Les lauréats des prix Médicis et Femina sont annoncés

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Deux des prix littéraires français les plus prestigieux viennent d’annoncer leurs lauréats. Alors que le prix Femina va à Philippe Lançon pour „Le lambeau“, qui raconte la lente et douloureuse rééducation de Lançon après les attentats dans les locaux de Charlie Hebdo, Pierre Guyotat remporte le prix Médicis qui, une fois encore, récompense une oeuvre au style ciselé là où la plupart des autres prix littéraires (voir la dernière sélection du Goncourt) semblent avoir abandonné toute propension à une littérature autre que populaire et accessible.

L’écrivain Pierre Guyotat a reçu mardi le prix Médicis pour „Idiotie“ (Grasset), formidable récit du passage à l’âge adulte d’un des écrivains français les plus subversifs. Rachel Kushner a eu le Prix du roman étranger pour „Le Mars Club“, traduit de l’anglais par Sylvie Schneiter (Stock) et recensé dans le Tageblatt du 22 octobre, tandis que Stefano Massini a remporté le Prix essai pour „Les Frères Lehman“ (Globe). Pierre Guyotat avait déjà reçu lundi le prix spécial du jury du prix Femina pour l’ensemble de son oeuvre. „Cette Idiotie traite de mon entrée, jadis, dans l’âge adulte, entre ma 19e et ma 22e année, de 1959 à 1962“, résume l’auteur de „Tombeau pour cinq cent mille soldats“, âgé aujourd’hui de 78 ans et qui vient de recevoir le prix de la langue française pour l’ensemble de son oeuvre.

Un souffle qui ne faiblit jamais

Œuvre autobiographique, „Idiotie“ est portée par un souffle qui ne faiblit jamais. Le récit commence à l’automne 1958. Le jeune Guyotat, âgé d‘à peine 18 ans et donc encore mineur, a quitté Lyon pour Paris persuadé que c’est dans la capitale qu’il pourra accomplir son destin de poète. Son père, médecin, a lancé un détective privé à ses trousses. La vie est rude. Il dort sous le pont de l’Alma. Avec sa langue à la fois crue et ciselée, Guyotat nous régale de tableaux animés d’un Paris populaire qui n’est plus.

Coursier, il épie un couple par un volet laissé entrouvert. Toutes les obsessions de Guyotat sont là: „j’entends les bouches se baiser, les salives clapoter, les dents tinter, les mains prendre, serrer, caresser, fouiller, fouailler, les poils se frotter …“

En 1961, alors que son premier texte („Sur un cheval“) vient d’être accepté par le Seuil, il est appelé sous les drapeaux pour servir en Algérie. Son esprit réfractaire ne fait pas bon ménage avec la discipline militaire. Tabassages, vexations des gradés, séjours au cachot … Pages hallucinantes et terribles. „Notre soumission, l’ignorance où l’on nous tient de tout ce qui est et vient, c’est un cauchemar dont, sortant de l’enchantement de la sottise, il faut se réveiller et rire …“

Ramené à la vie civile, Guyotat reste hanté par „tous les égorgés, tous les mutilés du nez, des lèvres, des oreilles, tous les énuclés, tous les démembrés, tous les désentraillés, tous les traqués abattus, tous les battus à mort, tous les déchiquetés, tous les enflammés, bébés jetés contre les murs, mères enceintes éventrées, toutes les violées, tous les torturés (…) victimes à retardement du crime originel de la conquête“. Il retourne à Paris, „vers la faim“ mais „décidé à en découdre“.

(Jeff Schinker et AFP)