Le consul peu diplomate

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Il était plus luxembourgeois que les Luxembourgeois, était connu pour sa vanité et il sauva des centaines de vies pendant l’occupation. George Platt Waller, le chargé d’affaires américain au Luxembourg pendant la guerre, est un personnage complexe. Sa nièce s’engage aujourd’hui pour qu’il soit reconnu en tant que Juste.

Par Vincent Artuso

En anglais, on appelle ça „going native“. Cette expression qui remonte à l’administration coloniale britannique a toujours eu quelque chose de franchement désagréable. Elle sert à désigner des personnes qui expatriées, plongées dans une culture étrangère, finissent par adopter les mœurs, les comportements et les points de vue des autochtones, si bien que leurs patrons ne savent plus vraiment s’ils continuent à représenter les intérêts de la maison-mère ou bien ceux de leurs hôtes.

C’est exactement ce qui arriva à George Platt Waller, diplomate américain qui fut plus luxembourgeois que les Luxembourgeois et plus monarchiste que la Cour. Un personnage fantasque et vaniteux, certes, mais qui sauva aussi la vie de centaines de personnes.
Waller était un aristocrate du vieux Sud des Etats-Unis. Il avait passé son enfance à Montgomery, Alabama, dans la propriété familiale, l’une de ces grandes maisons blanches aux colonnades néo-classiques qui semblent tout droit sorties de l’œuvre de Margaret Mitchell. Sorti de l’université, le jeune homme cultivé et maniéré qu’il était opta pour la carrière diplomatique.

Il ne trouva pas sa première affectation, dans un consulat perdu sur la côte atlantique du Canada particulièrement palpitante. La deuxième, à Carlsbad en Bohême-Moravie (aujourd’hui Karlovy Vary, en République tchèque) le fut surement d’avantage. C’est là qu’il se trouvait en effet lorsque éclata la Première Guerre mondiale. Il écrivit bientôt à ses supérieurs qu’il lui était impossible d’exercer sa mission de manière impartiale dans l’Empire austro-hongrois car, en raison de son „hérédité“ et de sa „façon de penser“ ses sympathies allaient naturellement aux Anglo-Saxons. Il demanda donc à être muté dans un pays anglophone – autre que le Canada prit-il toutefois le soin de préciser.

Cette démarche ne fut probablement pas du goût de ses chefs, les Etats-Unis étant alors neutres. Doit-on considérer son affectation à Athènes, entre 1915 et 1919, comme une sanction? Dans les années 1920, Waller dirige le consulat américain de Dresde et en 1931 il est nommé chargé d’affaires au Luxembourg – ce qui sera finalement le poste le plus marquant dans sa trajectoire professionnelle.

Ses mémoires de guerre, parues voici quelques années sous le titre „Defiant Diplomat“*, tout comme les rapports qu’il faisait parvenir au State Department (le ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis) et qui sont aujourd’hui conservés à Washington, montrent à quel point le gentleman sudiste s’enticha du Luxembourg.

Pour lui, le Grand-Duché était d’abord l’incarnation de ces mythiques principautés de l’Ancien monde qu’il avait découvert, durant son enfance et son adolescence, dans les contes européens et la littérature romantique du 19e siècle. Mais c’était aussi un pays moderne, disposant d’une industrie performante, et, selon lui, l’Etat-nation le plus efficacement administré du continent. Dans de nombreux passages, il loue ce qu’il considérait être des vertus typiquement luxembourgeoises: la placidité, la modération politique et la loyauté – au trône et à l’autel.

Une carrière, au final, médiocre

Il faut dire que George Platt Waller avait non seulement tendance à confondre l’opinion publique avec celle, plus limitée, des élites politique, administrative et industrielle du pays, qu’il fréquentait assidûment, mais aussi à la faire sienne. Cela explique que, peu avant le référendum, il croyait encore dur comme fer que les trois quarts des Luxembourgeois étaient favorables à la loi „muselière“; c’est pour cela aussi qu’il affirmera pendant des années que les Allemands ne purent trouver aucun collaborateur parmi ses chers Luxembourgeois.

Dans un rapport qu’il rédigea à l’automne 1944, à un moment où près de 3.000 collaborateurs avaient été arrêtés et ou près de 10.000 Luxembourgeois avaient suivi les troupes allemandes de l’autre côté de la Moselle, il dut admettre, visiblement embarrassé, qu’il avait probablement sous-estimé le phénomène.

Cette tendance à faire sienne les illusions des milieux qu’il fréquentait ne devait pas être du goût du State Department où il était également critiqué en raison de son besoin de se faire valoir: „Je crois parfois qu’il ne donne une image ridicule de nous“, peut-on lire dans une appréciation confidentielle. „Il a un goût trop prononcé pour la partie représentative du travail, il aime avoir son nom dans le journal et je ne sais même pas s’il y a davantage à dire à son sujet.“

La carrière de Waller fut, au final, médiocre. Après le Luxembourg, l’une de ses dernières affectations fut le consulat américain de Chihuahua, au Mexique. Ce qui devait à l’époque paraître tout aussi grotesque qu’aujourd’hui. Il serait pourtant trop simple de réduire le diplomate à cette image simpliste. Si toutes les caractéristiques qui lui furent reprochées étaient réelles, les faits démontrent aussi qu’il fut courageux et fidèle en amitié et qu’il sut, à maintes occasions, faire preuve de panache.
Après l’invasion allemande, George Platt Waller fut bientôt le seul diplomate étranger qui put se maintenir au Luxembourg – il ne quitta le pays qu’à l’été 1941. Dans les rapports qu’il rédigea à cette époque, il ne manqua jamais de souligner l’esprit de résistance de la population et son attachement intact à l’égard de la Grande-Duchesse. Il n’était pas objectif, évidemment. Comment l’aurait-il été? Il détestait les nazis tout autant qu’il était attaché aux Luxembourgeois. Comme durant la Première Guerre mondiale, il avait choisi son camp.

Il fit donc son possible pour soutenir ceux qui souffraient de l’occupation, en dispensant des paroles de réconfort, en assurant un canal de communication entre le gouvernement en exil et les élites restées au pays mais aussi en aidant les juifs piégés par l’invasion à gagner les Etats-Unis. Sur les 2.000 qui étaient encore au Luxembourg à l’arrivée du Gauleiter Simon, près de 500 obtinrent un visa d’immigration grâce à Waller. Ce chiffre peut paraître modeste, il est en réalité impressionnant lorsqu’on considère le nombre de juifs qui essayaient alors de traverser l’Atlantique et les efforts déployés par Washington pour garder ses frontières fermées.

Une marge de manœuvre assez limitée

Ce qui frappe dans la correspondance de Waller avec le State Department ainsi que d’autres consulats américains, notamment ceux d’Anvers et de Lisbonne, c’est qu’il en fit sans cesse plus qu’il n’était censé faire, qu’il essaya d’exploiter au mieux sa marge de manœuvre assez limitée et qu’il agit parfois au mépris des règles. Cela finit par susciter de l’agacement. Ainsi, en janvier 1941, l’un de ses collègues, le consul américain de Lisbonne, lui écrivit qu’il n’était pas au courant que les règles diplomatiques avaient changé et que les employés du State Department étaient désormais habilités à rédiger des lettres de recommandation en faveur des candidats à l’immigration – ce que Waller avait déjà fait à plusieurs reprises.

Le 7 février 1941, c’est le secrétaire d’Etat lui-même, Cordell Hull, qui, dans un télégramme lui rappela que seules les personnes avec un dossier complet pouvaient recevoir un visa d’immigration. Ce qui, entre les lignes, prouve que Waller avait accordé le sésame tant convoité sans trop y regarder. Trois jours plus tard, le chef de la diplomatie américaine envoya un nouveau télégramme à son subordonné qui, sur le fonds, était semblable au premier mais, dans la forme, beaucoup plus tranchant.

La nièce de George Platt Waller estime aujourd’hui que la carrière de son oncle pâtit du fait qu’il avait ignoré les directives de ses supérieurs pour des raisons humanitaires. Si cela se confirme, elle pourrait présenter un dossier solide à Yad Vashem. La nièce de Waller essaie en effet de le faire reconnaître en tant que Juste parmi les Nations.
Si un lecteur peut appuyer cette initiative par un témoignage ou un document, qu’il me contacte! Voici mon adresse mail: vincent.artuso@uni.lu.

Mike Hubsch
17. Dezember 2017 - 20.15

En consul an en chargé d'affaires sinn net dat selwescht.