Histoire du temps vivantUn débat parlementaire sur une politique „inhumaine“

Histoire du temps vivant / Un débat parlementaire sur une politique „inhumaine“
Extrait du compte-rendu des séances de la Chambre des députés Extrait: chd.lu

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Le 6 mai 1959 se tient, sous la présidence de l’ancien premier ministre Joseph Bech (CSV) et la vice-présidence de l’ancien ministre de la Justice Victor Bodson (LSAP), la 17e séance de la Chambre des députés.

A l’ordre du jour figurent les discussions du projet de budget pour l’exercice 1959, notamment les articles du budget concernant la Justice. Au banc du gouvernement, une coalition entre parti chrétien-social et démocratique, se trouvent notamment Pierre Werner (CSV), président du gouvernement, Eugène Schaus (DP), vice-président du gouvernement et ministre des Affaires étrangères et de la Force armée, et Paul Elvinger (DP), ministre de la Justice et des Affaires économiques.

A l’époque, les discussions budgétaires représentent également l’occasion de débattre de la politique menée par le gouvernement dans les différents ressorts ministériels. Cet après-midi-là, Paul Elvinger livre notamment des détails sur la politique d’immigration, la „police des étrangers“. En écoutant le discours du ministre de la Justice, deux députés de la nouvelle génération, tous les deux avocats, tous les deux siégeant dans les rangs du parti gouvernemental CSV, tous les deux fils de ministre, tombent des nues. Il s’agit de Jean Dupong, fils de l’ancien premier ministre Pierre Dupong, à la Chambre depuis 1954, et de Georges Margue, fils de l’ancien ministre Nicolas Margue, élu en 1959.

La violation des droits naturels des étrangers

Ces avocats n’en reviennent pas en entendant le ministre de la Justice présenter une des mesures de la police des étrangers. Paul Elvinger: „D’après les errements appliqués jusqu’à présent, l’étranger non admis à titre définitif au pays, c’est-à-dire surtout le saisonnier qui contractait mariage au Grand-Duché, était invité à quitter sans délai le pays. Ces errements reposaient sur l’idée qu’il faut limiter le nombre de nouveaux ménages en tout ou en partie étrangers. Théoriquement, elle ne portait pas atteinte aux principes de l’unité de la famille, alors que la femme doit, d’après les prescriptions du droit civil, partager le domicile du mari, donc aussi suivre ce dernier à l’étranger. Toutefois, les refoulements dont il s’agit ont parfois donné lieu à certaines rigueurs et provoqué de vifs mécontentements. Ils favorisaient le concubinage et la filiation naturelle. Bien des fois, le refus de la femme de quitter le pays a entraîné effectivement la dislocation du ménage. (…) Le mariage d’un Luxembourgeois avec une étrangère n’entraîne pas de mesures de police des étrangers. On pourra donc, pour raisons d’analogie, admettre en principe le séjour au pays de l’étranger (non admis à titre définitif) épousant une femme luxembourgeoise, sauf s’il existe des éléments particulièrement défavorables. (…) Le problème fut soumis au Gouvernement en Conseil et depuis quelques semaines, les nouvelles directives ont été appliquées. Il y a lieu de relever toutefois que le changement intervenu ne vise pas le cas du mariage entre étrangers, hypothèse où les anciens principes restent applicables.“

En d’autres mots, et pour mentionner le cas le plus fréquent, le mariage ou projet de mariage d’un ouvrier du bâtiment saisonnier italien avec une femme italienne était susceptible d’une mesure d’expulsion. La même chose valait pour le mariage d’un saisonnier italien avec une femme luxembourgeoise, femme qui par le mariage perdait sa nationalité luxembourgeoise et devenait Italienne à cause de la loi sur l’indigénat de 1940. (Nous n’avons pas la place ici pour thématiser le côté extrêmement discriminant pour les femmes qui saute évidemment aux yeux.)

Georges Margue proteste contre des „procédés vraiment inhumains qui consistaient à punir des travailleurs étrangers pour le fait qu’ils entendaient se marier, de les punir par l’expulsion. (…) Ce n’est pas seulement contraire au droit naturel, c’est contraire au droit positif, c’est contraire à la convention des Droits de l’Homme, convention signée à Rome et adoptée par notre pays. En effet, il y est dit que tout homme a le droit de se marier sans discrimination de religion, de race ou de nationalité, de sorte que le seul fait de se marier, fût-ce entre étrangers séjournant sur notre territoire, fût-ce entre un étranger et un Luxembourgeois, ne saurait en aucun cas entraîner une sanction, fût-elle administrative comme l’est l’expulsion, et je suppose qu’à l’avenir ce seul fait, s’il ne s’y ajoutent pas d’autres éléments qui à eux seuls justifieraient une mesure, ne donnera plus lieu à expulsion.“ Jean Dupong ajoute: „Je crois que beaucoup ont été refoulés sans procès, ce qui est encore contraire au droit positif.“

Rappelons que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été signée le 4 novembre 1950 et est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Toute restriction au droit de se marier, notamment en raison de l’origine nationale des époux, est interdite en application des articles 12 et 14 de cette Convention. Georges Margue aurait pu ajouter une référence à la constitution luxembourgeoise, révisée en 1948, avec notamment l’introduction à l’article 11 du paragraphe 3: „L’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille.“

Lors du débat parlementaire de 1959, les représentants de la classe politique qui a gouverné le pays depuis la guerre tentent de justifier devant la nouvelle génération politique l’injustifiable, l’„inhumain“: la violation par le gouvernement luxembourgeois des droits humains d’étrangers dans le monde d’après 1945, alors que le même gouvernement proclamait haut et fort son adhésion aux valeurs de la liberté et des droits de l’homme, en opposition à la „barbarie nazie“. Ce paradoxe avait déjà été relevé trois ans plus tôt par un syndicaliste de la nouvelle génération, le secrétaire général du Lëtzebuerger Arbechter-Verband (LAV) Antoine Weiss. Intervenant auprès du ministre de la Justice socialiste Bodson en faveur de deux ouvriers du bâtiment italiens, désirant se marier et par conséquent menacés d’expulsion, Weiss écrit à Bodson: „Deine Massnahme ist ein ziemlich weitgehender Eingriff in die persönliche Freiheit, den es kaum in einem anderen demokratischen Lande geben dürfte.“

La tentative de justifier l’injustifiable

Lors du débat parlementaire du 6 mai 1959, deux anciens ministres de la Justice, Victor Bodson (LSAP), ministre de la Justice de 1940 à 1947 et de 1953 à 1959, et Eugène Schaus (DP), ministre de la Justice de 1947 à 1951, tentent de se justifier en invoquant les concepts hostiles aux étrangers qui avaient déjà cours dans l’entre-deux-guerres – „affluence exagérée d’étrangers“, „Überfremdung“ – et s’enfoncent encore davantage:

M. Bodson. Je ne voudrais pas me mêler des discussions de tout à l’heure (Bodson était absent au début de la séance de la Chambre, D. S.), mais je voudrais rappeler brièvement que le problème de l’admission des étrangers dans le pays est forcément un problème démographique. J’ai trouvé dans les dossiers du Ministère de la Justice une circulaire de M. Schaus qui prévoyait l’empêchement du mariage avec des étrangers.

M. Schaus Eugène, Ministre des Affaires étrangères. Quelle date porte-t-elle?

M. Bodson. Ceci se passait environ en 1949-1950.

M. Schaus Eugène, Ministre des Affaires étrangères. Tout le monde était d’accord.

M. Bodson. Cette mesure en ce moment était extrêmement nécessaire. Je souligne simplement que le Ministère d’Etat avait jusqu’en 1948 décrété qu’il était interdit à tout Luxembourgeois sous peine de quitter le service public d’épouser une Allemande.

M. Margue. C’est encore une illégalité.

M. Bodson. C’était une illégalité due à la nécessité d’alors.

M. Margue. La fin ne justifie pas les moyens.

M. Bodson. Votre père était parfaitement d’accord avec cette mesure.“

Ce débat révèle surtout à quel point l’exacerbation du patriotisme à la Libération, mais aussi l’influence des théories raciales nazies sous l’Occupation ont radicalisé les discours hostiles aux étrangers et mené à des pratiques illégales violant les droits humains. Les associations humanitaires qui ont empêché en France des projets semblables des démographes autour de l’INED, projets centrés sur une sélection des immigrants sur des critères d’abord ethniques, étaient encore trop faibles au Luxembourg dans l’immédiat après-guerre.

Ensuite, le gouvernement continue à contourner le parlement en matière de politique migratoire en procédant par circulaires, décrets, arrêtés. Comme dans l’entre-deux-guerres, où il s’est appuyé sur une loi d’exception de 1915 pour gouverner par arrêtés, il crée des faits accomplis dans le domaine de l’immigration tout en évitant un débat public.

C’est au hasard de discussions sur le budget que des pratiques contraires à la constitution et à la Convention européenne des droits de l’Homme sont mises à jour en 1959.

Robert Hottua
20. März 2023 - 7.45

WOW! Danke Herr SCUTO! Schreiben Sie den Artikel doch bitte auf deutsch. Wenn Sie es mir erlauben, dann mache ich die Übersetzung und lege sie Ihnen zur Korrektur vor. Die Redaktion des "Tageblatt" hat meine E-Mail-Adresse. Eine tabuisierte Vergangenheit beherbergt hat das Potential einer ungebrochenen Tradition. MfG Robert Hottua