„Si vous aviez emprunté les chemins de terre dans ce vaste panorama et que vous étiez passé à côté d’elles en train de jouer dehors, vous n’auriez distingué que deux petits points à l’horizon, mais pour moi, ces deux gamines étaient exceptionnelles, et elles le sont encore aujourd’hui.“ (Alessandra Sanguinetti)
Ainsi débutent „Les aventures de Guille et Belinda (1999-2024)“, un travail toujours en cours, puisqu’il s’agit d’une rencontre, de faire famille, de donner du sens. Les destinées semblent s’accomplir sous nos yeux. Instants donnés, faits de liens fraternels, d’une affection, d’une amitié fidèle. Les deux petites filles sont les icônes d’un paysage essentiel, oublié par nous, citadins, celui de la terre, des animaux, sous un ciel de légende. Alessandra Sanguinetti accorde du temps à la vie. Le flux, l’énergie, qui traversent ces destinées sont bouleversants de simplicité et d’authenticité. Les images sont généreuses en couleurs, les mises en scène, oniriques, la vie prend le pas, le temps d’un mirage. Les séquences, au début, sont rythmées par l’enfance et les corps qui s’enlacent comme seuls les enfants savent le faire, avec grâce, sans faux-semblant. Puis l’adolescence et ses métamorphoses arrivent. L’âge adulte et la maternité, l’enfant au sein, nous transportent dans l’évidence de la vie, celle qui se donne et s’accomplit.
L’environnement est celui de la ferme. Les deux petites sont cousines. En les regardant vivre, de cette façon essentielle, nous sommes pris d’une grande mélancolie, comme si cette visite, dans des salles blanches, avec des visiteurs silencieux qui regardent la vie en train de se faire, nous confirmait que nos modes d’existence sont caduques, à côté du réel. Nous nous sentons enfermés dans des façons de faire standardisées, des formatages qui n’ont plus grand-chose à faire de l’organique, du lien à l’autre, de l’élan, de la rudesse, aussi, de la vie. Comme des consommateurs. Alors que de l’autre côté de l’image, l’existence se déroule dans un éclaboussement de couleurs et de chair, de visages approchés au plus près.
Un sein sorti pour allaiter le petit, des corps flottant dans l’eau, pris par le songe d’être vivants. Un bouquet de fleurs tenu par une fillette aux yeux fermés, une révérence devant le merveilleux qui s’offre simplement. Laisser faire.
Auparavant, nous est présentée la généalogie des deux cousines – les parents et leur mariage nous sont présentés à travers des archives photographiques, de ces photos conventionnelles des cérémonies, en noir et blanc.
Ouvrir la vie par le songe
Puis arrivent les photos d’Alessandra Sanguinetti. La confiance et le respect, l’amour pour ces petites, se devinent à leur abandon devant l’objectif, à l’intimité entre elles trois. Belinda est fine, presque androgyne, tandis que Guille est rondelette. On devine l’une agile, l’autre plus maladroite. Le royaume du jeu leur est offert. Le déguisement est de mise. La photo donne le temps mais aussi l’affranchissement de celui-ci, par des mises en scène qui échappent au réel, un intervalle ouvert dans nos imaginaires. Ainsi voit-on Guille se promener dans la campagne, avec un faux nez et une moustache, coiffée d’un béret rouge, un poulet à la main, qu’elle tient par les pattes. Ailleurs, à grands rires, les jeunes filles s’amusent à être enceintes, le ventre proéminent sous leurs robes. Les visages sont lumineux, la jeunesse insouciante. Les animaux sont partie prenante du récit. Des poules, des chèvres, comme dans les mythes. Belinda, et une tête sanguinolente de vache, posée devant elle, sur une table. A travers ces récits surréalistes, se devine le quotidien.
Les jeunes fées se penchent sur l’eau pour contempler leur reflet. Vies inversées, où le réel s’infiltre, on devine la pauvreté alentour. Ou bien elles veillent l’une sur l’autre, Belinda couchée, tandis que Guille lui lit une histoire. Guille, à l’école – et l’on sent que c’est plus difficile. Les enfants qui tètent, Guille et Belinda sont devenues mères. Le temps se resserre parfois sur une obligation, un lien, une existence, telle qu’elle doit se dérouler dans un contexte imposé. Il faut alors ouvrir la vie par le songe. Le rétrécissement ne dure pas, car aussitôt, et c’est le propre des photos d’Alessandra Sanguinetti, le paysage advient, enveloppe, berce, semble apaiser. Sublimation de la vie, par la beauté des lieux et des êtres. Nous avons là des récits magiques, un enchantement des liens. Même quand Guille pleure, c’est un moment, auquel rendre grâce, dans toute sa fragilité.
Oui, la grâce est partout, comme une eau jaillissante. Visages et vies immergés dans l’univers, l’hommage ici est éblouissant, non seulement de beauté, mais aussi d’amour, d’incarnation. Cette série, toujours en cours, a été exposée aux Rencontres de la Photographie d’Arles, en 2006. Alessandra Sanguinetti vit désormais entre San Francisco et Buenos Aires. Membre de l’Agence Magnum Photos depuis 2007, elle a reçu de nombreuses récompenses et bourses pour ses photographies.

Infos
„Alessandra Sanguinetti – Les aventures de Guille et Belinda“
Jusqu’au 19 mai
Fondation Henri Cartier-Bresson
79, rue des Archives
75003 Paris
www.henricartierbresson.org
De Maart
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