L’histoire du temps présentRéduire les inégalités sociales, enfin un sujet?

L’histoire du temps présent / Réduire les inégalités sociales, enfin un sujet?
 Photo: Editpress/Alain Rischard

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Les inégalités au Luxembourg, inscrites dans son histoire, sont multiples et changeantes. Elles doivent être prises en compte à leur juste valeur, afin de lutter efficacement contre une situation qui impacte la richesse relative du pays et qui accroît les situations de détresse sociale, de plus en plus visibles dans la société luxembourgeoise et la vie quotidienne des gens.

L’accroissement des inégalités depuis les années 1990 est fortement marqué au Luxembourg. Le rapport entre la part de revenu reçue par les 20% de la population aux revenus les plus élevés et la part de revenu reçue par les 20% de la population aux revenus les plus faibles est passé de 3,7 en 1996 à 5 en 2019. Ceci est confirmé par l’indice GINI mesurant le niveau d’inégalité (chiffres de la Banque mondiale). Il se situait pour le Luxembourg à 26,5 en 1997 pour passer à 35,4 en 2018 et redescendre en 2022 à 29,5 (avec une nouvelle méthodologie utilisée). En 2022, l’Allemagne était à 28,8, la France à 29,3 et la Belgique à 24,9. Le Luxembourg est donc le pays le plus inégalitaire de la Grande Région.

Une étude du Statec de 2022 montre que le risque de précarité a également augmenté au Luxembourg, tout comme le taux de pauvreté. Le taux de risque de pauvreté – correspondant à un revenu annuel de 27.186 euros – s’établissait en 2022 à 17,4% des ménages contre 13,5% en 2011 (chiffres de la Chambre des salariés).

L’accroissement des inégalités au Luxembourg et dans le monde

Pour ce qui est du patrimoine immobilier, la pénurie de logements contraste avec la richesse incroyable d’une infime minorité: La concentration des terrains constructibles disponibles, donc du potentiel foncier, s’est développée à un point tel au Grand-Duché que, comme le montre une étude d’Antoine Paccoud (Liser), 50% des terrains constructibles sur le plan national sont aux mains de seulement 537 personnes ou groupes. A Luxembourg-ville, les top 10 possèdent 75% des terrains constructibles.

Au niveau mondial, alertant les dirigeants et l’opinion internationale, le dernier rapport Oxfam présente un monde démondialisé qui reste inégalitaire du fait de l’accaparement par les 1% les plus aisés de 63% des richesses produites, près de deux fois plus que le reste de la population mondiale. Plus finement analysé, sur les dix dernières années, sur 100 dollars de richesse créée, 54,40 dollars sont allés dans les poches des 1% les plus aisés alors que les 50% les moins aisés engrangeaient 70 cents.

La campagne pour les élections législatives du 8 octobre 2023 prochain est lancée et engage les partis politiques à se positionner sur la marche à suivre pour inverser la tendance des dernières décennies et réduire les inégalités sociales au Luxembourg. Contrairement à 2018, la question de la réduction des inégalités est à l’ordre du jour dans cette campagne.

À côté des nombreuses initiatives de sensibilisation et d’information d’acteurs comme p. ex. les syndicats, la Chambre des salariés, la Caritas, la Fondation Robert Krieps, la pandémie a sans doute amené une prise de conscience et un revirement des partis sur le traitement des inégalités pour les élections de cette année: jamais ces multiples inégalités sociales (scolaires, culturelles, linguistiques, liées à la santé, au genre, à l’origine …), parmi lesquelles se trouvent les inégalités économiques (en fonction des revenus, du logement, du patrimoine immobilier et financier …) mais encore climatiques (liées à la chaleur, au froid, à l’accès aux ressources, à l’énergie, à la nature), n’ont autant interrogé la durabilité de nos sociétés.

La comparaison entre les programmes de cinq partis politiques (LSAP, DP, „déi gréng“, CSV, „déi Lénk“) s’annonce instructive. En général, dans les programmes disponibles à ce jour, on note seize mentions „inégalité“ dans le programme du LSAP, treize mentions dans le programme „déi gréng“, douze dans celui de „déi Lénk“, trois dans le programme du CSV (concernant exclusivement les inégalités scolaires ainsi que celles entre indépendants et salariés), et aucune pour le DP, même si ce dernier évoque la notion de „cohésion sociale“ dans son programme court.

La fiscalité dans les programmes de cinq partis

Quelle est ensuite la position des différents partis, du moins d’après leurs programmes électoraux, en matière de justice fiscale, levier central pour réduire les inégalités? Dans ce domaine spécifique, aux yeux des partenaires sociaux représentant les salariés, il est primordial d’inverser la tendance des dernières décennies qui a conduit à une redistribution de la charge fiscale aux dépens des ménages à petits et moyens revenus et au profit des entreprises et des ménages à hauts et très hauts revenus.

Premier exemple: l’impôt sur le revenu. Le LSAP se prononce pour une classe d’impôt unique. Leur programme précise que l’allègement en faveur des revenus faibles et moyens aura pour corollaire une charge fiscale plus élevée pour les hauts revenus. Par conséquent, le LSAP suggère d’introduire deux tranches supplémentaires de 48% et de 49% pour les revenus dépassant respectivement 300.000 euros et 500.000 euros par an, de baisser la pression fiscale pour les revenus faibles et moyens, tandis que les plus bas revenus ne doivent plus être soumis à l’impôt sur le revenu. Le DP compte introduire, par étapes, une classe d’imposition unique. Il s’oppose à une hausse du taux d’imposition maximal. Les Verts souhaitent également la suppression des trois classes d’imposition avec l’introduction d’une classe unique pour tous, en augmentant la progressivité du barème fiscal et le taux d’imposition maximal. Quant au CSV, il se prononce, à moyen terme, pour une classe unique d’impôts. Il veut baisser les impôts pour tous et propose de prolonger la période de transition de la classe d’imposition 2 à la classe d’imposition 1a de trois à six ans. Il compte introduire une tranche d’imposition supplémentaire de 43% pour les revenus au-dessus de 500.000 euros par an. „déi Lénk“ demande une classe d’impôt unique et propose de réduire la progressivité de l’impôt au profit des revenus inférieurs et d’obtenir l’inverse pour les revenus les plus élevés, avec un taux d’imposition maximal de 50%.

Deuxième exemple: l’impôt sur la fortune. Cet impôt sur la fortune des personnes physiques avait été supprimé en 2006. Le ministre des Finances de l’époque, Luc Frieden, en fut l’instigateur, sur pression du lobby financier. La réintroduction d’un impôt sur la fortune – s’il est plus efficace que son prédécesseur – permettrait notamment de compenser les nouveaux coûts de société. Ainsi, en 2018, 17% du PIB sont voués à couvrir les coûts du vieillissement de la population. On estime ces coûts à 27% pour 2070. Un impôt sur la fortune, même si on ne le fait débuter qu’à partir d’une fortune de deux millions d’euros, suffirait à combler cette hausse de 10% du PIB des transferts sociaux liés au vieillissement jusqu’en 2070 (source: CSL, improof.lu). Selon des estimations récentes, un impôt sur la fortune, modéré et progressif, pourrait en effet apporter environ 500 millions d’euros par an au budget de l’Etat luxembourgeois.

Quelle est la position des partis concernant l’impôt sur la fortune?

Le LSAP „analysera la possibilité de réintroduire l’impôt sur la fortune à charge des personnes physiques“, avec un abattement de 2,6 millions d’euros. Le DP s’oppose à l’introduction d’un impôt sur la fortune. Les Verts souhaitent introduire un nouvel impôt sur la fortune, sans préciser le montant du „patrimoine très important“, avec un abattement d’un million d’euros sur la fortune nette et qui ne concerne pas le logement principal. Le parti „déi Lénk“ souhaite le retour d’un impôt sur la fortune des personnes physiques, mais qui ne concernerait pas les dépôts d’épargne du ménage inférieurs à 200.000 euros, ni le premier logement. Dans son programme, en conformité avec ses actions passées, le CSV, parti de Luc Frieden, s’oppose catégoriquement à un impôt sur la fortune.

Pour traduire cela en termes de lutte contre les inégalités: Les trois partis historiquement ancrés à gauche, LSAP, Verts, „déi Lénk“, considèrent que des réformes de la fiscalité sont nécessaires pour réduire les inégalités sociales et inverser ainsi la tendance des dernières décennies alors que les deux partis traditionnellement de droite, DP et CSV, se prononcent largement pour un statu quo, en d’autres mots proposent de continuer sur la marche vers un accroissement des inégalités.

Cette analyse très brève des programmes des cinq principaux partis luxembourgeois représentés à la Chambre des Députés nous rappelle à quel point le champ politique, contrairement à ce que voudrait nous faire croire le discours néolibéral, se structure toujours autour du clivage historique droite/gauche. Comme l’a formulé le philosophe du droit Norberto Bobbio, „la différence fondamentale entre les deux camps réside dans leur attitude par rapport à l’égalité: pour la gauche, les inégalités sont sociales et doivent, sinon disparaître, du moins être corrigées. Pour la droite, au contraire, elles sont naturelles, et il n’est pas souhaitable d’espérer leur suppression, car elles sont essentielles à la construction du social.“

(*) Estelle Berthereau est chercheure postdoc au C2DH.
Denis Scuto est vice-directeur du C
2DH.