Marc Fitoussi, réalisateur du film „Les cyclades“„C’est d’abord un film sur les femmes“

Marc Fitoussi, réalisateur du film „Les cyclades“ / „C’est d’abord un film sur les femmes“
 ©Guillaume Christophe-Huart

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Dans „Les cyclades“, le réalisateur français Marc Fitoussi raconte les retrouvailles de deux amies qui réalisent leur rêve d’enfance de partir ensemble dans les Cyclades. Mais les années ont passé et leur situation a changé. Un buddy movie au féminin.

Elles ont quatorze ans et sont les meilleures amies du monde. Elles se sont promis de fuguer dans les Cyclades. Elles se retrouvent trente ans plus tard, par hasard. Suite à un concours de circonstances, Magalie (Laure Calamy) et Blandine (Olivia Côte) décident de partir ensemble en Grèce. La première virevolte d’énergie. La seconde est en dépression, coincée. Arrive Bijou (Kristin Scott Thomas), une sexagénaire excentrique et exubérante, installée sur l’île Amorgos. Magalie et Blandine se jugent tout le temps. Y aurait-il une étincelle à saisir? Avec „Les Cyclades“, Marc Fitoussi signe un buddy movie au féminin (comédie réunissant un duo mal assorti). Les répliques font mouche. Les situations cocasses, dramatiques, parfois, s’enchaînent à toute allure. Le réalisateur, aguerri à la comédie*, a réussi à apporter de la profondeur et de la gravité à un roadmovie ensoleillé dont le charme tient aussi à l’épatante interprétation de Laure Calamy et Olivia Côte. Tageblatt a rencontré le réalisateur Marc Fitoussi.

Tageblatt: Pourquoi avez-vous choisi la comédie pour traiter de l’amitié féminine?

Marc Fitoussi: Pour réaliser une comédie, j’ai toujours besoin de passer par des sujets graves. Je ne saurais pas écrire sur des gens qui vont bien. J’aime poser un regard un peu espiègle sur ce qu’on vit au quotidien. „Les Apparences“ (2019) reste une comédie, même si elle est grinçante, tragique, parfois. La comédie permet de faire dire des choses, sans les asséner, sans être donneur de leçon. Ce regard est le mien. En littérature, Jonathan Coe sait raconter l’état de la nation britannique („Le Royaume Désuni“, Ed. Gallimard, 2022, ndlr) avec un humour qui mêle drame et mélancolie.

Dans „Les Cyclades“, les hommes sont soit absents, soit en retrait … Pourquoi?

C’est d’abord un film sur les femmes. Cela m’amusait de faire que les acteurs soient un peu au second plan. Souvent, les actrices ont des rôles un peu décevants. Ici, c’est l’inverse. Le compagnon de Bijou a pour mission de faire à manger, d’être „la femme du couple“ comme on peut trouver dans certains films. Magalie et Blandine qui se sont pensées meilleures amies à l’adolescence, se retrouvent trente ans plus tard. Et chacune a pris une direction qui lui est propre, très différente de l’autre. Blandine s’est mariée et Magalie a fait le choix d’enchaîner les conquêtes et d’être celle qui choisit, qui dispose. Ce n’est pas un film où la finalité serait que Blandine va retomber amoureuse. Elle va mal. Elle est en dépression. La solution n’est pas dans la rencontre avec un nouvel homme qui pourrait apporter la stabilité. Pour moi, la résolution, elle se fait dans la relation entre ces deux femmes: vont-elles à nouveau s’accorder, s’entendre? L’amitié va-t-elle pouvoir faire que cette Blandine ira mieux?

Vous signez un buddy movie au féminin. Pourquoi ce choix?

L’amitié entre hommes aurait été tout aussi intéressante. J’ai pu déjà voir cela dans „Sideways“ d’Alexander Payne (2004) réunissant deux hommes très dissemblables, chacun avec des peines de cœur très différentes. Finalement, un buddy movie au féminin a quelque chose de plus inédit. Ma culture cinéphilique repose beaucoup sur des films où les femmes ont des rôles très forts. Je pense à Catherine Deneuve dans „Le Sauvage“ de Jean-Paul Rappeneau (1975), à Stéphane Audran et Isabelle Huppert dans „Coup de torchon“ de Bertrand Tavernier (1981), à Annie Girardot dans beaucoup de films ou encore à Anna Magnani. J’ai l’impression que les actrices donnent plus d’elles-mêmes. Elles vont plus loin. Elles ont plus de fantaisie, d’autodérision. Dans „Les Cyclades“, quand Kristin Scott Thomas se métamorphose, démarre sa prestation en débarquant en quad, elle fait une sorte de vrai saut dans le vide. Je ne trouve pas tellement cela chez les acteurs. Quand j’écris, je sais que cela va être possible, avec les actrices.

Benjamin, le fils de Blandine, apporte une touche de tendresse. D’où vous est venue cette idée?

Quand j’avais écrit le scénario, certains m’avaient fait comprendre qu’un fils comme Benjamin qui veut rendre sa mère heureuse était impossible à imaginer. Mais oui, c’est possible! J’aime la tendresse qu’il enclenche. Surtout, Benjamin m’était utile dans le personnage de Blandine (sa mère, ndlr) qui nous est présenté comme quelqu’un qui a le sentiment d’avoir raté sa vie parce que son mari l’a quittée en épousant, en plus, une plus jeune. A travers son fils, on peut se dire que Blandine a réussi quelque chose dans sa vie et, puisqu’elle a un fils „pareil“, elle est forcément quelqu’un de bien. Benjamin aide à se dire que Blandine a construit de belles choses. Même si, à un moment donné, elle traverse des choses compliquées, au regard de son fils si équilibré, on se dit qu’elle peut l’être aussi.

Avez-vous pensé à „Thelma et Louise“ de Ridley Scott pendant l’écriture du scénario?

Ce film, que j’adore, vire beaucoup plus vite dans le drame et la tragédie. „Thelma et Louise“ dénonce beaucoup plus et ne fait pas le choix de la comédie. Mon film a des incursions dans le drame aussi. Il bifurque vers des choses plus graves, mais elles ne se sont pas liées aux hommes. „Les Cyclades“ évoque des problèmes purement féminins: le cancer du sein, le sentiment de ne plus être désirée, passé un certain âge … Les hommes sont les déclencheurs de ces difficultés des fois, mais je ne voulais pas de confrontations avec eux. Magalie et Blandine sont confrontées à des dictats de la séduction, à l’âge de quarante-cinq ans. Il y a eu un dosage particulièrement difficile à trouver parce que je savais que je voulais une femme très optimiste qui ne serait pas non plus niaise et guimauve. J’ai beaucoup réfléchi à comment faire tomber parfois dans le drame, mais faire qu’on puisse s’en relever aussi.

„Les Cyclades“ évoque des problèmes purement féminins: le cancer du sein, le sentiment de ne plus être désirée, passé un certain âge … Les hommes sont les déclencheurs de ces difficultés des fois, mais je ne voulais pas de confrontations avec eux.

„Le Grand bleu“ de Luc Besson fut également tourné sur l’île Amorgos. Est-ce un souvenir personnel?

C’est un film culte que je n’aime pas trop. J’étais adolescent à l’époque de sa sortie (en 1988, ndlr). Puisque je savais que j’allais raconter une histoire d’adolescentes de cette génération-là, il me fallait trouver quelque chose de nostalgique qui ait rapproché Magalie et Blandine. Quand on est ados, on a tous un groupe ou un film préférés et que l’on partage avec ses amis. Je voulais faire un roadmovie qui les entraîne loin. En allant visiter les Cyclades, en tant que touriste, je suis arrivé à Amorgos. Je me suis rendu compte que l’île tourne encore beaucoup autour du film de Luc Besson. On entend la musique d’Eric Serra partout, y compris dans le café du port rebaptisé „Le Grand bleu“. Que le phénomène perdure au-delà de ma génération m’a surpris. Je cherchais une destination pour deux copines d’enfance qui se retrouvent et qui décident de voyager. Du coup, je me suis dit pourquoi ne pas aller sur les traces du film qu’elles ont aimé quand elles étaient ados.

Comment avez-vous choisi les trois actrices?

J’avais adoré travailler avec Laure pour la série „Dix pour cent“ (dont Marc Fitoussi a réalisé six épisodes, ndlr). C’est une actrice qui vous permet de vous sentir extrêmement libre dans l’écriture. Vous pouvez tout tenter, tout oser. Elle sait tout faire et elle le fait avec extrêmement de légèreté, de talent et elle sait aller loin. Par exemple, elle peut comprendre la nécessité de la nudité pour les besoins d’une séquence et de son personnage, hédoniste, sans qu’il faille négocier. La nudité avait un sens. Laure a donné son accord tout de suite. J’ai réussi à convaincre Kristin Scott Thomas pour un rôle qu’elle n’avait pas encore joué. On la connaît surtout en actrice un peu guindée, anglaise presque aristocrate. Je l’ai très rarement vue dans la comédie. J’avais fait la même chose avec Isabelle Huppert pour „Copacabana“ (2010). Ces actrices-là aiment un peu sortir des sentiers battus. Olivia Côte joue, ici, un premier rôle-titre. Je n’avais pas pensé à elle et je remercie Laure de me l’avoir suggérée. Elles avaient tourné ensemble dans „Antoinette dans les Cévennes“.

J’ai réussi à convaincre Kristin Scott Thomas pour un rôle qu’elle n’avait pas encore joué. On la connaît surtout en actrice un peu guindée, anglaise presque aristocrate. Je l’ai très rarement vue dans la comédie.

Le rôle de Blandine a été très dur à caster. J’avais contacté un tas d’actrices comme Cécile de France. Beaucoup refusaient le rôle parce que trop ingrat, trop dur, pas assez drôle, comme si cela comptait avant tout dans le choix d’un rôle. Blandine est le personnage le plus effacé du trio, mais c’est quand même elle qui évolue le plus, qui s’embellit au fil de l’histoire. J’ai fait quelque chose de la maigreur d’Olivia, la faire sourire, par exemple. Les financiers veulent toujours des acteurs „bankable“ qui les rassurent, qui ont déjà eu des premiers rôles. Choisir Olivia, c’était prendre le risque de mettre en tête d’affiche quelqu’un n’est peut-être pas assez connu du grand public. Il est grand temps qu’on puisse un peu renouveler notre vivier d’acteurs. On a vu Virginie Efira dans cinq films cette année, on n’en peut plus.

Blandine et Magalie sont inséparables et, pourtant, elles ne se disent pas tout. Quelle est l’importance du secret?

Il y a une pudeur dans l’amitié. Dans ma jeunesse, j’ai perdu une très grande amie qui s’est suicidée. Je n’avais jamais vu le moindre signe de sa détresse. On avait 14 ans. Cela a été un énorme choc, évidemment. Cette histoire personnelle a un petit peu à voir avec le film dans le fait qu’on ne connaît pas parfaitement ses amis. On a beau se dire qu’on est les meilleurs amis du monde, qu’on se connaît par cœur, finalement, des fois, on ne se dit pas tout parce qu’on n’arrive pas à tout se dire. Il n’y a pas de suicide dans „Les Cyclades“, mais le film contient des zones d’ombre qu’il est difficile de percevoir, surtout chez des personnages qui sont aussi solaires et aussi fantaisistes et qui cherchent justement à dissimuler leurs failles. Il faut d’abord passer par Bijou, qui donne quelques clés, qui entraîne sur le terrain de la confidence. En tout cas, je n’avais pas envie que Magalie soit dans une séquence où on se pose et où on raconte tout. Par contre, qu’un personnage ouvre les yeux et fasse que Blandine se montre plus disposée à entendre et à accueillir un peu plus la parole fait que derrière, effectivement, Magalie peut maintenant s’exprimer et se sache déjà comprise et entendue.

De gauche à droite: Olivia Côte, Kristin Scott Thomas et Laure Calamy dans „Les cyclades“
De gauche à droite: Olivia Côte, Kristin Scott Thomas et Laure Calamy dans „Les cyclades“ Photo: Chloé Kritharas

* Après, notamment, „Copacabana“ (2010), „Pauline détective“ (2011), „Maman a tort“ (2016), Marc Fitoussi s’apprête à tourner une nouvelle comédie „Ça c’est Paris“, une série en six épisodes sur un cabaret parisien, aujourd’hui. Monica Bellucci y tiendra son propre rôle.

„Les Cyclades“ de Marc Fitoussi. Avec Laure Calamy, Olivia Côte, Kristin Scott Thomas. En salles.