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Musique / La loi du karma
C’est Karma se produit lundi soir au Rocas Copyright 2018 Fohl Noah, All Rights Reserved

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Avec sa pop expérimentale aux textes politiques, C’est Karma occupe une place singulière dans la scène musicale luxembourgeoise. En attendant son premier LP prévu pour 2024, la jeune artiste joue ce lundi soir, 15 janvier au Rocas. L’occasion pour elle de bien démarrer l’année et de faire découvrir ses nouvelles expérimentations. Portrait.

Karma, définition: principe selon lequel la vie des êtres humains dépend de leurs actes et de leurs vies passées. Au-delà du „Karma Police“ de Radiohead, plusieurs chansons ont traité du sujet, du „Karma“ de Taylor Swift à celui d’Alicia Keys; citons encore le „Happy Karma Christmas“ de Sufjan Stevens. Anna Catena œuvre sous le pseudonyme C’est Karma, comme pour traduire l’idée que le meilleur d’elle-même, via ses actions, découlerait dans ses chansons. Ce n’est pas qu’une idée: c’est une réalité. Née au Luxembourg d’une mère portugaise et d’un père italien, Anna Catena apprend le violon très jeune au conservatoire. Sans succès. En bonne punk, la Luxembourgeoise fait fi du solfège; elle prend une guitare, celle de sa demi-sœur, et gratte en autodidacte. En 2017, alors qu’elle n’a que quinze ans, la musicienne enchaîne les concerts sauvages dans les rues de son fief. Un an plus tard, Anna est élue meilleur espoir féminin aux Luxembourg Music Award puis joue en première partie des Allemands Milky Chance, à la Rockhal. Tout est allé très vite pour C’est Karma et tout ne va continuer qu’en s’accélérant pour Anna Catena.

Si C’est Karma s’est fait la main sur du folk acoustique, c’est pour mieux aller vers la pop expérimentale, quelque part entre Tori Amos, Björk, Billie Eilish et Stella Donnelly. Bidouillages bizarroïdes, beats percutants, paroles mordantes, timbre au naturel ou voix maquillée, distorsions électroniques et décharges électriques remodelées, flashs stroboscopiques et images saccadés, lumières psychédéliques et look caméléon, voilà pour les quelques mots-clefs façon ashtags en guise de définition de C’est Karma. 

Expérimentale et politique

William Burroughs affirmait que le fait de parler d’expérimental voulait dire que l’expérimentation avait échoué. A l’écoute de C’est Karma, le terme expérimental fait sens en même temps qu’il va dans le sens de l’écrivain américain; à l’inverse de son expérience avec le violon, ce qu’Anna Catena expérimente, elle le réussit. Sa pop est aussi complexe qu’accessible; autant tournée vers le futur que les deux pieds ancrés dans le présent. Et la touche play appelle un bis aussi bien par plaisir addictif immédiat que pour déguster les subtilités de ses compositions à leur juste valeur.

En plus des mots, C’est Karma aime jouer avec les images. Son EP „Amuse-Bouche“ est bien davantage que ce que son titre indique, autrement dit un festin, de „Spaghetti On Repeat“ au morceau „Gâteaux“. La nourriture a toujours inspiré les artistes, qu’il s’agisse des fruits et légumes qui dessinent un visage chez Giuseppe Arcimboldo ou des longues scènes de repas dans les westerns spaghetti. Et le „Pop Corn“ de C’est Karma, qui renvoie aussi au tube électro de Gershon Kingsley, de rendre justement hommage au cinéma. „Bubblegum“, chanson où s’entrelacent guitare électrique et autotune, revient à l’enfance et à sa bulle (de chewing-gum). Dans „Bread“, C’est Karma parle de Jeff Bezos, le fondateur et actionnaire d’Amazon, pendant qu’„Industrial Salt“ rend hommage à ses grands-parents qui ont fui le Portugal sous le régime de Salazar. La thématique du „Spaghetti On Repeat“? Le mythe de l’ascension sociale. Sur „Gâteaux“, il n’y a pas de bougies à souffler sinon pour fêter amèrement le déclin de la situation climatique.

Même si la plage fait office de décor, „Pool Party“ n’est pas une fête non plus: en pointant du (troisième) doigt certains regards masculins trop baladeurs, le morceau de C’est Karma peut s’écouter comme une réponse au „J’aime regarder les filles“ de Patrick Coutin. Plus universel encore et paru lors de la Journée internationale des femmes, en mars 2020, „Girls“ est une ode à Frida Kahlo autant qu’un hymne.

Pour C’est Karma, c’est indéniable, musique rime avec politique: la démarche et l’attitude sont des principes aussi vitaux que le contenu des textes. Sa volonté de faire passer un message est d’autant plus salutaire dans une société qui souvent touche le fond à force d’en manquer. Les chanteuses et chanteurs, on les écoute, aussi au sens de suivre. Anna Catena, on peut également la lire. La jeune femme tient un blog entre le journal intime et les billets d’humeur, l’analyse sociale et les conseils de lecture (Donna Haraw, Kimberlé Crenshaw, entre autres), le tout fourmillant d’anecdotes à la première personne. Extrait: „Lors de mes balances avant un concert, il m’est souvent arrivé que l’ingénieur du son essaye de m’expliquer mon instrument.“ Heureusement le monde scintille dans sa dernière chanson, „Hearts On Window“. Celle-ci tombe à pic en cette période de grand froid, comme l’indique ce fragment aux airs de haïku: „Whenever it snows/Draw hearts on windows“. Un peu de baume au cœur face au désordre que C’est Karma dénonce, un peu de positif pour engendrer, qui sait, beaucoup de meilleur – encore une histoire de karma. „Give me the karma mama“ pour citer le „Sat In Your Lap“ signé Kate Bush, la reine de la pop expérimentale.

Le lundi, 15 janvier à 20 h, au Rocas, 33, rue des Capucins à Luxembourg. Entrée: 10 euros.

Un album en 2024

En novembre dernier, C’est Karma a été lauréate (avec Pascal Schumacher) du Global Project Grant. Cette bourse l’accompagnera dans la réalisation de son premier album annoncé pour le second semestre 2024. Le disque s’inspirera de ses influences comme Björk, Kate Bush, ou Imogen Heap, ainsi qu’à des artistes avant-gardistes contemporains tels que Arca, SOPHIE ou Caroline Polachek; comme l’expliquait le communiqué de presse de kultur lx annonçant la nouvelle. Les thèmes qui seront abordés dans le disque seront le confort et l’inconfort, son couple ainsi que son amour pour son jeune frère et pour le Portugal, pays d’origine de sa famille. Elle s’y livrera sur des sujets tels que la perte de contrôle dans le monde de la nuit, les abus et la peur.