Le plagiat de Bettel„Je ne vois aucun équivalent“

Le plagiat de Bettel / „Je ne vois aucun équivalent“
Xavier Bettel le 19 novembre. Ce jour-là, „ses déclarations sont cette fois plus offensives que ses discrètes réactions de contrition du 27 octobre. Il ignore le mot „plagiat“, ose „je n’ai pas triché“.  Photo: Editpress/Julien Garroy

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Jean-Noël Darde a analysé dans le détail le mémoire de DEA de Xavier Bettel. Et pour lui, il n’y a pas de doute, on atteint dans cette affaire „un sommet“.

La semaine dernière, Jean-Noël Darde nous avait aidés à analyser la décision cryptique de l’Université de Lorraine par laquelle elle estimait que le mémoire de DEA présenté par Xavier Bettel en septembre 1999 était un travail original de synthèse, et qu’il pouvait et devait faire l’objet de modifications de parties plagiées si son auteur voulait conserver son diplôme. A vrai dire, et preuve qu’il n’a fait que peu de remous en France, ce cas de plagiat était passé jusque-là sous les radars de cet ancien maître de conférence en sciences de l’information à Paris VIII, auteur du blog „Archéologie du copier-coller“. Même si depuis son départ en retraite en 2016, il le fait tourner au ralenti, son blog reste une référence pour des universitaires plagiés ou témoins de plagiat, auxquels Jean-Noël Darde conseille de préférer le recours aux instances judiciaires plutôt qu’aux impénétrables voies universitaires.

Une semaine après sa première intervention dans nos colonnes et après avoir analysé dans le détail le mémoire de DEA et ses nombreux emprunts, Jean-Noël Darde est convaincu que le cas Bettel est un cas exceptionnel dans l’histoire des plagiats, non tant pour l’ampleur du plagiat que pour le traitement de faveur qui lui est réservé. Entretien.

Tageblatt: De quelle nature est le travail de Xavier Bettel?

Jean-Noël Darde: Il s’agit d’un mémoire de DEA, diplôme d’étude approfondie, dont la plus grande partie est du pur copier-coller; un mémoire dont la nature est donc pour l’essentiel du plagiat servile. „Le rapporteur numéro 1“, à qui la Délégation à l’intégrité scientifique de l’Université de Lorraine (UL) a demandé une expertise „scientifique“ de ce mémoire, a écrit en tête de ses conclusions: „Il ne paraît pas possible de conclure que le mémoire de M. Bettel serait plagié. L’affirmer pour la majeure partie du document semble tout à fait exclu.“ Il lui reste à préciser les pages de ce mémoire qu’il estime originales. Cela risque d’être très rapide. 

Comment s’ordonnent ces plagiats?

Xavier Bettel introduit fréquemment ses plagiats – des études et des rapports à la forme impersonnelle –  par une formule qui les présente comme ses propres analyses: „alors analysons …“, „analysons le cas …“, „analysons donc …“, „alors analysons tout d’abord …“. D’autres phrases, comme „Venons-en à la conférence intergouvernementale …“, „Nous verrons dans la suite de notre analyse …“, „Nous savons cependant que …“, „Voyons tout d’abord comment …“, ont la même fonction: donner à croire, de manière un peu balourde, qu’il est l’auteur des plagiats que ces formules introduisent. En sus de ceux repérés par Reporter.lu puis Tageblatt, on devrait encore en découvrir quelques-uns. Ainsi, il est peu probable que des phrases au niveau de langue soutenu, comme „Ce projet s’inscrit dans une logique nouvelle, analogue à celle qui inspirait les propositions de Michel Barnier“, soient de Xavier Bettel.

Ce n’est donc pas un travail original de compilation comme le prétend l’Université de Lorraine?

Le seul aspect vraiment original de ce mémoire est le profil de celui qui l’a rendu, un étudiant déjà élu à la Chambre des députés du Grand-Duché et futur premier ministre. Xavier Bettel ne cesse d’y répéter qu’il analyse. A la page 32, dans un passage qui est réellement de lui, il écrit: „Nous tenterons de voir ces différentes hypothèses dans la deuxième partie de cette recherche.“ Ainsi, selon Bettel lui-même, dans ce mémoire de 58 pages tout est recherché, la première comme la deuxième partie. Ce qui correspond d’ailleurs à la seule définition reconnue et recevable d’un mémoire de DEA, une initiation à la recherche. L’année de DEA, en principe suivie par l’inscription en thèse, était bien la première année des années doctorales.

La présence d’une partie „Problématique“ au début du mémoire semble aussi indiquer qu’il s’agissait d’un travail de recherche. D’ailleurs, c’est G. De Vries qui la fournit. Cet emprunt est-il réellement acceptable comme le juge l’un des deux rapporteurs?

Le rapporteur numéro 2 évoque les emprunts à un texte au député européen Gijs De Vries. Parce que ces plagiats apparaissent à deux endroits de l’introduction du mémoire, et notamment dans sa „problématique“, ils sont, tout au contraire, les moins acceptables. En effet, ils annoncent les autres plagiats. La partie problématique est le moment où l’étudiant présente le cœur de son projet de recherche. Dans cette problématique, trois des quatre questions auxquelles le mémoire se propose de répondre sont des reprises à l’identique de questions posées par De Vries dans son texte. On peut donc déjà induire que si les questions posées dans la problématique de Xavier Bettel sont plagiées, il y a de grandes chances que les réponses données à ces questions dans le reste du mémoire le soient aussi. Ainsi, en attirant l’attention sur les plagiats du texte de De Vries qu’il juge, sans la moindre raison, „tolérables au regard des usages en vigueur à l’époque“, le rapporteur numéro 2 ne fait, avec des arguments aussi spécieux, qu’enfoncer Bettel qu’il souhaitait sauver. Compte tenu de toutes les remarques précédentes sur la nature du mémoire de Xavier Bettel, la première des conclusions de la présidence de l’Université de Lorraine „ le travail est bien un travail original de compilation de documents et de synthèse“ apparaît ubuesque.

Justement, en tant qu’archéologue de l’affaire Bettel, comment analysez-vous la défense de l’Université de Lorraine et celle du ministre d’Etat?

Publié le jour même des révélations de Reporter.lu, le 27 octobre, le premier communiqué de l’UL est raisonnable. L’accusation de plagiat y est prise au sérieux, mais l’université souhaite vérifier si elle est fondée et elle promet l’ouverture d’une „instruction; rien là de plus normal. Pour sa défense, l’université souligne aussi qu’à l’époque les logiciels qui facilitent aujourd’hui le repérage des copier-coller n’existaient pas. De son côté, Xavier Bettel reste vague, il ne dément pas ces révélations, ce qui est, à demi-mot, une façon de les reconnaître. Il admet qu’il aurait pu, et dû, faire autrement. Au départ, ce sont surtout les déclarations du professeur Etienne Criqui qui surprennent. Doyen de la Faculté de Droit de Nancy de 1995 à 2005, et directeur du mémoire mis en cause, il s’était félicité en 2015 d’avoir eu Xavier Bettel, devenu depuis premier ministre, comme étudiant, en déclarant: „J’ai eu la chance de le suivre durant trois ans.“ Le 27 octobre 2021, il répond à une interview qui permet à Paperjam de titrer „l’ancien professeur de Xavier Bettel relativise le „plagiat “, et à L’Est Républicain, „Le professeur vole au secours de l’étudiant Bettel, accusé de plagiat“. Dans ces circonstances, la réputation d’Etienne Criqui est aussi en jeu. Il est juge et partie. Plus les grossiers plagiats de Xavier Bettel s’imposeront comme tels, plus le professeur Criqui risque de se voir reprocher des négligences. 

Comment comprenez-vous la décision de l’université?

Il n’a pas dû falloir longtemps à la présidence de l’Université de Lorraine, pour évaluer la véritable nature plagiaire de ce mémoire. Mais, les étroites relations économiques entre la Lorraine et le Grand-Duché, les bonnes relations de Xavier Bettel avec Emmanuel Macron et l’arrivée prochaine de ce dernier à la présidence de l’Union européenne … Etait-ce bien le moment qu’une université française, lorraine qui plus est, fragilise un premier ministre luxembourgeois en menant avec sérieux l’instruction annoncée dont les résultats l’obligeraient à sanctionner le plagiaire? L’Université de Lorraine a donc très vite fait le choix de venir au secours du premier ministre Bettel, et cette décision a probablement reçu l’aval au niveau politique. Tout indique en effet que Xavier Bettel a su très tôt qu’il n’avait plus à craindre les conclusions de l’instruction de l’UL. On en a un bon indice, avec ses premières déclarations publiques sur le sujet lors d’un point-presse le 19 novembre 2021. Ses déclarations sont cette fois plus offensives que ses discrètes réactions de contrition du 27 octobre. Il ignore le mot „plagiat“, ose „je n’ai pas triché“ et cite Etienne Criqui: „Le mémoire rendu n’est pas superbe, mais je n’ai pas triché“, et encore „J’ai réalisé ce travail en mon âme et conscience. Il n’y a eu aucune intention de tricher. Si cela avait été le cas, j’aurais floué mon professeur. Lui-même a affirmé par voie de presse qu’il n’y a pas eu de tricherie.“ Xavier Bettel peut d’autant plus „attendre les ,conclusions‘ que va tirer l’Université de Lorraine“ avec sérénité que l’on se doute qu’il a reçu des assurances. L’Université de Lorraine a décidé de reconnaître à Xavier Bettel un travail de mémoire original, certes pas sans défauts, mais des défauts accessoires qu’il suffirait, idée assez baroque, de lui demander de corriger 22 ans plus tard. De gré ou de force, la Délégation à l’intégrité scientifique de l’UL s’est donc soumise à ce programme de vérité et a choisi deux rapporteurs qui ont accepté de rédiger les bonnes conclusions. Elles calquent celles du Professeur Criqui, entendu lors de cette instruction. Au bout de cette opération, on trouve le communiqué de presse de l’Université du 1er février, accompagné de la décision du président de l’Université de Lorraine et des conclusions du rapporteur numéro 1 et du rapporteur numéro 2.   

Est-il normal de ne pas connaître l’identité des membres de la Délégation à l’intégrité scientifique et celles des rapporteurs? 

Sur le site de l’UL, le président de la délégation précise les fonctions de ses membres. Trois d’entre eux, sur les cinq, ne sont donc pas vraiment anonymes. J’ai appris par ailleurs qu’une des deux membres de cette délégation issus du Conseil scientifique de l’UL est Brigitte Simonnot, maître de conférence de la 71e section. En 2015, dans un texte mis en ligne sur le blog „Archéologie du copier-coller“, et intitulé „Le plagiat à la 71e section du Conseil national des universités (Sciences de l’information et de la communication), un aveuglement volontaire“, j’avais critiqué avec vigueur son article „Le plagiat universitaire, seulement une question d’éthique?“. Je n’ai ainsi pas été surpris d’apprendre qu’elle a été associée à cette opération. Pour les deux rapporteurs, rien ne justifie qu’ils restent anonymes. Mais la qualité particulière de leurs conclusions explique certainement leur souhait de rester anonymes le plus longtemps possible. „Rapporteur numéro 1, rapporteur numéro 2“ cela a un côté „Frère numéro 1 et Frère numéro 2“, de l’Angkar des années 70. On fait mieux pour la transparence. Dans les comptes-rendus de la commission disciplinaire du CNESER, la plus haute instance universitaire chargée de traiter en appel les sanctions disciplinaires locales, figurent naturellement tous les noms et qualité des universitaires réunis en formation de jugement. Une Délégation à l’intégrité scientifique qui publie les conclusions de rapporteurs anonymes, ce n’est pas très sérieux.

Corriger son mémoire en 2022, comme l’Université de Lorraine l’avait demandé, aurait-il suffi pour que ce travail soit acceptable?  

Non. Après ces corrections – le rétablissement des guillemets et les renvois aux sources pour chacune des citations –, les plagiats auraient disparu. Mais le mémoire, alors constitué d’une juxtaposition de larges citations, parfois de plusieurs pages, apparaîtrait particulièrement indigent et donc toujours inacceptable en l’état. Qui plus est, si on considère qu’un mémoire de DEA est un document public – il a été soutenu devant un public, même très restreint, et il est consultable dans une bibliothèque universitaire –, ce mémoire resterait contrefait pour comprendre des citations aussi longues, sans l’accord préalable des ayants droit des textes cités.   

Vous déploriez en 2014, dans un dossier du Journal du CNRS consacré au plagiat, l’inaction de l’institution universitaire face au plagiat. Rien n’a donc bougé. Pourquoi?  

Parce qu’il n’existe au sein des universités et dans les autres instances universitaires (CNU, CPU, etc.) aucun lieu réellement accessible et indépendant pour traiter ces cas qui font l’objet d’alertes, et aucune volonté d’en instituer un. Les articles, les rapports, les ouvrages, les colloques, les blogs sur le plagiat universitaire ne manquent pas, mais ils n’entraînent aucun progrès. Rien n’a bougé depuis 2014, cette affaire en est la preuve flagrante. 

L’existence de logiciel anti-plagiat empêche-t-il désormais réellement la pratique du plagiat?

En aucun cas, ils ne repèrent que les copier-coller issus d’Internet. Ces logiciels sont arrivés dans les universités européennes au début des années 2000. Depuis, ceux qui trichent, qu’ils soient étudiants ou enseignants, ont appris à plagier en passant à travers les mailles de ces logiciels anti-plagiat. Ils paraphrasent, ou plagient en traduisant, comme l’on fait joyeusement des collègues de mon ancien département à l’Université Paris 8, gratifiés des palmes académiques pour ces exploits.   

Cette décision pourrait-elle faire jurisprudence?

Une sorte de jurisprudence à l’Université de Lorraine, certainement. Dans le sens où le prochain plagiaire lorrain, étudiant ou enseignant, pourra, avec l’aide d’un bon avocat, exiger devant un conseil disciplinaire de bénéficier de la même définition du plagiat qui a permis à la Délégation d’intégrité scientifique de l’UL d’affirmer que le mémoire de Xavier Bettel était en premier lieu un travail original. Notons aussi qu’au sein de l’Université de Lorraine aucun membre de ses instances – Conseil d’administration, Conseil scientifique, Sénat académique – ne semble avoir dénoncé cette opération. La réaction que vous avez recueillie auprès du représentant du SNESUP-FSU, le syndicat le mieux représenté dans le monde universitaire français, est affligeante tant elle est molle. Par ailleurs, je pense qu’il serait sage que le Comité d’éthique de l’Université du Luxembourg – un des premiers à être mis en place dans une université européenne – déclare ne pas partager avec l’Université de Lorraine la même définition du plagiat. 

De tous les cas de plagiat dont vous avez connaissance, à quel cas ressemble l’affaire Bettel?

A aucun. Dans la mesure où ce soutien éclatant au plagiat est déployé sous couvert d’expertise scientifique, qui plus est par une Délégation à l’intégrité scientifique, je ne vois aucun équivalent, aucun précédent, c’est vraiment le sommet!

Dans cet extrait d’un emprunt de dix pages à l’eurodéputé grec, Georgios Anastassopoulos, seule la phrase soulignée n’est pas plagiée
Dans cet extrait d’un emprunt de dix pages à l’eurodéputé grec, Georgios Anastassopoulos, seule la phrase soulignée n’est pas plagiée Colección Carmen Thyssen-Bornem
Page 32, dans un passage qui est vraiment de lui, il écrit: „Nous tenterons de voir ces différentes hypothèses dans la deuxième partie de cette recherche.“ Ainsi, selon Bettel lui-même, dans ce mémoire de 58 pages tout est recherché.
Le prochain plagiaire lorrain, étudiant ou enseignant, pourra, avec l’aide d’un bon avocat, exiger devant un conseil disciplinaire de bénéficier de la même définition du plagiat qui a permis à la Délégation d’intégrité scientifique de l’Université de Lorraine d’affirmer que le mémoire de Xavier Bettel était en premier lieu un travail original
Jean-Noël Darde
Jean-Noël Darde Photo: Isabel Santi

Jean-Noël Darde

Ancien maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8. Il a consacré sa thèse à la manière dont le quotidien L’Humanité a pensé et organisé son revirement sur la question cambodgienne. Elle a donné lieu à un ouvrage publié au Seuil en 1984, „Le Ministère de la Vérité“, à la réflexion duquel le philosophe Michel Foucault a contribué. Il a écrit de nombreux articles scientifiques sur l’information et les pratiques discursives avant de s’intéresser au plagiat. Il a notamment collaboré en 2012 à l’ouvrage collectif „La recherche de plagiat scientifique“ et tenu un blog de référence en la matière „Archéologie du copier-coller“.

Filet de Boeuf
21. Februar 2022 - 13.00

Ech mengen hei am Land misten vill Leit demissionnéieren wann een d'Examen noliest.

Grober J-P.
21. Februar 2022 - 11.57

Liest man das hier, wird der Heiligenschein immer dünner. Liebe angehende Studenten, in Zukunft die richtige Uni aussuchen!

JJ
21. Februar 2022 - 9.11

Est-ce que tout ce que nous apprenons à l'école n'est pas un "plagiat"? Nous regardons,nous lisons dans des livres et nous mettons par écrit ce qu'on a appris. Les chercheurs scientifiques,les Einstein & cie,les écrivains,les compositeurs sont finalement les seuls à pouvoir dire qu'ils ne sont pas des "copy/pastes". " En sus de ceux repérés par Reporter.lu puis Tageblatt, on devrait encore en découvrir quelques-uns." ? Mais faire des enquêtes sur Jean X ou Pierre Y n'est pas si onéreux.A moins qu'ils soient des "pylônes de notre société" eux aussi. En fin de compte la balle se trouve auprès des correcteurs,software disponible ou non. Dans le temps un prof savait si on avait copié après lecture de deux phrases seulement. En plus,si toute personne ayant "copié" des devoirs dans le temps devrait perdre son boulot parce qu'il a été "déniché" par un journaliste,il y aurait beaucoup de vacances pour des postes importants dans notre société. Finalement toute cette "affaire" retombe sur les correcteurs qui ne reconnaissent pas un plagiat parmi les originaux.

Lullu
21. Februar 2022 - 8.58

Nett nach laang de Bierger veräppellen, einfach demissionéieren. Basta.