Aux RotondesZzzahara et sa cure de jouvence

Aux Rotondes / Zzzahara et sa cure de jouvence
A découvrir aux Rotondes: Zzzahara Source: soundoflife.com

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En 2022, „Liminal Spaces“ a imposé d’emblée Zahara Jaime, alias Zzzahara, comme une valeur sûre de la nouvelle scène indie. Ses compositions, brumeuses et graciles, exhalent un parfum certain d’adolescence, alors sa pop est nostalgique, mélancolique – et magnifique. Elle joue dimanche aux Rotondes. Portrait.

La musique est une Madeleine de Proust. Il s’agit peut-être de la forme d’art la plus enveloppante quand une mélodie se glisse à l’intérieur du tempo émis par le cœur, en s’y accordant, en appuyant là où ça fait du bien. La musique nous replonge vers des paradis perdus, ceux dans l’enfance, ou ceux de l’adolescence, avec toutefois ses joies et ses traumas ou ses hauts et ses trop bas. Au moins, à cette période-là, il y a la musique, en tant qu’épaule fiable ou en tant que main qui caresse l’humidité sur les joues.

Jaime Zahara, alias Zzzahara, commence à tâter de la musique à l’âge de sept ans, quand elle obtient sa première guitare. Ce n’est pas un jouet comme un autre. Puis, de façon plus rigoureuse, à douze ans; l’autodidacte écoute, de la musique certes, mais aussi sa propre impulsion, de créer – et, pourquoi pas, de communiquer, avec elle-même. Si Jerome David Salinger, auteur du livre emblématique sur l’adolescence „L’Attrape-Cœurs“ (1951), affirmait qu’il écrivait les livres qu’il avait envie lire, il va de soi que ce désir puisse, par analogie, se transposer à la composition musicale. Jouer la musique que l’on veut écouter. Si à sept ans, grattouiller quelques accords revient à bricoler, à douze ans, composer équivaut à expérimenter. Reste que, dans les deux cas, il s’agit, quand même, de jouer.

Alors Zahara branche son microphone korg sur l’ampli et enregistre sa voix dans un micro-casque de gamer – un casque comme une paume molletonnée qui protège les tympans du chaos extérieur. Les beats sont débusqués sur YouTube pendant que Jaime reprend des paroles, tout en laissant l’imagination dompter l’improvisation. Paul Valéry: „L’homme est absurde par ce qu’il cherche, grand par ce qu’il trouve.“ A douze ans, avec ses „absurdités sonores“, Jaime est déjà grande.

Née de parents mexicains et philippins, Zahara passe son enfance et adolescence à Los Angeles. A Highland Park, son collège est rattaché au skatepark de Garvanza. Elle s’abreuve de culture „Jackass“, Wee Man et Steve-O, et écoute de la musique emo, en boucle et en cachette; Saves The Day, Dashboard Confessional ou New Found Glory ne sont pas des groupes toujours bien „vus“ par une partie de son entourage, et encore moins écoutés. Musicalement, il faut encore choisir son camp, ce qui résonne presque comme une incongruité aujourd’hui, à l’ère des playlists et des fusions musicales improbables, voire antagonistes.

Melting pop

Après Eyedress et The Simps, les premiers groupes de Jaime, place à Zzzahara – son meilleur. Ce projet fait la synthèse de tout ce que ses oreilles ont pu ingurgiter autant qu’il cristallise ses propres expériences à tâtons. Et ce, y compris, lorsque, dans un registre punk, Jaime hurlait; avec Zzzahara, le cri est plus rentré, donc plus profond. Le résultat découle, selon elle, d’un mélange de différents rocks. En effet, la palette est large et nuancée. La texture vaporeuse, en suspens, tutoie le shoegaze, avec cette idée du musicien qui regarde les pédales d’effet, mais aussi plus bas que son nombril. Les riffs, à la Johnny Marr, font échos à l’âge d’or du post-punk. L’enrobage lo-fi n’empêche pas le son de se déployer; les mélodies, l’intonation autant que le phrasé renvoient à la twee pop pour la mignonnerie; et la saturation, soft d’apparence, rappelle la noise, dans cette balance idéale entre le crissement orageux et les éclaircies de l’eurythmie. Enfin, le cadre électronique agite le corps, même bloqué dans quelques mètres carrés. Et l’ambiance dream pop, malgré les trois Z, de Zzzahara, ne lorgne jamais vers le soporifique.

Zzzahara lors du Treefort Music Fest 2024 à Idaho
Zzzahara lors du Treefort Music Fest 2024 à Idaho Photo: Tyler Garcia, CC BY-NC-ND 2.0 DEED

Zzzahara se situe à l’opposé de la grosse cavalerie, soit quand les velléités lyriques se vautrent contre le mur du son, ou lorsque la grandiloquence écrase la grâce. Le low profile à l’évidence, par sa discrétion et sa vulnérabilité, recèle d’éclatants diamants. On pense à des groupes d’une structure type Sarah Records (The Field Mice, Talulah Gosh, Secret Shine …), autrement dit, quand la pop, entre la fin des eighties et le début des nineties, devient trop boursouflée, et que l’indie, délicate, fait office de bouée de sauvetage. On pense aussi à Craft Spells, Wild Nothing ou même à The Pains Of Being Pure At Heart (réécouter l’excellent „A Teenager In Love“), ou, plus récemment, à VHS Sports, Grazer, Arverne, et toute cette grandeur petite nature, en somme, on pense à un certain revival en force de la fragilité.

Et la voix de Jaime … Cette voix peut rappeler Victoria Legrand (Beach House), c’est un grain androgyne, voire aussi adulte qu’enfantin; il s’agit de chanter avec le cœur aussi déchiré qu’un jean porté à l’adolescence. Tout cela sans oublier que Zahara est une grande fan de The Cure. En plus du fait d’avoir intitulé un de ses morceaux „Girls on SSRI’s Don’t Cry“, la pochette de „Liminal Spaces“ (2022) s’inspire de celle de „Three Imaginary Boys“ (1979), le premier album du groupe de Robert Smith. Ecouter Zzzahra en est une, de cure. Il faut préciser pour finir que, plus jeune, Zahara a suivi une formation en Sciences de la santé. C’est peut-être aussi pour cela que sa musique fait du bien.

Zzzahra

Rendez-vous aux Rotondes (3, place des Rotondes, L‑2448 Luxembourg-Bonnevoie), ce dimanche 26 mai à partir de 20.30 h