EssaiL’ère des images: défense et illustration du (vrai) cinéma au temps de l’épuisement

Essai / L’ère des images: défense et illustration du (vrai) cinéma au temps de l’épuisement
Le chant du cygne: l’aura du cinéma s’épuise, persistent quelques dernières stars des temps d’antan, comme Nicole Kidman

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Au moment où les cinémas ont fermé depuis de longs mois, à l’époque du déferlement des images, d’une surproduction ou, du moins, d’une offre exponentielle de séries télévisées, de téléfilms, de films, sur diverses plateformes, le cinéma passerait presque pour archaïque. Celui des salles et des stars, acteurs, actrices, réalisateurs.

Les stars se sont défaites et très peu d’acteurs font carrière, comme c’était le cas autrefois. Par contre on peut penser que beaucoup plus d’acteurs sont employés pour des séries, ce qui est en soi une bonne nouvelle. Mais en même temps que les propositions de rôles se sont multipliées, que les supports pour filmer ont changé, de la caméra au téléphone mobile, l’aura du cinéma s’est épuisée à l’aune d’une production surnuméraire.

Quelques stars persistent, apparaissant dans des séries, un peu comme leur chant du cygne, griffant l’image de leur beauté crépusculaire, comme c’est le cas avec Nicole Kidman. Et la voyant dans ces petits formats, nous pensons aux chefs-d’œuvre dans lesquels elle a joué, des vrais films, dans l’obscurité des salles de cinéma. Cette époque semble révolue. Nous comptons encore quelques dinosaures, Jean-Luc Godard par exemple, encore de ce monde. Quoi que l’on pense du personnage, Godard est un génie du cinéma. Ce cinéma, celui de Godard, a été à l’origine d’un certain art contemporain qui l’a questionné de manière récurrente par ses installations et ses dispositifs.

Le cinéma a lié sa lecture du monde à la construction de mythologies modernes, là où la vidéo, d’abord apparue pour critiquer le langage télévisuel, était d’une forme plus légère. L’enjeu de la modernité pour le cinéma et les arts plastiques consistait à sortir de la linéarité du récit. On ne fait pas des films pour faire des films – aujourd’hui on voit comme la donne a changé, même s’il existe heureusement un cinéma indépendant et donc plus expérimental – le film étant un médium qui interroge, qui redonne du sens, de la liberté au propos artistique.

Le rapport au collectif

Ce n’est pas tant le cinéma pour l’image qu’il nous renvoie, qui importe, que d’interroger celui-ci dans sa structure, de le considérer pour le modèle qu’il impose. Le cinéma a changé l’art contemporain par la circulation d’images tirées de films et des expériences qui ont trafiqué celui-ci pour découvrir du nouveau. Expérimentation de l’image mais aussi du son.

En partant du postulat que toute personne qui regarde une œuvre fabrique l’œuvre, l’exposition est peu à peu devenue lieu de spectacle. Là où auparavant le regardeur se trouvait face à l’œuvre, dans un rapport frontal, nous avons aujourd’hui, dans nombre d’expositions qui ont rompu avec l’académisme, un rapport au collectif, mais aussi un rapport de subordination de notre société à l’ordre du spectacle, par le quantitatif – le nombre exponentiel de visiteurs.

Là où l’exposition se montrait un lieu d’expérimentation, d’innovation, son champ des signifiants a régressé pour une narration assez pauvre, calquée sur des thèmes récurrents, sur un spectacle cinématographique de plus en plus élargi à une masse qui confond loisir et art. Cette confusion étant entretenue par les institutions mêmes. Nous sommes la plupart du temps sortis de l’expérimentation pour un spectacle que critiquaient Debord et les situationnistes. Que diraient-ils de notre époque?

Le cinéma de Godard, d’une plasticité extraordinaire, interrogeait les utopies du monde contemporain, tout en contestant le rêve d’universalisme. „Ne pas faire une image juste mais juste une image“, écrit Godard, qui revendique également l’importance du montage. Il a fasciné nombre de plasticiens, les avant-gardes, par ses questions du montage, du récit, de sa temporalité, sa déconstruction, ses images.

Mais Godard tire également son art vers le classique, par son rapport au texte, à l’écriture. S’inspirant de ce modèle, les expositions se sont déroulées comme des scénarios. Mais de la même façon que le concept du ready-made de Duchamp a usé quantité de plasticiens qui n’ont jamais renouvelé la question, se pose également dans les expositions un nouveau problème, celui de la pauvreté des techniques et du scénario proposé, sous couvert qu’il faut une histoire, un concept.

Plus rien vraiment ne s’invente, tout au plus avons-nous des illustrations, des paraphrases plastiques, des histoires d’une grande platitude, ceci notamment au Palais de Tokyo qui parfois semble un espace dévolu aux étudiants des beaux-arts, pour qu’ils y appliquent sagement ce qu’ils ont appris, au lieu de créer. Peut-être faudrait-il à nouveau briser les académismes, qui ont la grande faculté de transformer les expérimentations, même les plus audacieuses, en objets de musée. Lorsque l’art contemporain se confond avec la société du spectacle, cela devient problématique. Quant au cinéma, une émission sur France Culture prédisait sa disparition au profit du numérique. Notre monde est en pleine mutation. Qu’adviendra-t-il du film d’auteur et du cinéma, à l’ère des images?