillet 1940, lors d’une cérémonie organisée à la Brasserie du Théâtre, dans la rue des Capucins, à Luxembourg. A 20.00 h, tous les sièges étaient déjà pris si bien que la plus grande partie de l’assistance, venue nombreuse, dut rester debout. Une demi-heure plus tard, Kratzenberg faisait son entrée, acclamé par une série de „Sieg Heil!“.

Ce soir-là, la hiérarchie du mouvement fut présentée aux 200 militants rassemblés dans la brasserie. Kratzenberg était le Landesleiter de la VdB, son Führer. Il était également chargé des questions culturelles. Dennemeyer était quant à lui chargé des questions d’organisation. Une position importante pour quelqu’un qui ne correspondait absolument pas au profil que Schmithüsen voulait mettre en avant.

Dennemeyer voulait renverser la Commission administrative et dénonçait violemment les élites traditionnelles. Son but n’était pas de rassurer ni de convaincre mais de faire la révolution; une révolution brune, inspirée par l’„idéal“ SA. S’il avait pu intégrer l’état-major de la VdB, c’était parce que la Wehrmacht et la VOMi n’étaient pas les uniques représentants du pouvoir allemand au Luxembourg. La Sipo-SD, l’appareil de répression du Troisième Reich, y avait aussi installé une antenne. Dennemeyer était l’un de ses informateurs. Installé au sein de la VdB, il lui permettrait de peser les événements politiques.

Révolution brune

Dans les semaines qui avaient précédé la fondation de la VdB, Dennemeyer avait rassemblé autour de lui des jeunes ouvriers et chômeurs du Bassin minier et des faubourgs de la capitale. Ce Gruppe Dennemeyer s’était singularisé depuis le début du mois de juillet par sa rhétorique agressive, ses provocations et ses débordements. Dans la nuit du 5 au 6 juillet, ses hommes avaient collé à travers les rues de la capitale des affichettes proclamant: „Mir wölle bleiwe wat mer sin: Urdeitsch Muselfranken!“ Deux jours plus tard, ils distribuaient des tracts antisystème et antisémites: „1. Im neuen Luxemburg ist für verjudete Politiker und ihre Schützlinge kein Platz mehr. 2. Schluss mit der Flüsterpropaganda der Deutschenhasser und Juden. Hinaus mit dem Anhang der Lévy, Dupong, Clement, Bodson und anderer Verräter. 3. Wir wollen nicht länger politisch und wirtschaftlich vom JUDEN und seiner Clique ausgebeutet werden. 4. Hinaus mit den Juden und ihrem Anhang! 5. Die Minister sitzen an der ausländischen Futterkrippe. Ihre Lakaien sind noch hier und setzen die jüdische Wühlarbeit fort.“

A Esch et à Luxembourg, il y eut des affrontements entre les partisans de Dennemeyer et la police, qui cherchait à interrompre leurs actions. Dépassé par les événements, la Commission administrative fit appel à l’administration militaire allemande. C’est ainsi que des soldats de la Wehrmacht furent chargés de monter la garde devant les synagogues de Luxembourg, Esch et Ettelbruck, que le Gruppe Dennemeyer avait attaquées le 16 juillet à coups de pierres et de cocktails Molotov.

Le dernier des partis

En se basant sur ce genre de faits, les anciens membres de la Communauté administrative purent expliquer après la guerre qu’ils avaient trouvé dans les officiers allemands des interlocuteurs pleins de bonne volonté; des antinazis même, qui n’avaient pas hésité à intervenir contre des extrémistes (luxembourgeois) pour protéger la communauté juive.

En réalité, l’administration militaire avait juste voulu mettre un terme à des actions anarchiques et violentes, sûrement pas entraver la marche du nazisme au Luxembourg. Au lendemain de la naissance de la VdB, l’administration militaire allemande interdit la fondation de tout nouveau parti politique. La VdB devait être le dernier, avant de devenir le seul. Au moment de son arrivée au Luxembourg, début août 1940, le Gauleiter Simon pouvait déjà compter sur un mouvement rassemblant les Luxembourgeois partisans du Troisième Reich. La VdB comptait alors 1.400 membres.