Littérature„Le ciel ouvert“

Littérature / „Le ciel ouvert“
Dernier opus de Nicolas Mathieu: „Le ciel ouvert“ Photo: Actes Sud

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Dans „Le ciel ouvert“, Nicolas Mathieu, qui nourrit actuellement une passion pour Charlotte Casiraghi (fille de la princesse Caroline de Monaco) se dévoile à travers un récit autobiographique s’inspirant de sa propre histoire d’amour défunte, distillée épistolairement sur Instagram durant plusieurs années.

Malgré la gravité apparente d’un propos où le tragique le dispute parfois au philosophique, l’auteur, à l’instar de Baudelaire qui change la „boue“ en „or“, transforme ce chemin d’écriture en une ode communicative à la vie, à la joie de cueillir le jour présent.

Articulé en deux parties (l’une consacrée aux souvenirs de sa liaison avec une femme qui n’était pas libre, l’autre aux scènes de vie avec son fils) et accompagné des traits multicolores et incandescents de l’illustratrice Aline Zalko – reflétant en réalité toutes les couleurs de la vie, ce texte vertigineux associe le talent d’écrivain de Nicolas Mathieu et ses contenus d’Instagram en sorte d’offrir au lecteur un recueil inédit d’instants, de mots, de confidences, de réflexions inspirés d’un amour clandestin. La centaine de pages qui constituent cet ouvrage est, en plus d’un intense instantané, une puissante synthèse de l’essence d’une vie humaine. Au-delà de l’inénarrable, l’auteur de „Leurs enfants après eux“ et de „Connemara“ s’attache à l’inarrêtable, à savoir sa passion (amoureuse) d’abord pour une femme inaccessible et insaisissable puis pour son fils auquel il consacre de belles pages chaleureuses et désintéressées.

Cru mais poétique

Dans cet assemblage très habile de textes placés dans la continuité comme autant de paragraphes, Nicolas Mathieu raconte les souvenirs de sa liaison avec une femme qui n’était pas libre, ses rêves, ses fantasmes, ses désirs quand elle n’était pas là et leurs brèves rencontres incandescentes quelquefois possibles. C’est cru et poétique à la fois. Il imagine aussi la vie qu’elle a sans lui, avec ses enfants. La narration se fait sous la forme de textes courts, quelques fois un peu décousus, qui ont été d’abord publiés durant cinq ans sur Instagram. L’on sent y sourdre l’amour, de tous les jours, sous toutes ses formes, ayant pour vertu de faire oublier (au moins pendant le temps que dure la lecture) que „la vie est presque toujours au-dessus de nos forces“.

L’écriture est incontestablement poignante et ciselée, mais contraste parfois un peu trop avec certains dessins multicolores d’Aline Zalko. Le tissu textuel est une crue d’exaltations et de saisissements, un ascenseur émotionnel mêlant authenticité, cruauté et recherche de transparence: „Je vais te dire, en réalité la littérature ne peut rien. Là-dessus, tout le monde ment. (…) Tous les livres sont des nécropoles“ – et d’une certaine manière les lettres d’amour des argumentations désespérées; „Je t’attends, ruminant sans fin cette si belle douleur, ce sort infernal qui est de ne vivre que pour t’aimer“. À la manière de Ronsard brossant le tableau de la vieillesse solitaire qui l’attend si la femme aimée refuse ses avances, Mathieu cherche, en plus d’être le diariste de la condition humaine, à être visionnaire, presque prophétique: „Écoute-moi. Demain, nous serons vieux et lents. Il y aura tes enfants et tes dossiers, tes lessives et les gens au bout du fil, des lois et des embouteillages, le brouhaha du dîner et le trop-plein de tes journées“.

À noter également que dans la deuxième partie, l’auteur se fait à la fois tendre et didactique: „Ce qu’il faudrait dire aux enfants, pour commencer, c’est que l’amour est un jeu de patience“. Il fait comprendre au destinataire que la vie est là, qu’il faut la défendre, à la fois dans l’éphémère (prenant la forme d’„une jeune fille juchée sur des hauts talons“, un samedi soir dans un TER, signe de la vie qui „opérait alors à découvert, toute crue, vite passée, avec son tic-tac de réveil, son pas chassé qui laisse un sillon parmi les feuilles et un froissement sous la paupière“) et de l’éternel („Ton enfance est loin, aujourd’hui. Tu n’es plus si pressé de voir le temps passer et les vacances venir. Ce corps sous tes yeux, c’est aussi une promesse“).

En définitive, l’on se délectera de se plonger dans le récit d’un amour clandestin et tourmenté, d’une passion abolie, tout en prenant conscience, avec l’auteur, que les mots sont incapables de la rattraper. „Le Ciel ouvert“ est un objet poétique mettant en perspective la beauté de l’amour passée au scalpel d’une plume délicate, juste et libérée des tabous.

Nicolas Mathieu: „Le Ciel ouvert“, Paris, Actes Sud, 2024. 128 pages ; ISBN-13 ‏978-2330185497‎ ; 18,50 euros