Mélenchon: le populisme de gauche

Mélenchon: le populisme de gauche

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Face au populisme de droite affiché par Marine le Pen et le Front national, Mélenchon et son „mouvement“ France insoumise ont décidé d’enfourcher les thématiques du „populisme de gauche“, glorifiant la patrie et le peuple. Comme la „mélenchonite“ a, hélas, aussi contaminé certains cercles de la gauche luxembourgeoise il est utile d’en faire une courte (et partielle) analyse critique.

Un blog appelé „L’ère du peuple“, l’affirmation que „notre feuille de route est la devise de la patrie: Liberté, égalité, fraternité“, des drapeaux bleu-blanc-rouge au lieu du drapeau rouge et la Marseillaise à la place de l’Internationale, tous ces symboles en disent long sur la stratégie de Mélenchon. Balayés, les symboles du mouvement ouvrier, disparues, les références aux luttes et au socialisme, le leader de la dite gauche radicale est devenu un patriote affirmé, parlant au nom du peuple. Une stratégie pour regrouper le maximum de gens derrière lui?? Certainement. Mais également une façon de démobiliser les travailleurs et d’affaiblir les consciences ouvrières.

Aucune mesure radicale

Tout au long de sa campagne présidentielle, Mélenchon a parlé de patriotisme, de protectionnisme, d’intérêt national, de gloire de la France dans le monde. Il n’a évoqué aucune mesure tant soit peu radicale pour s’opposer à la toute puissante des capitalistes (nulle socialisation des moyens de production, et même pas de nationalisations – et même aucune revendication conséquemment keynésienne).

Il s’agit de rassembler très largement, au-delà des seuls salariés, des catégories de la petite et moyenne bourgeoisie, et même des chefs d’entreprise, qu’il a flattés particulièrement en parlant de privilégier les PME françaises par rapport aux entreprises étrangères. Pas question donc de soutenir les salariés contre les patrons, il faut au contraire faire coïncider leurs intérêts.

Ces conceptions ont notamment leur origine dans les travaux d’Ernesto Laclau (décédé en 2014) et de Chantal Mouffe, qui a inspiré en partie les programmes de Tsipras en Grèce et d’Iglesias en Espagne, avant de devenir un soutien revendiqué de Mélenchon. Ces deux „philosophes politiques“ estiment que les oppositions de classe sont dépassées et ont laissé place à une opposition peuple-oligarchie. Les ennemis du peuple sont la „caste“ – l’oligarchie financière et les faiseurs d’opinion que sont les médias et les politiciens. Pour Chantal Mouffe, seuls les excès du néolibéralisme sont en cause. Le „réformisme radical“ dont elle se veut le chantre vise à réformer (à peine) le capitalisme, non à en finir avec lui. Un révisionnisme adapté à l’air du temps, reprenant les vieilles lunes qui effectuent une différence entre un bon capitalisme, investissant dans la production, et un mauvais, le financier, comme si la finance n’était pas intrinsèquement liée au processus de production et de fabrication de la plus-value. Mais c’est plutôt pratique: cela permet à Mélenchon de ne pas s’attaquer aux patrons en général. Il les a d’ailleurs rassurés pendant sa campagne en leur proposant de se „rendre utiles au pays et aux objectifs communs que nous tracerons à la patrie“.

Le culte du chef

C’est autour d’un leader que le peuple doit s’agglomérer. Avec comme idées fortes et simplistes: eux contre nous, la caste contre le peuple. Mélenchon peut ainsi dire, votez pour moi, je me charge du reste. Pas d’intervention des masses dans le champ politique et social, pas d’auto-organisation. Et surtout, pas de démocratie directe, car la créativité populaire est soumise à un chef charismatique, ce que les marxistes ont depuis longtemps appelé une forme de pouvoir „bonapartiste“, celui d’un homme prétendant incarner la nation tout entière en se dressant contre ou au-dessus des partis. Les chefs charismatiques Chavez, Correa ou Morales, qui ont fait des concessions à leur peuple tout en préservant le système capitaliste, sont logiquement revendiqués comme des modèles.

Pour Laclau et Mouffe, qui inspirent Mélenchon: tout est contingent, tout est hétérogène, rien n’est déterminé par les structures économiques, les luttes ne doivent pas converger contre le capitalisme, mais s’articuler, et elles peuvent s’articuler dans des tas de sens différents. Il arrive aux deux auteurs (pas souvent) d’évoquer l’existence du „capitalisme“, mais on se demande ce que ce terme recouvre pour eux, et à quoi il sert dans leur pensée. Ce qu’ils dénoncent, en fait, ce sont les excès du capitalisme financier mondialisé, qui ont miné la souveraineté nationale. Pas le système en tant que tel.

Mouffe et Laclau ne sont pas à une contradiction près: d’une part, ils disent que le peuple et l’élite sont séparés par un antagonisme radical, d’autre part le populisme pour eux a pour but de … rééquilibrer les rapports de force hégémonisés par le libéralisme, en créant les conditions d’un débat „agonistique“ (entre adversaires, pas entre ennemis) au sein des institutions bourgeoises/étatiques existantes. Le populisme serait le moyen politique d’arriver à ce rééquilibrage. D’une manière générale, le populisme n’a pas de contenu déterminé, disent-ils: il peut être de gauche ou de droite. La forme commune à tous les populismes (le rôle du Chef, le patriotisme, le flou des revendications, notamment) n’aurait donc aucune incidence sur le fond? Cette idée d’une séparation totale entre fond et forme est le pour le moins très contestable, voire franchement et tout simplement idiote.

Non seulement il ne faudrait pas avoir de réticence face au „populisme de gauche“, mais celui-ci serait au contraire, selon Mouffe, le seul moyen de contrer le populisme de droite. D’ailleurs, celui-ci ne doit pas être stigmatisé comme „raciste“, „fasciste“, etc.: dans la mesure où il a gagné une „lutte d’hégémonie“ et respecte les institutions, il est „légitime“ (Laclau dixit), il exprime des „demandes démocratiques“ (Mouffe). C’est ainsi que Ch. Mouffe a été amenée à estimer que le Vlaams Belang, parti aux origines nazis, devrait pouvoir participer au gouvernement, en Belgique …

Ce qui est frappant (entre autres), c’est que le discours „dégagiste“ de ces gens, tout en paraissant très radical, ne débouche sur aucun projet de société alternatif. Cette absence de projet de société (de mode alternatif de production de l’existence sociale) n’est pas le résultat d’une sorte de stratégie par étapes, du genre: d’abord rétablir „la démocratie“, puis lutter contre le capitalisme.

Non: pour Mouffe et Laclau, le problème est autre. Ils font un parallèle avec la psychanalyse: selon eux, l’aspiration à une société „réconciliée“ (disons, pour faire simple: le socialisme) est de même nature que l’aspiration de chaque être humain à retrouver la plénitude de la relation du bébé avec le sein de sa mère: une aspiration mythique. Une telle société est impossible, elle ne sert que „d’horizon“ pour mobiliser „les affects“ (sic). L’engouement de secteurs de la gauche pour ce genre de théories fumeuses est pour le moins étonnant …

Robert Mertzig