Esch2022 et son héritagePont culturel et fossé financier

Esch2022 et son héritage / Pont culturel et fossé financier
Photo officielle d’Esch2022 pour immortaliser la transmission de flambeau aux 19 communes qui ont participé à l’année culturelle Photo: Emile Hengen

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Lundi, une cérémonie de passage de flambeau entre l’organisation d’Esch2022 et les 19 communes françaises et luxembourgeoises associées à la capitale européenne de la culture était organisée à l’Arche de Villerupt. Côté français, les attentes sont grandes pour que dans le sillage tracé par la culture, de nouvelles coopérations permettent de gommer les disparités entre les deux côtés de la frontière. 

Lundi, il est 13 h, dans la salle de cinéma de l’Arche de Villerupt. L’une après l’autre, chacune des dix-neuf communes ayant participé à Esch2022 est appelée pour recevoir un morceau de la grande fresque qui constituait le fonds de la scène de la Rockhal lors de la soirée de l’année culturelle. Cette cérémonie du passage de flambeau devait constituer un signal fort, formulé ainsi: „Tout comme chacune de ces parties est unique, chaque commune l’est également. Et dans leur ensemble, elles forment un nouveau tout.“

Sur les sièges de la salle de cinéma étaient déposées des marque-pages qui devaient accompagner les participants dans l’écriture d’un deuxième chapitre. La Région Grand Est y est allée aussi de son geste symbolique en remettant au président des onze communes du syndicat ProSud, Georges Mischo, et à son homologue de la Communauté de communes Pays Haut Val de l’Alzette (CCPHVA), Patrick Risser, une œuvre de verre en „V“ dont la base, un miroir évoquant une frontière, laisse apparaître dans son reflet un autre V qui, associé au précédent, forme un X similaire à celui qui sert au „nation branding“ du Luxembourg.

Un héritage à cultiver

„Avec Esch2022, on a lancé beaucoup de directions. Je suis très curieuse de voir vers où cette aventure va nous mener, comment la région se présentera d’ici dix à vingt ans“, a déclaré la directrice d’Esch2022, Nancy Braun, très à l’aise et cordiale avec l’ensemble des acteurs de part et d’autre de la frontière. „Cette énergie, cet esprit, il s’agit maintenant de continuer à les faire vivre et à renforcer durablement la région – au niveau intercommunal et transfrontalier“, a déclaré pour sa part Georges Mischo. „Comment allons-nous y parvenir? Ensemble!“, a-t-il dit en rappelant l’existence de fonds européens pour financer les projets.

La matinée, les participants des 19 communes avaient déjà échangé sur les manières de poursuivre leur collaboration transfrontalière, identifiant quatre domaines pertinents (culture, communication, tourisme et mobilité, développement durable). „Si on regarde les relations en 2014 et maintenant, on n’est plus dans le même monde. Est-ce qu’on est dans un monde parfait? Certainement pas“, a déclaré Patrick Risser, dans un discours plein de sous-entendus, qui voulait aussi bien souligner les difficultés administratives franco-françaises que les questions de budget.

Loin des polémiques rencontrées ici, du côté français, on semble très satisfait de l’aubaine qu’a pu représenter la participation à la capitale européenne de la culture. Cela a permis d’amener de la culture et des visiteurs dans les communes, de mettre les enfants au contact de la culture, mais aussi, et surtout peut-être, de développer les relations transfrontalières avec leurs homologues luxembourgeois. „Nous sommes une petite commune, qui n’a pas de service culturel“, confie Stéphan Brusco, maire de la commune de Thil. „Nous nous sommes rendus compte que la culture nous rapprochait énormément. Cela a permis de nous connaître et de mieux nous identifier.“

En manque de bras …

Forte d’abriter une ancienne mine qui a servi à la fabrication de missiles V, un ancien camp de concentration et la source de l’Alzette, Thil a développé un partenariat avec le Musée national de la Résistance et envisage des échanges scolaires qui comprendraient, le matin, un parcours mémoriel à Thil et, l’après-midi, un passage au MNR. Mais c’est aussi pour résorber les disparités criantes entre les deux côtés de la frontière que le maire de Thil espère profiter de ces nouvelles relations. L’attractivité du Luxembourg a des conséquences sur la culture de la ville. „On manque de budget, mais on manquerait de bras également“. „Derrière la culture, ce sont souvent des associations, et donc des bénévoles. Les gens ont le potentiel intellectuel, financier ou autre, des capacités qui pourraient servir à une association et à la commune, et on ne les capte pas par manque de temps, car ils passent 1 h 30 dans les trajets le matin et 1 h 30 le soir.“

Et ces habitants frontaliers ont des attentes en termes d’accueil de leurs enfants en journée, que la commune a du mal à honorer, faute de pouvoir fixer les assistantes maternelles ou contrainte de devoir fermer les activités périscolaires une semaine sur deux pendant les vacances de février. „Les finances ne permettent pas de les augmenter et on ne peut pas augmenter indéfiniment le prix de l’heure.“ Pour cause, il faut aussi répondre aux attentes des familles qui vivent et travaillent en France. La situation pose aussi des problèmes dans le domaine de la formation et dans le domaine sanitaire, face à la difficulté là aussi d’attirer formateurs et médecins. „On a beau leur mettre à disposition des locaux, ça ne dure qu’un temps. Ils sont happés par le Luxembourg.“ Pour le maire de Thil, il serait temps d’instaurer une agglomération transfrontalière qui garantisse les mêmes services de part et d’autre de la frontière. „Aujourd’hui, c’était une première réunion d’une agglomération culturelle transfrontalière. Il faut qu’on passe le cap sur la santé, sur l’enseignement, sur la formation.“

Stéphan Brusco est aussi partisan des rétrocessions fiscales, non pas tant pour créer des infrastructures dans le domaine de l’éducation pour lesquelles l’Etat français peut aider, mais pour financer leur fonctionnement qui est à la charge de la commune. „C’est dans 90% des cas en faveur des travailleurs frontaliers au Luxembourg. Il y a un intérêt commun à réfléchir, à prendre de la hauteur, pour nous permettre d’accueillir les enfants de frontaliers dans les meilleures conditions.“

… et d’argent

Si Esch2022 fut „un événement exceptionnel“ pour une ville de taille modeste comme la sienne, „il ne faut pas que le passage de flambeau reste une photo de famille, on s’arrête là et on se revoit dans dix ans pour se remémorer ce qui s’est passé en 2022“, explique le maire de Villerupt, commune voisine de Thil. Pierrick Spizak est, lui aussi, un fervent partisan de ces compensations financières. „La frontière terrestre est invisible, mais elle continue à séparer deux mondes.“ La récente inauguration du pont cyclable d’Esch a encore éclairé les disparités énormes de part et d’autre de ce trait fictif. „Si d’un côté, on met 50 millions d’euros dans une piste cyclable, quand nous n’avons même pas 100.000 euros à mettre pour une piste cyclable, on aura du mal à coopérer.“ 

Il pense qu’il est possible d’avancer sur des projets coopératifs, mais avec des limites. „Quand vous avez, en termes d’infrastructures, un nombre croissant de frontaliers sur votre territoire, ils sont en droit de demander des espaces culturels, des initiatives dans le domaine de l’éducation. On peut faire sans les rétrocessions en travaillant sur des projets coopératifs ensemble, mais au bout d’un moment l’enjeu restera financier.“

Derrière la culture, ce sont souvent des associations, et donc des bénévoles. Les gens ont le potentiel intellectuel, financier ou autre, des capacités qui pourraient servir à une association et à la commune. Mais on ne les capte pas par manque de temps, car ils passent 1 h 30 dans les trajets le matin et 1 h 30 le soir.

Stéphan Brusco, maire de Thil