La perte d’un symboleLe laboratoire bactériologique à „Verlorenkost“

La perte d’un symbole / Le laboratoire bactériologique à „Verlorenkost“
Le laboratoire au boulevard d’Avranches en 2004 Photo: © Rolph 2004

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Depuis octobre 2013, le Laboratoire national de santé occupe son nouveau siège à Dudelange. Déjà, le rajout d’une aile supplémentaire en 1954-58 avait masqué une partie des aménagements initiaux du site. Les nouveaux aménagements du boulevard d’Avranches et de la rue du Laboratoire inaugurés en 2008 masquent la vue sur le bâtiment, dont justement la position devait être emblématique. Et pourtant, le site a de beaux jours devant lui. Le temps est venu de rappeler l’histoire et la qualité architecturale d’un bâtiment qui connaîtra une nouvelle jeunesse.

Les découvertes de Pasteur et de Koch, les progrès de la microbiologie naissante, combinées à la pensée hygiénique de l’époque ne pouvaient laisser indifférent le Luxembourg. Le gouvernement comprend rapidement que la création d’un laboratoire bactériologique serait un service „de la plus haute importance“ pour le pays. La préservation de la santé publique est une obligation morale et garantie une puissante main d’œuvre pour l’économie nationale. Le Dr August Praum (1870-1928) soutient amplement cette politique. Ce médecin qui a suivi des cours à l’Institut Pasteur sous la direction du Dr Roux, élève de Louis Pasteur, va conseiller le gouvernement dans la mise en place et l’organisation du laboratoire de Luxembourg. Il va le diriger comme premier directeur jusqu’à sa mort.

Le laboratoire du collège médical installé jusqu’en 1887 au rez-de-chaussée du Palais de Justice sera transféré à la rue de Clairefontaine, au rez-de-chaussée de l’ancienne Banque Fehlen qui avait fait faillite en 1886, et dont l’Etat avait acquis le siège. Le service de bactériologie commence à travailler le 1er janvier 1897. La loi du 17 avril 1900 porte création du laboratoire pratique de bactériologie. Ce laboratoire est autorisé à procéder aux recherches médicales requises. Son organisation est calquée sur celle du „Reichsgesundheitsamt“ en Allemagne et sur le Comité consultatif d’hygiène publique en France.

Le personnel se compose d’un directeur, docteur en médecine, d’un appariteur et d’un agent temporaire qui peut être médecin, vétérinaire ou chimiste. Les missions se regroupent en cinq pôles d’activités différentes: les travaux bactériologiques comprennent le diagnostic des maladies microbiennes, l’étude des ferments et levures, la fourniture de sérums et de vaccins. Le département hygiénique couvre la prophylaxie des épidémies et épizooties, l’analyse des eaux destinées à l’alimentation, l’analyse des denrées alimentaires, l’essai et le contrôle d’appareils et d’installations hygiéniques et le service public de désinfection.

Le diagnostic médical porte sur la chimie physiologique, la physique médicale, l’anatomie et la physiologie pathologiques et la parasitologie. La médecine légale procède à l’examen des cadavres, analyse des échantillons divers (cheveux, taches et empreintes) et prend des photographies réservées à la justice.

Les travaux administratifs consistent à collaborer à la préparation de textes de loi, à rédiger des rapports sur l’art de guérir, la police sanitaire et l’hygiène publique et à contrôler les produits en vente dans les pharmacies.

Choisir un site emblématique

En 1898, le rez-de-chaussée de l’ancienne banque Fehlen est transformé en laboratoire. Or, la surface disponible reste insuffisante et ne permet guère d’extensions. La culture de colonies de bactéries pathogènes comme le choléra, le typhus et la diphtérie ainsi que les expériences des différentes maladies sur les animaux appropriés ne peuvent se faire ni dans un environnement proche d’administrations publiques, ni dans une zone d’habitat.

En janvier 1901, un projet de loi est soumis à la Chambre des Députés qui vise la construction d’un bâtiment pour le laboratoire bactériologique en vue du développement de la radiologie et du service de tuberculisation. Le projet de loi recommande de construire le laboratoire de manière isolée sur le terrain, afin de préserver l’environnement „de tout danger de contamination“. La loi du 18 mai 1902 autorise le gouvernement à construire le laboratoire national.

Six emplacements, tous situés sur les anciens domaines de la forteresse, c’est-à-dire des propriétés de l’Etat, sont étudiés pour accueillir cette nouvelle infrastructure: le site au nord-est des glacis derrière la Fondation Pescatore, la place du Saint-Esprit, le jardin creux au Boulevard Royal (site de la Banque Centrale), l’emplacement derrière les casernes du Saint-Esprit, le „Kanounenhiwwel“ et la bute du „Verlorenkost“.

L’emplacement au nord-est des glacis est retenu par la Chambre des députés. En raison des coûts particuliers que ce site aurait exigé, le directeur général des Travaux publics, Charles Rischard, retiendra toutefois le site du „Verlorenkost“. La bute du „Verlorenkost“ est directement visible du Viaduc, toujours considérée comme l’entrée principale de la ville. Le laboratoire s’impose à la vue du grand public comme symbole de la politique de santé publique et est suffisamment éloigné des logements afin d’éviter tout risque d’infection. Enfin, il est proche du centre-ville et des faubourgs considérés comme des foyers d’infections. La bute lui assure l’élévation suffisante pour lui donner le caractère d’un véritable temple de l’hygiène.

Pour s’inspirer des meilleures solutions à l’étranger, le directeur du laboratoire et l’architecte de l’Etat se rendent à Francfort, à Berne et à Fribourg. L’agent temporaire Muller, affecté au laboratoire, visite à Paris quelque 13 laboratoires indépendants, respectivement attachés à différents hôpitaux. Les premiers plans pour le projet luxembourgeois sont présentés fin 1899.

La désignation d’un nouveau site entraîne la confection de nouveaux plans. Le Dr Praum exige en outre la construction immédiate du laboratoire et la constitution d’une réserve de terrain permettant la construction ultérieure d’un deuxième bâtiment. La nouvelle législation allemande sur le contrôle des viandes, également en vigueur au Luxembourg, réclame l’intégration au projet du service d’analyse des viandes et des graisses.

Un édifice remarquable

Comme l’architecte de l’Etat, Prosper Biwer, meurt en mai 1905, son successeur, Sosthène Weis, parachèvera le projet. L’édifice d’un style Néo-Renaissance sobre fusionne avec son environnement. Tourné vers le sud-est pour bénéficier d’une illumination optimale et orienté vers la ville, il s’élève sur une terrasse monumentale avec un escalier en forme de fer à cheval descendant vers la vallée de l’Alzette. Il sera précédé d’un parvis aux parterres de plantes placés de façon symétrique. La réalisation de la terrasse avec escalier monumental rappelle le projet que l’architecte viennois Carl Seidl avait présenté pour la construction du musée national. La terrasse évoque encore l’architecture des villas construites dans les pentes donnant sur la Méditerranée, respectivement sur les lacs des Alpes méridionales. Cet embellissement sera réalisé en 1908/09 en pierre de taille de Gilsdorf. Les rampes à balustres sont rehaussées de candélabres au gaz éclairant le bâtiment la nuit.

Il s’agit d’un immeuble à un étage sur rez-de-chaussée et toiture à mansarde. Le laboratoire est dominé d’un puissant avant-corps couronné d’une balustrade à vases. Les deux cheminées qui l’encadrent confirment son caractère monumental. Le soubassement à lucarnes est en maçonnerie carrée. Comme on voulait tenir le public à l’écart d’un laboratoire aux activités potentiellement dangereuses, le bâtiment est conçu pour être vu à partir d’une certaine distance. Son orientation, son volume, sa terrasse, son escalier en forme de fer à cheval complètent la mise en scène monumentale du bâtiment. L’édifice ne révèle son identité d’aucune manière, ni se veut instructif par le décor de ses façades: pas d’emblèmes nationaux, ni de références sculpturales aux activités du laboratoire, aux sciences médicales ou à l’hygiène. Son isolement sur la bute lui assure le dégagement nécessaire à sa monumentalité et sa mise en scène par l’aménagement de ses alentours immédiats convient „à un bâtiment destiné à un service de la plus haute importance“. Ce choix en faveur d’une architecture ostentatoire a solidement augmenté le budget de construction. En 1918 seulement, l’entrée principale reçoit ses décors en fer forgé réalisés par le professeur de l’Ecole d’Artisans, Etienne Gallowich.

Créer un espace cohérent

Le bâtiment principal est achevé en 1907, le pavillon de désinfection sera rajouté en 1908. Il est placé hors vue pour ne pas déranger l’ensemble architectural mis en valeur par la terrasse, l’escalier et les parterres de plantations. Pour réussir cette insertion, Sosthène Weis étudie l’implantation des écuries autour de l’„Institut für Infektionskrankheiten Robert Koch“ et du „Kaiserliches Gesundheitsamt“. Un atelier de photographie et une étable pour le bétail sont adossés au pavillon de désinfection en 1909 et 1911. En 1916, le Dr Praum demande encore la construction d’un garage. Ces besoins en locaux supplémentaires vont susciter des remarques d’ordre esthétique: il convient d’éviter de construire autour du laboratoire tout „un village de baraques“. S’il y a besoin d’annexes „à cachet industriel“, il faudra les placer de façon à ne pas altérer le caractère représentatif de l’immeuble principal. Pour réussir l’aménagement complet du site, le gouvernement doit encore trancher la question de l’affectation des anciens terrains domaniaux du „Verlorenkost“. Plusieurs options sont discutées:  création d’un quartier de villas, logement d’administrations publiques, installation de nouveaux établissements pénitentiaires ou conversion du site en zone industrielle compte tenu de sa proximité de la gare centrale. A partir de 1919, le laboratoire est sécurisé par un mur de clôture.

En 1918, une écurie avec chenil, une salle d’opération et de vaccination antivariolique et un logement pour le concierge sont construits d’après les plans du fonctionnaire Pettinger, attaché au service agricole. De style rural, cette construction est cachée par le bâtiment principal.

Un bâtiment fonctionnel

En 1917, le Dr Praum fournit un descriptif fort détaillé de l’intérieur du bâtiment. C’est un véritable temple d’hygiène, équipé même d’un système d’extinction automatique d’incendie. Ici, la technologie se présente avec tous les acquis qui successivement deviendront la règle dans la construction moderne. Les planchers des salles de travail et des corridors sont formés par des carreaux imperméables résistant aux acides et aux corps gras. Leur nettoyage est facile. Tous les angles formés par les surfaces du carrelage et les parois sont arrondis par des gorges formant plinthes. Les corridors et cage d’escaliers sont peints en imitation de marbre. La balustrade de l’escalier est peinte en imitation de bronze. Le mobilier en chêne ou en métal, aux surfaces en scoriatine ou tôle émaillées, intègre la circulation de l’eau, l’électricité et le gaz. Il est fourni par des manufactures spécialisées établies à Paris, Berlin et Berne.

Ce type de mobilier fonctionnaliste, facile à nettoyer, sans ornements, sera à l’origine du mobilier moderne pour cuisines et salles de bains privées.

En franchissant l’entrée principale au rez-de-chaussée, une salle d’attente accueille les visiteurs. Quatre laboratoires de bactériologie et de chimie, la chambre de polarimétrie et de spectroscopie, la chambre étuves, la salle des balances, la laverie commune et la bibliothèque sont installés au même niveau.

Au sous-sol se trouvent les installations techniques, le laboratoire d’analyse élémentaire et d’électrologie, la chambre de microphotographie, la cave aux réactifs, la chambre de distillation, l’écurie des animaux d’expérience, une salle de bains ainsi que la salle d’autopsies pouvant servir de morgue avec accès au public.

Les bureaux et salles de conférence occupent le premier étage. Toute communication inutile entre les bureaux et laboratoires est évitée. Les salles de travail tant de bactériologie que de chimie sont établies aux quatre angles du bâtiment, afin de leur assurer les meilleures conditions d’éclairage. La salle de conférences et de projections est équipée d’une installation complète de cinématographie pour le collège médical et l’organisation de cours de formation.

Les mansardes servent de surfaces de réserve pour l’expansion des services. Une faveur dont ne peuvent que rêver, à l’époque, la plupart des administrations de l’Etat. La section centrale à la Chambre des députés avait souhaité cette situation: „Si peut-être les dispositions du nouveau bâtiment peuvent paraître trop spacieuses pour les besoins de l’heure actuelle, il est certain que dans un avenir rapproché le laboratoire bactériologique avec toutes les extensions naturelles, sur lesquelles s’étendront ses services multiples, occupera largement et utilement les locaux qui lui sont destinés.“

Un modèle pour l’étranger

Le bâtiment à ériger „présentera tant quant à sa situation extérieure exceptionnelle que quant au soin de son aménagement intérieur, un établissement pouvant servir de modèle même à l’étranger pour des constructions et installations de ce genre“, souhaite la section centrale à la Chambre des députés. Des plans du bâtiment meublé sont confectionnés et des photos réalisées pour la diffusion auprès des milieux scientifiques étrangers. En 1951, Marie Biwer caractérise le laboratoire de la façon suivante: „(…) auf diesem von allen Seiten sichtbaren Fleck im Luxemburger Stadtbild (steht) eine Verteidigungsstation des Lebens, ein wissenschaftliches Institut von eminenter und immer wachsender Bedeutung (…), in dessen stillen, hellen Sälen manche Entscheidung fällt über Leben und Tod.“