Dyptique Molière au Théâtre du Centaure (I)Démonstrative et ambiguë perversité

Dyptique Molière au Théâtre du Centaure (I) / Démonstrative et ambiguë perversité
Valérie Bodson en „Dom Juan“ Photo: Bohumil Kostorhyz

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C’est dans le cadre des festivités célébrant le cinquantième anniversaire du Théâtre du Centaure que fut mise en place la coproduction Théâtre du Centaure, Kinneksbond, Centre culturel Mamer, KHN et Cube 521.

Sous l’égide de Myriam Muller en qualité de metteuse en scène, elle prit la forme d’un diptyque théâtral original associant quatre chefs-d’œuvre de Molière centrés sur les personnages-phare: Arnolphe et Dom Juan ainsi qu’Alceste et Tartuffe. Huit comédiens, d’âge et d’horizons divers, au service d’un même projet scénographique innovant et ambitieux, sous-tendu par une dimension à la fois comparatiste et modernisante, qui surprend le spectateur autant qu’il le ravit.

Cette sorte „d’Illustre Théâtre“ – version Luxembourg – que constitue la troupe composée de huit comédien(ne)s (confirmé(e)s ou en devenir) se trouve au cœur d’un dispositif théâtral consistant en deux spectacles et quatre grandes pièces réparties en deux diptyques: „L’École des femmes“, „Dom Juan“ d’un côté; „Le Misanthrope“ et „Tartuffe“ de l’autre. L’idée fondatrice de Myriam Muller est de mettre en lumière les pièces les unes par rapport aux autres en mettant en regard leurs thématiques, parfois similaires, parfois opposées tout en préservant le cheminement dramaturgique ainsi que la force comique de ces immenses classiques. Un pari osé et, pour l’essentiel, tenu.

Le postulat de ces deux créations est donc de confronter leurs personnages principaux, à savoir, dans un premier temps, Arnolphe („L’École des femmes“) et Dom Juan („Dom Juan“). Il est à noter que si les pièces furent jouées en respectant le texte original, les personnages, quant à eux, se répondent et se frottent soit en étant collés l’un après l’autre (dans la première création), soit en étant fondus dans les intrigues (dans la seconde) – un important travail de coupe et de dramaturgie ayant été effectué en amont afin d’aller à l’essentiel des œuvres. En outre, l’intérêt de la distribution, aussi foisonnante qu’hétéroclite, consiste à réunir cinq femmes (Eugénie Ancelin: Charlotte; Valérie Bodson: Dom Juan; Anne Brionne: Elvire; Celina Camara: le Pauvre, M. Dimanche; Juliette Moro: Agnès, La Ramée) et trois hommes (Fábio Godinho: Gusman, Mathurine; Valéry Plancke: Pierrot, Dom Louis, la Statue du Commandeur; Raoul Schlechter: Arnolphe, Sganarelle) pour donner vie à un total de vingt-deux personnages.

Les rôles s’interprètent dans une antichambre entre les coulisses et la scène, une loge de théâtre ou la sortie du manège d’un cirque, une salle d’attente où les personnages se rencontrent. Sur scène sont installées des tentures en velours verdâtres tenues par des guindes en chanvre, une table avec un miroir de maquillage, des planches en bois, ce qui constitue autant de clins d’œil aux codes et aux superstitions du théâtre (e.g. la couleur verdâtre, symbole de malédictions au théâtre, l’interdiction d’utiliser le mot „corde“). L’approche hybride proposée par Myriam Muller se veut donc innovante et composite, et en même temps cherche à susciter la réflexion (les thématiques des pièces de Molière, en plus d’être clairement mises en évidence, restent d’une actualité brûlante), tendant par certains aspects vers le „boulevard“ quelque peu foutraque – ce qui séduira un public amateur d’expérimentation théâtrale, ne respectant pas obligatoirement le genre des personnages (des rôles féminins pouvant être tenus par des hommes et vice versa), etc.

Flamboyante Valérie Bodson

Myriam Muller a compris que Molière, pour reprendre la formule de Freud, se fait, à sa manière, „l’archéologue de l’âme“, ce qui pousse les comédien(ne)s à se servir du support tremplinique que constitue le texte tout en l’investissant de toute leur personne. L’on notera ainsi que Valérie Bodson, mise à l’honneur dans ce premier diptyque, incarne avec brio un Dom Juan flamboyant et quasi psychédélique dont la perversité démonstrative rayonne d’ambiguïté, d’une liberté intellectuelle et sexuelle réjouissante face à une société (celle du XVIIe siècle, la nôtre?) qui ne supporte pas les débordements. De plus, fidèle à elle-même, Eugénie Anselin campe avec talent l’ingénuité d’une Charlotte séduite par la rhétorique amoureuse de Dom Juan. Il en va de même de Juliette Moro qui, par sa fraîcheur, redonne toute leur saveur aux célèbres répliques de Molière (e.g. „Le petit chat est mort“). On appréciera également l’expressivité du visage de Céline Camara ainsi que sa justesse de ton. La puissance vocale et la présence scénique de Valéry Plancke, quant à elles, mettent bien en évidence l’implacable progression tragique de la comédie de mœurs que constitue „Dom Juan“.