ForumCovid et capitalisme: ces deux maladies qui tuent

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Peu après la mise en place du premier confinement en 2020, un certain nombre de personnes plutôt jeunes avait pris l’initiative d’organiser, à intervalles réguliers, des visioconférences ouvertes à toute la sphère militante de gauche du Luxembourg, afin de faire le point sur la situation inédite que nous commencions à connaître et de dégager des perspectives de lutte. Les crises sont consubstantielles au capitalisme. Ce système les rend inévitables. Ces constats sont acquis. La question qui se pose donc est, comme toujours, „que faire?“.

Pour un-e militant-e de gauche, qu’il ou elle soit marxiste, marxisant-e ou anarchiste, la question qui se pose n’est donc pas „comment éviter une crise au sein du capitalisme“, car ce serait une contradiction dans les termes, mais plutôt „comment sortir du capitalisme suite à la crise qu’il a lui-même provoquée“. Cette maxime est d’autant plus urgente qu’une sortie de crise au sein même du capitalisme, qui est tout à fait possible, se fait en principe à la faveur d’un renforcement de ce système.

Très tôt donc, ce groupe informel qui s’était constitué vers avril-mai 2020 tentait de réfléchir à un après-crise ouvrant des possibilités anticapitalistes en partant justement des carences de ce système que la gauche dénonçait depuis toujours, mais qui désormais se dévoilaient de manière flagrante au plus grand nombre: l’aspect „essentiel“, le terme était même officialisé, des travailleuses et des travailleurs des secteurs les plus divers en opposition au caractère inutile, si ce n’est néfaste, du capital et de ses agents.

Des applaudissements et puis rien

On applaudissait les personnels des soins et de la grande distribution (bien maigre consolation), tandis que personne, à juste titre, ne perdait la moindre pensée pour les actionnaires et les „1%“. Actuellement, nous sommes toujours en plein capitalisme: les classes essentielles qui se sont tuées à la tâche (parfois littéralement) n’ont rien reçu d’autre que des applaudissements qui se sont entretemps tus, tandis que les classes inutiles se sont, comme toujours, enrichies sans le moindre effort et sans la moindre contribution.
Ce qui n’a en rien aidé, c’est la gestion de la maladie par le gouvernement luxembourgeois et les autres gouvernements européens. Ils ont géré cette crise, comme le capitalisme sait ou ne sait pas le faire: décisions technocratiques, absence d’imagination et de flexibilité (pourtant des vertus prétendument libérales!), délégation d’un certain nombre de services au secteur privé, refus criminel de lever les brevets sur les vaccins et les appareils de soins, passivité absolue devant l’enrichissement gargantuesque des multinationales.

Et lorsque l’ancien ministre du Travail lance l’idée qu’il faudrait tout de même réfléchir à taxer les gagnants afin de redistribuer un minimum, il n’obtient le soutien que de petits partis de gauche et du monde syndical. Evidemment, ses partenaires libéraux s’y opposent et les Verts font mine de ne rien avoir entendu. Pire, son idée est également snobée au sein de son propre parti, celui des travailleurs, y compris par la ministre de la Santé, qui, forte de sa popularité, aurait pu lui emboîter le pas. Elle ne l’a pas fait, il a annoncé sa démission et elle l’a remplacé. Espérons que Dan Kersch aura enfin compris la véritable nature de la social-démocratie.
A l’image des autres participant-e-s de ce groupe informel, je caressais l’espoir d’une prise de conscience collective, d’un rejet croissant du capitalisme par la population, voire de l’éclosion de nouvelles dynamiques de lutte qui allieraient le combat contre la pandémie et contre ce capitalisme mortifère.

Ce n’est pas encore arrivé à présent, mais rien ne doit nous empêcher de continuer à y œuvrer, malgré un abattement auquel nous sommes habitués, qui est humain, mais auquel il faut refuser de se soumettre.

Bêtise et obscénité bourgeoise

Désormais, si la situation n’est pas désespérée, elle n’en est pas moins préoccupante. Le virus ne cesse de muter et en cela il a trouvé un formidable allié dans les gouvernements des pays riches (y compris le nôtre !) qui refusent obstinément d’aider de manière sérieuse, globale et massive, de vacciner les pauvres avec les mêmes objectifs que les pays riches. Ce qui nous pend au nez, dans cette situation d’une obscénité et d’une bêtise toute bourgeoise, c’est que ces gouvernements préféreront davantage fermer la circulation des gens entre le Sud et le Nord du globe plutôt que de remettre en cause la „propriété intellectuelle“ des multinationales. Et n’oublions pas que le capitalisme n’a jamais hésité à faire usage de racisme afin d’assurer sa survie.

Voilà donc ce qui arrive lorsqu’une crise est gérée à la manière capitaliste: dans ce cas concret, et en l’absence de changement de régime à caractère socialiste dans les pays riches, Omicron risque de ne pas être le dernier mutant du virus (sauf évidemment si ce virus s’épuise de lui-même, mais je suis incapable d’en juger).

Par conséquent, les gouvernements continueront à prendre des mesures de confinement plus ou moins conséquentes, plus ou moins raisonnables, en naviguant entre connaissances scientifiques et équilibrages politiques et en espérant que des campagnes de vaccination plus ou moins efficaces persuaderont enfin les récalcitrant-e-s. Tout cela dans l’attente d’un prochain „variant“.

Le problème dans toute cette histoire, c’est que cette situation offre un terreau fertile à des forces réactionnaires et ésotériques. Ce terreau, c’est la crise de légitimation que traverse le capitalisme et son corollaire politique (la démocratie limitée à des représentants et excluant la démocratie économique en vertu de la sacralisation de la propriété privée des moyens de production, faussement considérée comme un droit humain car issue d’une lutte politique – perdue – au 18e siècle) depuis une vingtaine d’années.
Disons-le directement: ce régime est à bout de souffle dans le sens où il ne fait plus vibrer grand monde, encore moins la jeunesse. Et ceci est d’ailleurs très bien.

Sauf que … Sauf que ce régime sait également se maintenir, car lui aussi est capable de proposer des „variants“. Et qu’il peut conduire à de fausses révoltes ou des révoltes très mal orientées.

Le problème, c’est le profit, pas la science !

Prenons l’exemple de „Big Pharma“: le problème du caractère privé de l’industrie pharmaceutique n’est pas une nouveauté pour la gauche, surtout la gauche dite radicale. Mais il faut savoir analyser correctement ce que signifie le mode de production capitaliste. Certes, „Big Pharma“ opère des choix en vertu de ses propres intérêts économiques. Par conséquent, certains de ses choix d’investissements dans la recherche de tel ou tel remède se feront, grosso modo et de manière primaire, non pas en fonction des intérêts des populations de la planète, et encore moins des plus pauvres, mais en fonction des rendements attendus. Par contre, cela ne signifie pas que les recherches effectuées seraient invalides. Le capitalisme est capable de produire des choses correctement – en s’accaparant les travaux scientifiques financés par le secteur public – mais pas de manière juste et égalitaire. On pourrait étendre cette logique aux chemins de fer: une compagnie privée privilégiera des correspondances lucratives reliant des grandes villes entre elles au détriment des petites villes et de la campagne. Il n’en est pas moins vrai que les trains reliant par exemple Paris à Lyon rouleront très bien.

Le problème désormais, c’est qu’en l’absence d’une bonne compréhension du capitalisme due à un endoctrinement et à une quasi-disparition de la grande sphère médiatique (dans tous les sens du terme) des critiques anticapitalistes, une certaine confusion règne. Au lieu de remettre en cause la propriété des connaissances scientifiques, ce sont ces connaissances en elles-mêmes que certains remettent en cause. C’est un peu comme s’il fallait remettre en cause la théorie de la relativité générale d’Einstein sous prétexte qu’elle ait pu servir à développer la bombe atomique (alors qu’Einstein lui-même était anticapitaliste …).
On ne cesse donc de repenser à la fameuse réflexion de Gramsci selon lequel les monstres apparaissent dans le clair-obscur d’un monde qui se meurt et d’un monde qui n’est pas encore né.

Dans le clair-obscur, les monstres

Et il suffit de peu, comme nous pouvons le constater dans le mouvement des „antivax“. En l’absence d’une étude de terrain, je vais tenter d’avancer avec précaution un début d’analyse. Nous avons d’une part une partie des classes moyennes plus ou moins supérieures, voire carrément bourgeoises, qui sympathisent depuis longtemps avec les „sciences“ alternatives où se mêlent ésotérisme, anthroposophie, retour à des forces cosmiques et telluriques et surtout croyance dans la volonté et la capacité de l’individu à se conformer à ces forces supérieures. Seuls les „élus“ privilégiés s’en sortiront. Cet attrait n’est pas nouveau dans ces milieux, nous le savons. Leur conscience de classe leur interdit l’humilité de reconnaître leur absence de savoir dans certains domaines et les bercent de l’illusion arrogante de croire pouvoir „penser par eux-mêmes“ où de suivre tel ou tel maître à penser dont ils auront le privilège de suivre les préceptes. Au Luxembourg, ces individus se regroupent principalement autour de l’association ExpressisVerbis, dont l’existence végétait discrètement avant la crise sous la forme d’un Rotary club pour privilégiés en mal de sensations.

Une autre minorité n’a pas non plus raté le coche des manifestations: celle de la faune d’extrême droite, qui, comme à son accoutumée, ne dénonce non pas le capitalisme en lui-même (ou de manière strictement verbale et proposant des remèdes réactionnaires), mais des groupes de personnes motivées par des intentions démoniaques. On y retrouve un gardien de prison tatoué d’un aigle à l’apparence impériale, une jeune youtubeuse feignant la naïveté de la gentille voisine de pallier, un président d’une obscure organisation royaliste qui accuse ouvertement les Juifs et les francs-maçons d’avoir ourdi ce projet „sataniste“ que serait le Covid, etc. Sans oublier l’ADR qui tente pathétiquement de se rapprocher de ce marécage tout en essayant d’en éviter les éclaboussures.

Les Jourdain du complotisme

Plus éloignées de ces élucubrations idéologiques citées plus haut, nous retrouvons des personnes dont l’existence peut avoir été touchée plus durement par les conséquences de la pandémie. Dans l’édition du „Land“ du 24 décembre, Romain Hilgert remarquait à juste titre que les opposants aux mesures contre la pandémie économiquement privilégiés ne supportaient pas l’idée de devoir renoncer à la moindre liberté en faveur de la collectivité, car, contrairement aux classes travailleuses et précaires, ils n’ont jamais été confrontés aux restrictions avant la pandémie. C’est tout à fait correct.

Toutefois, les mesures ont en effet eu un impact économique et social sur les plus précaires ou les plus jeunes. Et l’on retrouve également une partie de ces personnes, probablement minoritaire mais pas insignifiante, dans les cortèges des dernières manifestations. Auraient-elles participé à ces manifestations si la gestion de la pandémie avait été différente? Y auraient-elles participé si elles avaient vu les pouvoirs publics déclarer que désormais les grandes entreprises allaient être sérieusement mises à contribution et que cet argent aurait été investi dans l’intérêt général? Y auraient-elles participé, si, en plus des déclarations plus ou moins correctes mais néanmoins technocratiques de la ministre de la Santé et au lieu des gesticulations du Premier ministre, les pouvoirs publics avaient investi dans des campagnes d’informations et d’aide concrète de proximité (comme certains pays pauvres ont été capables de le faire) et financées par l’argent du capital taxé ? Y auraient-elles participé si le gouvernement n’avait pas délégué au secteur privé le marché – lucratif – du matériel nécessaire à endiguer la pandémie (tests, masques, etc.) qui ne fait qu’alimenter le soupçon que le virus ne servirait de prétexte qu’à l’enrichissement de certains? Et lorsqu’un ministre socialiste de l’Economie refuse de s’engager activement en faveur de la levée des brevets, ne contribue-t-il pas à alimenter ce même soupçon d’enrichissement ? En fait, nos gouvernements ont fait du conspirationnisme sans le savoir. Ce sont les Messieurs et Mesdames Jourdain de la pandémie.

Malheureusement, à chaque critique exprimée à l’encontre de la gestion de la pandémie, le gouvernement et ses porte-paroles parlementaires se sont contentés de répondre qu’ils font de leur mieux, que critiquer est plus facile que de gouverner et qu’aucune politique ne peut être parfaite. Allez, circulez braves gens!
Je reste persuadé que la gestion des gouvernements européens, le nôtre inclus, n’a fait que renforcer la défiance d’une partie de la population et malheureusement aussi la défiance envers les scientifiques qui eux n’ont fait que leur travail, enfermés qu’ils sont, malgré eux et comme quasiment tout le monde, dans les logiques de travail et de production capitalistes.

Sortir du capitalisme pour combattre la réaction

Il est vrai aussi que la gauche radicale, et cela ne concerne pas que le Luxembourg, s’est laissée quelque peu abattre par cette crise. On pourrait le mettre sur le compte de ses carences. C’est en partie vrai, mais c’est trop court. Elle est également victime de ses propres forces. Elle souffre de sa volonté d’appréhender tous les problèmes de manière plus globale. Primo, elle sait que les crises que l’humanité traverse ne tombent pas du ciel par hasard, mais sont les résultats d’un système bien identifié: le capitalisme. Elle sait aussi que ces crises amplifient les problèmes sociaux, économiques et démocratiques déjà existants. La gauche radicale ne se contente donc pas, dans le cas précis de la pandémie, de demander ou de soutenir des mesures de distanciation ou de soutenir les progrès scientifiques.

Elle ne se contente pas non plus de demander des mesures sociales d’urgence possibles dans le cadre du système actuel. Elle est consciente qu’il faut dépasser ce cadre, car elle ne se fait pas d’illusion sur les rafistolages d’un système mortifère. Elle doit donc mobiliser pour aller au-delà. Mais c’est plus facile à dire qu’à réaliser, car les mobilisations ne se décrètent pas, encore moins lorsque la population qui travaille doit déjà faire face aux problèmes du quotidien qui ne s’améliorent pas. Donc, pour elle, il ne s’agit pas uniquement de „régler le problème“, mais bien de „sortir du problème“.

Pour sortir du problème, ou du moins tenter de le faire, les composantes de la gauche „anticapitaliste“ (je n’aime pas trop ce terme, mais il suffit pour faire court) doivent absolument renouer avec leur volonté de mobiliser et montrer que l’on peut lutter contre la pandémie de manière différente. Face à la technocratie libérale qui s’enrichit au détriment de la science et à la réaction fasciste et ésotérique qui la combat, il y a également la possibilité de la lutte solidaire entre les travailleurs et les scientifiques afin de nous sortir à la fois de la pandémie et du capitalisme, ces deux maladies qui nous tuent.

 Foto: Editpress/Fabrizio Pizzolante

*L’auteur est ancien député et membre du Bureau de Coordination de „déi Lénk“

Grober J-P.
23. Januar 2022 - 0.22

" montrer que l’on peut lutter contre la pandémie de manière différente. Face à la technocratie libérale qui s’enrichit au détriment de la science .........." Ganz schéin Geschichten, awer keng Léisung oder Viirschléi parat, wéi ëmmer! Ech hat gemengt do kéim awer nach eppes no.

Enrico Lunghi
9. Januar 2022 - 12.10

Enfin un article vraiment stimulant et pertinent ! Et j'espère que le Tageblatt arrête sa croisade sans distinction contre les manifestations et les opposants à la vaccination pour tous (on a quand-même encore le droit de se poser des questions et de ne pas être paranoïaque) et se mette à analyser davantage les incohérences des décisions politiques ! Merci ! Enrico

Irma
8. Januar 2022 - 19.43

Ich freue mich, dass das Tageblatt diesen Artikel veröffentlicht hat. So deutlich links wagt man sich ja kaum noch hervor. Meine Französisch-Kenntnisse wurden aufgefrischt. Der Text ist auf jeden Fall lesenswert, und es lohnt sich, darüber nachzudenken.