NécrologieL’hommage à „Bébel le Magnifique“ oublie un peu le comédien profond qu’il fut aussi

Nécrologie / L’hommage à „Bébel le Magnifique“ oublie un peu le comédien profond qu’il fut aussi
Jean-Paul Belmondo et l’actrice Raquel Welch pendant le tournage d’„Animal“ de Claude Zidi Photo: AFP

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Comédien français de stature largement internationale, comme en témoigne l’ampleur des réactions et de la couverture de presse suscitées en France et dans le monde par l’annonce de sa mort, Jean-Paul Belmondo s’est éteint lundi après-midi à Paris, „paisiblement“ a précisé sa famille, qui le décrivait comme „très fatigué depuis quelque temps.“ Il avait 88 ans, dont une bonne soixantaine avait été consacrée au cinéma bien sûr, à travers plus de 80 films, mais aussi au théâtre, sa première passion. Un hommage national lui sera rendu jeudi dans la cour d’honneur des Invalides, sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Ainsi vont les mystères et les ambiguïtés de la gloire: tout le monde aimait Belmondo – et, soit dit en passant, plutôt sous les traits du bouillonnant jeune homme qu’il avait été que sous ceux du vieillard majestueux mais malade qu’il était devenu – mais peu de gens mesuraient ce que lui doit réellement le cinéma français. Parce qu’on s’était vite accoutumé à surnommer affectueusement „Bébel“ ce séducteur dégingandé, gouailleur et malicieux, parce qu’on se souvenait avant tout des joyeuses comédies où cet athlétique et très talentueux saltimbanque enchaînait les bons mots et les cascades, on avait fini par perdre de vue qu’il était d’abord un très grand comédien.

Certes, la seconde partie de sa carrière, quoiqu’à de notables exceptions près, a davantage été tournée vers la farce bien enlevée, parfois exotique, voire vers quelques „nanars“, comme disent les cinéphiles exigeants. Mais comment oublier tout de même le choc que représenta pour le public français, puis européen, l’irruption sur les écrans de cette silhouette, de cette voix, de cette présence, en même temps que s’imposait peu à peu la „Nouvelle vague“?

De cette révolution des salles obscures, Jean-Luc Godard allait être l’initiateur inspiré, qui fait de Belmondo (lequel ne jure à l’époque que par le théâtre, et dont l’agent ne cesse de lui dire que „participer à ce film sans scénario ni budget serait une erreur majeure“) la vedette masculine d’„A bout de souffle“, aux côtés de Jean Seberg. Un succès qui ne s’est jamais éteint … Autre chef d’œuvre tourné, lui, par Henri Verneuil en 1962: „Un singe en hiver“, magistrale adaptation du roman d’Antoine Blondin, qui lui fait partager la vedette avec Jean Gabin – lequel l’avait pourtant très fraîchement accueilli à ses débuts.

Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg
Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg Photo: AFP

De la „Nouvelle vague“ aux millions d’entrées

Belmondo tournera aussi avec bien d’autres réalisateurs de cette „Nouvelle vague“: Louis Malle, François Truffaut, Alain Resnais, Claude Chabrol, dont le premier assistant, Philippe de Broca, joyeux luron qui sympathise vite avec le comédien et le fera lui aussi tourner, dans un registre plus léger, lorsqu’il sera devenu metteur en scène à part entière. Arrive alors le temps des films à gros budget – et à très grosses recettes, avec Robert Enrico, Jean-Paul Rappeneau, Georges Lautner, Gérard Oury, Claude Zidi … Plusieurs des films de cette époque vont réaliser lors de leur sortie en salle plus de 4 millions d’entrées.

De succès en succès, Belmondo y sculpte ce profil intrépide et truculent – des dialogues signés Michel Audiard et des prouesses gymniques y contribuent souvent – qui lui vaudra son surnom. Il devient en quelque sorte, malgré la relative diversité des scénarios et des réalisateurs, un personnage unique. „Toujours le même“, insisteront ceux que cette constance agace. Même s’il renoue de loin en loin avec des rôles plus ambitieux, et n’oublie pas tout à fait sa vieille passion pour le théâtre.

C’était d’ailleurs à seule fin de faire de la scène, et non de jouer dans des films („Le cinéma, c’est un peu con, non?“, disait-il alors en toute inconscience) qu’il s’était inscrit, à 19 ans, au Conservatoire. Il en est sorti cinq ans plus tard, mal noté par le jury mais adoré par des camarades qui feront eux aussi leur chemin: Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Jean Rochefort, Françoise Fabian … Et il a commencé par le théâtre, où il a connu un premier succès dans „Oscar“, aux côtés de Pierre Mondy, en 1958.

Belmondo en 2016
Belmondo en 2016 Photo: Joël Saget/AFP

Loin de Hollywood

Mais c’est bel et bien au cinéma que Belmondo a connu la gloire. Sans pour autant avoir recherché la starification dont, par exemple, a bénéficié son présumé rival Alain Delon, qui s’est dit bouleversé par sa mort. Non qu’il n’ait lui aussi cultivé sa popularité, avec même sans doute bien plus d’application que Delon (avec qui il avait notamment tourné dans „Borsalino“, de Jacques Deray, en 1970). Mais il a toujours affiché une préférence pour la popularité, la camaraderie, la connivence avec le public qu’il aimait tant faire rire, plutôt que pour les séductions de Hollywood – sinon, il est vrai, pour ses séductrices …

Hollywood qui lui a pourtant rendu un hommage solennel en 2010, en lui décernant le Career Achievement Award attribué par la très influente association des critiques de cinéma de Los Angeles; puis, quelques jours plus tard, en le recevant au premier Festival du film de TCM, où il a lui-même présenté la copie restaurée d’„A bout de souffle“. Mais d’une manière générale, „Bébel“ sera resté jusqu’au bout, si connu et apprécié qu’il fût dans nombre de pays étrangers, un pur produit français.

Il se disait d’ailleurs fier de représenter „le Franchouillard rigolard et démerdard“, même s’il n’est pas interdit de penser qu’une partie de lui-même regrettait sans doute parfois le temps plus exigeant du „Pierrot le Fou“ de Godard et de l’„Itinéraire d’un enfant gâté“ de Lelouch … Mais c’est à un autre film, réalisé en 1973 par Philippe de Broca, qu’a fait allusion le président Macron dans son message d’hommage. „Il restera à jamais ‚Le Magnifique’. Jean-Paul Belmondo était un trésor national, tout en panache et en éclats de rire, le verbe haut et le corps leste, héros sublime et figure familière, infatigable casse-cou et magicien des mots. En lui, nous nous retrouvions tous.“