Un travail consacré à la compression dirigée

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L’événement est d’importance. La Fondation Cartier et Jean Nouvel, architecte signataire de ce bâtiment et ami de César, organisent la première exposition majeure, dix ans après la mort de l’artiste. Clotilde Escalle

Dans une scénographie irréprochable, Jean Nouvel joue de la transparence, des effets de lumière du lieu, pour offrir les variations d’un travail colossal, travail qui n’a jamais cessé d’évoluer, tout en posant de façon récurrente la question de la sculpture. Dès le jardin, un pouce gigantesque nous accueille, tout comme à l’entrée de l’exposition, un poing fermé, de bronze, oblige à considérer avant tout la force d’expression de César, sculpteur de la mouvance, du déchet, du paroxysme, qui va, de contraires en contraires, élaborer une œuvre monumentale. Quatre périodes sont ici proposées, sans suivre d’ordre chronologique. Les Fers, série animalière qui joue avec la tradition, cherche déjà à se dégager de l’emprise de la forme sculpturale traditionnelle. Pourtant c’est au geste du sculpteur que César fait sans cesse appel, dans cette envie de polir, dans le geste de ses mains, dans le mouvement même des doigts, qui évoquent la grande tradition classique, cet effleurement de la peau, depuis la peinture jusqu’à la sculpture de la Renaissance.

Fragments de beauté

Les mains posées ici sont un détail, un paradigme, une référence au Siècle d’or, semble-t-il, tout en détournant les codes. Fragments de beauté qui contiennent à eux seuls la puissance du monde, une puissance à la fois onirique et paradoxalement matérielle. D’une beauté à couper le souffle, par un pouce, le galbe parfait d’un sein, des couleurs et des variations d’échelle, qui font de cette salle destinée aux Empreintes humaines, une déclinaison sensible et poétique de l’être. César, à l’image de l’empereur romain, jouant de la légende, s’amuse de ce jeu de pouce. En l’air ou en bas, comme dans les jeux de cirque, pour désigner le sort d’un gladiateur vaincu; mais aussi emblème de puissance, allusion sexuelle, s’il en était besoin. Comme ce sein, sensuel, moulage d’une poitrine parfaite, décliné dans toutes les matières, bronze, résine, etc. Les pouces, du plus petit (quelques centimètres) au plus grand (2,50 mètres de hauteur), sont de cristal, d’or, de bronze, mais ils peuvent tout aussi bien être de sucre. Le procédé des Empreintes humaines, César le doit à la découverte d’une technique photographique, l’agrandissement pantographique. Alors la peau apparaît d’une texture autre, les plis en font du tissu et semblent préfigurer les plis mêmes des Compressions. Toujours au rez-de-chaussée, bénéficiant des immenses baies vitrées pour jouer des effets intérieur/extérieur, dans une salle, comme dans le jardin, sont offertes, sur un socle fait pour l’occasion et qui semble n’être qu’une portion de sol, les fameuses Expansions de César. Penser que César mène de front trois pratiques différentes (les empreintes humaines, les expansions et les compressions) tout au long de sa carrière permet de comprendre les allers retours nécessaires entre l’académique et le moderne. César se tient à l’avant-garde tout en ayant les reins solides, celui d’un apprentissage académique. Dans cette autre salle, donc, les Expansions proposent leur forme molle et de matière étrange, comme des objets non identifiables, auxquels César continuera de donner le geste du sculpteur, en les polissant et en les vernissant. César livre ces antiformes au public, lors de happenings, où il laisse la matière molle du plastique s’écouler. On pense qu’elle s’écoule librement. Mais le maître intervient, il met des entraves, en détourne le cours, contrôle le temps de solidification, rajoute des pigments, il peut superposer les coulées. Il agit à l’instinct tout en ayant une connaissance parfaite de la matière. Il sculpte, œuvre, cherche la forme. L’oblige à se répandre. Cette salle est énigmatique.

Un hommage festif et coloré

Au sous-sol, merveilles des merveilles, se jouent les Compressions, depuis les années 1960 jusqu’aux années 1998 avec notamment la Suite milanaise, une série de coques compressées et monochromes qui occupe le centre de l’une des salles, comme une série de colonnes, entre lesquelles passer, auxquelles, dans une débauche de volumes, de plis et de monumentalité, confronter son propre corps. Jean Nouvel a aligné la Série milanaise comme un hommage festif et coloré, de toute beauté. La sensualité, encore une fois, est omniprésente, et les règles de la statuaire sont revisitées, pour nous les offrir avec force expressivité. Ces compressions, œuvres de sculpteur, sont l’aboutissement d’une recherche. César doit anticiper, trouver le matériau, le choisir en fonction de ses qualités esthétiques. Pour l’anecdote, César s’est très tôt tourné vers le déchet métallique pour des raisons économiques. Ailleurs, sur les murs, figurent des pièces d’automobiles, qui par leur qualité monochrome et les ombres qu’elles projettent sur les murs, jouent là encore des réminiscences de la peinture, des monochromes d’Yves Klein. Des voitures aplaties, compressées, sont aussi accrochées au mur, en entier serait-on tenté de dire, œuvres aux variations infinies, que le regard décrypte avec minutie, une fois l’effet d’ensemble, la perspective colossale, saisis. Ailleurs, des intérieurs de cylindrées sont dressés, tels des totems, des figures archaïques. Jean Nouvel, ami de César, a su donner à cette œuvre l’ampleur qu’elle mérite. Une ampleur et une poésie infinies, jusque dans le jardin où nous découvrirons d’autres possibles, pour notre plus grand bonheur. „10 ans, le temps passe … écrit Jean Nouvel (extrait du catalogue de l’exposition) … 10 ans que tu ne m’exprimes plus tes doutes, tes peurs, liés au sens de tes explorations (…) … les souvenirs s’estompent. Parmi eux restent des éclats de lumière, des éblouissements. L’art témoigne longtemps après d’attitudes datées qui deviennent des points de repères. La vie d’un artiste est marquée par ce qu’il a su extraire du temps, de son temps, parce qu’il nous a obligés à voir, puis à regarder alors que nous ne l’avions pas identifié.“ Il nous reste encore beaucoup à découvrir et redécouvrir dans l’œuvre de César, tant elle offre de perspectives. César, anthologie par Jean Nouvel (jusqu’au 26 octobre) Fondation Cartier pour l’art contemporain;
www.fondation.cartier.com