Entretien Eric Lartigau raconte les vacances de Dune et de Mathilde, pas encore adolescentes

Entretien  / Eric Lartigau raconte les vacances de Dune et de Mathilde, pas encore adolescentes
Rose Pou Pellicer comme Dune dans „Cet été-là“ Photo: Tresor Films/Studiocanal

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Chaque été, Dune (Rose Pou Pellicer), onze ans, passe les grandes vacances avec ses parents dans les Landes. Elle retrouve Mathilde (Juliette Havelange), de deux ans sa cadette. Une amitié sans failles. Pourtant, quelque chose a changé, cet été. Dune le sent. Elle veut comprendre pourquoi, car „cette année, le sable est moins doux.“ Librement inspiré du roman graphique de deux auteures japonaises (Jillian et MarikoTamaki, éd. Rue de Sèvres, 2014), le scénario de „Cet été-là“ repose sur les émotions des deux fillettes.

Dune et Mathilde observent leurs parents, épient les ados du coin et, quand bien même „ce n’est pas de leur âge“, elles tentent de comprendre ce qui les rend tristes, malheureux, en colère. Surtout, Dune et Mathilde partagent les mille et une questions de l’entrée dans l’adolescence. Elles se regardent grandir. „Cet été-là“ défile en douce, à hauteur de Dune en quête d’indépendance. Secrets, confidences, tensions, commérages, disputes, tout cela est restitué dans un écheveau plaisant à suivre. Espièglerie et innocence de l’enfance se mélangent aux histoires d’adultes compliquées. L’occasion pour Eric Lartigau de composer avec empathie et réalisme une tribu familiale durant le temps distendu des grandes vacances. Toujours sur le fil, le réalisateur de „La Famille Bélier“ parvient à adapter tous les ingrédients d’une (mauvaise) série télé à l’eau de rose, à une galerie de portraits peints avec délicatesse, par petites touches de vérités. Tous les comédiens jouent leurs partitions sans fausses notes. Outre les jeunes protagonistes – épatantes Rose Pou Pellicer et Juliette Havelange –, Marina Foïs excelle en mère dépressive. A ses côtés, Gael Garcia Bernal convainc dans le personnage du père, indécrottable optimiste. Eric Lartigau retrouve la petite musique de la comédie familiale, douce-amère, rafraichissante. „Cet été-là“ devrait raviver des souvenirs de vacances en famille. Rencontre avec le réalisateur.

Tageblatt: „Des enfants, ce n’est que du bordel, je n’en aurai jamais. J’aimerai un homme pour la vie.“ Dune incarne-t-elle les petites filles d’aujourd’hui?

Eric Lartigau: Ces propos viennent de Delphine Gleize (la coscénariste, ndlr) et moi. J’ai vu des petites filles, et petits garçons aussi, qui ont des fulgurances, sans arrêt. Des moments de doutes où on se cherche une place entre l’enfance et les „plus grands.“ Cela me remet dans ma préadolescence, avec les mêmes sensations, les mêmes senteurs. Chacun fait son marché. Vous tournez la tête, une autre information vous arrive immédiatement. En une millième de seconde, on passe d’une émotion à une autre. C’est un sacré embouteillage. Les dessins de la BD peu bavarde expriment parfaitement ces instantanés d’émotions intenses. Dans le film, tout est concentré. Nous avons essayé de retranscrire, de mettre des mots, une image pour retrouver ces émotions-là.

Dune dit aussi „J’ai besoin de souvenirs, il n’y a que cela qui compte.“ A onze ans, est-on déjà nostalgique?

Quand vous grandissez dans une douleur, vous vous donnez des boucliers. Cette espèce de journal intime qui est la caméra en est un. Les enregistrements sont une bibliothèque d’émotions et de souvenirs que vous mettez dans un tiroir. A un moment donné, Dune rembobine une cassette pour comprendre les choses.

Les parents sont en retrait, voire distants. Devraient-ils tout dire aux enfants?

Chacun vit avec sa zone d’intimité. Ses parents se disputent, Dune demande à comprendre. „Tu veux des mots à tout. Mais parfois il n’y en a pas. On a le droit de ne pas dire“: sa mère a besoin d’un sas de rien pour arriver à quelque chose. Malheureusement, cet espace peut faire du mal à l’entourage. Quand on est renfermé sur soi-même, quand on est dans une déprime, cela peut être soulant, surtout pour un enfant de onze ans qui va se sentir mal-aimé, du coup. Dans la BD, les parents prononcent à peine quelques phrases. Dans le film, je les fais plus parler. Aujourd’hui, on veut tout définir. Est-ce une bonne chose?

Le père de Dune, pourtant optimiste, a aussi besoin de s’évader …

En fait, les parents fuient autant que les enfants. Le père est rassembleur, positif, il a énormément d’empathie sur les gens et les choses. Il est dans le présent. Dès le début de l’écriture du scénario, on sentait vraiment la nécessité de peindre les parents pour qu’on sache qui sont ces petites filles. Pour les connaître, il faut bien saisir les piliers autour d’elles. Si vous les laissez seules à l’aventure, sans repère, on se perdrait assez vite.

La famille est réunie au grand complet, pendant l’été. Une parenthèse privilégiée?

Les vacances sont un temps de transmission. Un moment où chacun est disponible à l’autre. Tout le monde est là. Quatre générations de femmes se mélangent. Chacune avec ses problématiques, avec ses envolées. Je tenais beaucoup à la dimension intergénérationnelle. Grâce à Chiara (Mastroianni, personnage de Louise, la maman de Juliette, ndlr), Angela Molina incarne une grand-mère sublimissime. Je voulais une espèce de Patti Smith. Je ne la trouvais pas en France. Angela est venue tout de suite. Elle est une femme très libre, très ouverte à tout, comme dans le film. Elle traverse l’image comme la vie, avec une élégance folle.

Vous filmez l’amitié entre deux jeunes filles. Est-elle différente chez les garçons?

Absolument. Surtout à cet âge. J’ai l’expérience de ce que j’ai vécu en tant que père et fils et de ce que j’ai pu voir autour de moi. Les garçons sont vachement plus dans la lutte, à vouloir toujours se mesurer, se concurrencer, à montrer leurs muscles. C’est un passage obligé. L’amitié entre filles, pour moi, à cet âge, s’apparente plus à des relations affectives et émotionnelles intenses: on se choisit, on se querelle et on se quitte, parfois. J’avais envie de continuer sur l’amitié féminine empruntée par les auteures de la BD. Cela m’intéresse de voir des petites filles aujourd’hui.

Vous continuez à explorer le thème du noyau familial. Pourquoi ce choix récurrent?

Les histoires de famille sont les plus belles et les plus moches. Elles nous construisent. Elles nous détruisent. Elles peuvent nous élever comme nous écraser totalement. La famille réunit tout, le bonheur, la haine. C’est un vivier formidable, sans fin. J’ai déjà réalisé six films sur ce thème. Ce n’est pas fini.

Vous adoptez le ton de la comédie sur un sujet grave. Pour quelles raisons?

En fait, le ton léger est d’abord une protection. La comédie permet de mettre une distance avec l’émotion. Dans le film, il y a à la fois une distance et un pont. C’est-à-dire, ne pas trop se prendre au sérieux quand on est dans un moment de tristesse, ne pas tout mettre les émotions vers le bas, vers le noir. C’est un vortex dans lequel on peut, chacun, s’engloutir. Cela m’est arrivé combien de fois! Le côté obscur, quelques fois, il mange tellement vite, inutilement. Il fait du mal, des dégâts autour de vous et sur vous-même également. Il faut une impulsion pour toujours sortir de ce moment égocentrique, pour évacuer cette boule sur votre nombril. En fait, ce n’est pas intéressant. Au bout d’un moment, quand on s’en rend compte, on avance. On regarde l’autre qui est à l’extérieur. Il faut se grandir mutuellement, sans arrêt. Il faut se tirer vers le haut. J’ai tendance à toujours regarder vers le mieux. C’est pour ça que j’aime tous les méchants parce que, à chaque fois, il y a quelque chose d’intéressant, de beau. C’est cela qu’il y a à développer.

Les très jeunes Rose Pou Pellicer et Juliette Havelange font leur entrée au cinéma. Comment les avez-vous repérées?

Elsa Pharaon, la directrice de casting, a mis une annonce sur les réseaux sociaux. Et, dans la même journée, on a eu 1.500 candidatures et 4.000 au total. Mon choix s’est imposé au fur et à mesure. J’avais des visages, des silhouettes en tête, une fille au look fil de fer et une autre plus enrobée. Toutes les deux avaient un premier degré et une curiosité que j’adorais. C’était super de travailler avec elles parce qu’elles sont libres. Elles sont à l’écoute. Elles corrigeaient des choses. Je leur donnais des indications, parfois pas du tout. Elles allaient à des endroits auxquels je ne pensais pas, avec plaisir et spontanéité. Dès l’instant où vous instaurez une sorte de confiance totale, on peut aller chercher partout avec des enfants.

„CODA“, la version américaine de „La Famille Bélier“*, a remporté l’Oscar du meilleur film l’an dernier. Une surprise, pour vous?

Tout le monde dit que le remake US est le copié collé de „La Famille Bélier“. On a une frustration en France, c’est pathétique. Même dans les émissions de cinéma, quand vous arrivez en tant que réalisateur de comédie, on vous scanne de haut en bas, on vous traite pour moins que rien. Je m’en fiche totalement. Mais c’est dommage qu’il y ait une frontière. C‘est une attitude très „bourgeois intello“. C’est affligeant comme la comédie n’est pas récompensée en France.

„Cet été-là“ d’Eric Lartigau. Avec Rose Pou Pellicer, Juliette Havelange, Marina Foïs, Gael Garcia Bernal. En salles.

* Sorti en 2014, le film d’Eric Lartigau a révélé Louane Emera au cinéma (sa performance lui a valu le César du meilleur espoir féminin). Un film au succès phénoménal qui a attiré plus de 8 millions de spectateurs en salles.