ExpositionL’affranchissement de la figure: Germaine Richier au Centre Pompidou

Exposition / L’affranchissement de la figure: Germaine Richier au Centre Pompidou
Plongée dans l’univers fantastique, parfois cocasse, toujours puissant, de Germaine Richier Photo: Hélène Mauri

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La rétrospective consacrée à la sculpteure française Germaine Richier (1904-1959), première femme artiste exposée de son vivant au Musée d’art moderne, en 1956, nous offre le parcours d’une œuvre depuis la tradition de la statuaire jusqu’à une émancipation du sujet et de la technique.

Germaine Richier a étudié dans l’atelier du sculpteur Bourdelle, lui-même élève de Rodin. Nous ne sommes donc pas étonnés par la puissance de ses bustes et de ses statues, par une audace et un académisme, qui font de la sculpture un art noble, fort de l’antique, mais aussi des avancées de Rodin. „L’Homme qui marche“ de Rodin est repris autrement par Germaine Richier, dans une attitude peu assurée, alors que celui de Rodin était débauche d’énergie. Que l’on se souvienne, Rodin, dans un accès de colère, parce qu’on lui avait reproché pour „L’Âge d’airain“ d’avoir pratiqué un moulage, tant son sujet semblait parfait, avait mutilé sa sculpture, et „L’Homme qui marche“ propulse la masse puissante d’un homme sans tête. Cet homme qui marche, nous le retrouvons également chez Giacometti, avec ses longues et fines lames, ces figures humaines penchées sur leur sort. Chez Germaine Richier, l’ontologie est aussi de mise, il s’agit avant tout de faire émerger le sujet, comme au jour de la Création. Et c’est merveille de percevoir le souffle de ces bronzes, la fragilité de l’existence à l’aune d’un visage, d’un corps, à la fois massif, offert et abandonné. Il s’agit à la fois d’une vérité singulière et universelle.

Une vie entre ombre et lumière

„Plus je vais, plus je suis certaine que seul l’Humain compte“ écrit Germaine Richier. A cet Humain, elle ajoute un environnement, en créant des êtres hybrides, avec une prédilection pour les bêtes nocturnes et les insectes, souvent méprisés. Araignées, mantes religieuses, elle fait de ses Femmes-insectes des créatures à la fois étranges et dangereuses, elle donnera au sujet l’ambivalence d’une vie entre ombre et lumière. Le monde végétal est également de la partie, car l’être humain est immergé dans un tout et c’est avec une volonté de réconciliation et d’élégie que Germaine Richier dresse ses figures. Ces hybridations se font également par le biais de différents matériaux assemblés dans le bronze. Ainsi, pour „L’Eau“ (1953), une femme robuste, assise miraculeusement en équilibre, présente une tête en forme d’amphore. Celle-ci a été récoltée sur la plage, près des Saintes-Maries-de-la-Mer. De tels assemblages d’éléments disparates, dont des débris naturels, coulés dans le bronze, on les trouvera également chez Picasso.

Germaine Richier dessine très peu et préfère s’immerger dans la matière pour en faire émerger la forme. Et c’est une grâce de penser également au corps du sculpteur à l’œuvre, à ce duo qu’elle forme avec la masse, comme sa propre empreinte à découvrir, ceci dans les règles de l’art. Ces règles, Bourdelle, dont elle est la seule élève particulière, les lui transmet. Comme le travail d’après le modèle vivant, le modelage, mais aussi la triangulation, une technique qui consiste à marquer chacun des points osseux du modèle vivant puis à reporter dans l’espace les lignes qui architecturent le corps. L’un de ses modèles, Nardone, a posé pour le célèbre Balzac de Rodin.

Une attente sans fin

La masse, la chair, la terre, l’œuvre au vif sont là, dans les sculptures de Germaine Richier, et c’est avec émotion et fascination que nous les contemplons. Nul aspect lisse, mais au contraire une matière éprouvée, des ravines, des accidents, des saillies, des attitudes saisies sur le vif, comme un homme ou une femme au bord de l’abîme, saisis au plus près de leur essence. Avec une force dans le traitement qui ramène également aux écrits de Beckett. Une attente sans fin.

Germaine Richier laboure ses figures, elle n’en garde parfois, en guise de visage, qu’un masque. Figures humaines comme déchiquetées, sans anecdote possible, se dressant de toute leur force depuis leur condition et leur solitude. La réception de son œuvre soulève parfois des protestations, comme son „Christ d’Assy“ (1950), un Christ de douleur, dont les bras décharnés et démesurés se confondent avec la croix et s’ouvrent au monde. Longue figure, au corps esquissé. Ce Christ est une commande venue du père Couturier et du chanoine Jean Devémy, liés à l’église d’Assy. Germaine Richier renoue avec la représentation d’un Christ de douleur, mais quelques mois après sa mise en place dans l’église d’Assy, en 1951, un groupe d’intégristes catholiques s’indigne de cette figure si peu conventionnelle à leur goût, et la sculpture est déplacée dans un espace où elle se fait plus discrète. Dans ces années-là, Germaine Richier expérimente diverses techniques et s’empare du plomb, plus malléable. Elle le fond elle-même, sertit au creux de ses sculptures des plaques de verre, détournant ainsi la technique du vitrail.

Toujours dans le désir de se renouveler et cette fois de conjuguer sculpture et peinture, Germaine Richier fait appel à la collaboration, pour des fonds abstraits devant lesquels elle place ses silhouettes de bronze, tel un nouvel environnement, à des peintres comme Vieira da Silva, Hartung, Zao Wou-Ki.

C’est donc une œuvre intense et hybride, d’une poésie exigeante comme un cri qui sourd, faite à partir de matériaux différents, comme une matière perpétuellement en fusion, que s’élabore l’univers fantastique, parfois cocasse, toujours puissant, de Germaine Richier.

Germaine Richier, „Le Diabolo“, 1950, Bronze, 160 x 49 x 60 cm
Germaine Richier, „Le Diabolo“, 1950, Bronze, 160 x 49 x 60 cm © Adagp, Paris 2023 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP

Infos

Germaine Richier
Jusqu’au 12 juin 2023
Centre Pompidou
www.centrepompidou.fr