Expo Inventaire visuel: Déambulation dans l’Agrocenter de Mersch

Expo  / Inventaire visuel: Déambulation dans l’Agrocenter de Mersch
 Foto: Ramin Girtgen, CNA

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Complexe industriel frappé de gigantisme, et par des polémiques à répétition, l’Agrocenter de Mersch reste toutefois peu connu. Grâce à son enquête photographique, Christian Aschman révèle les singularités architecturales et les atmosphères de ce site aujourd’hui démantelé au profit d’un projet immobilier.

L’objet de l’exposition n’est bien sûr pas polémique, en aucun cas rivé au contexte agro-politique de l’après-guerre, la Centrale paysanne présidant à la construction en 1959 à Mersch d’un colosse monopolisant toute la filière agro-alimentaire, pas plus qu’à la décision en 2018 du ministère de la Culture de raser la centrale à grains. Il n’empêche, l’inventaire photographique actuellement exposé au CNA (dans l’espace „Display“ du Centre national de l’audiovisuel à Dudelange) rebondit immanquablement sur la genèse de ce site démesuré, autant que sur sa disparition, sonnant le glas d’un morceau du patrimoine industriel – en tout cas agricole – luxembourgeois.

En même temps, quand le photographe Christian Aschman (né en 1966 à Luxembourg) – précisément mandaté par le CNA, dont la mission est la sauvegarde du patrimoine par la trace photographique – a entamé son travail en 2018, il ne connaissait rien du site de Mersch, et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa déambulation est édifiante. Promenant son regard de 2018 à 2019 – „jamais l’hiver“ –, Christian Aschman, témoin privilégié d’un „univers à huis clos“, inaccessible au public, met en évidence au moins deux particularités: le gigantisme – en témoignent notamment les larges allées qui segmentent les trente hectares du complexe – et les choix esthétiques, voire assez peu fonctionnels, imputables aux architectes, dont Arthur Thill, et surtout au directeur Mathias Berns (1913-2006), un esthète un tantinet mégalomane.

Arpenteur et éclaireur

La preuve dès l’entrée, avec une fresque qui tapisse un mur d’une salle de réception, représentant … les chutes du Niagara! En fait, ce motif est un extrait d’un décor panoramique intitulé „Les Vues d’Amérique du Nord“, emblématique de la collection de la plus ancienne manufacture de papier peint encore en activité, Zuber & Cie, installée en Alsace, à Rixheim, qui, depuis sa création en 1790, utilise toujours aujourd’hui la technique d’impression à la planche de bois sculptée – du reste, les 150.000 plus anciennes planches réalisées entre 1797 et 1830, servant encore à l’impression de papier peint, sont classées Monuments historiques.

Pour le coup, „cette technique confère aux panoramas Zuber le rang de véritable œuvre d’art“. Et c’est donc à Mersch que Christian Aschman en découvre un fragment, apparemment fait sur commande dans les années 1970. Ledit fragment, désormais en péril, entoure et recouvre donc une porte de cantine VIP, laquelle porte a d’ailleurs été dérobée. Voilà qui a l’allure d’un morceau de puzzle manquant, et l’œil d’Aschman d’en saisir tout le potentiel narratif, de fabriquer ainsi non pas une réalité objective mais un imaginaire. Un hors-champ.

Cross head: au-delà du béton

Christian Aschman nous promène à l’extérieur – au pied de la tour des machines („ce fut, entre 1959 et 1966, le bâtiment le plus haut du Luxembourg“), en contre-plongée des silos à grains dressés à 55 mètres, le long de la façade de l’usine d’aliments composés pour bétail, façade de briques jaunes si étendue que l’objectif ne peut embrasser la totalité –mais aussi à l’intérieur: il commence par les abattoirs (les premiers vastes espaces à disparaître), avec leurs carrelages tantôt bleus, tantôt ocre, avant notamment de flâner dans l’immense salle de réunion, tendue de rouge, avec mobilier cossu et rideaux imprimés de bambous.

L’itinéraire balaie la zone à perte de vue: une photo aérienne de 1976 rend compte des différents secteurs de l’Agrocenter (avec ses quatre halls, celui de la réception des grains y compris), dont le périmètre est balisé d’un côté par l’Alzette et de l’autre par un imposant mur d’enceinte. Cette photo historique jouxte un plan dessiné qui situe aussi les extensions (seule la fabrique de glaces subsiste sur le site en cours de démolition, les autres activités étant réparties entre Perl et Colmar-Berg).

Christian Aschman documente, mais pas que, loin s’en faut. Le regard est celui d’un artiste, d’un traqueur de jeux d’ombres, tous instigateurs de cadrages inattendus, ces fameux hors-champs pourvoyeurs d’atmosphères (à l’exemple de la station de conditionnement de semences où les cageots s’empilent comme des boîtes à archives). Aschman capture les détails architectoniques, il sublime la chorégraphie des tuyaux, il sanctifie les machines et outils, autant de formes quasi sculpturales engourdies sous la poussière mais curieusement très colorées: „Si la fonction induisait la forme, la couleur déterminait la fonction“ – reste au visiteur à deviner ce qui servait à quoi.

Bien sûr, le photographe Aschman n’oublie pas sa mission d’enquêteur-documentaliste, saisissant du coup, dans une belle lumière, la chape monochrome de cet ensemble moderne tout en béton où les lignes prévalent sans bouder les courbes – Antoinette Lorang en analyse les références dans le livre qui accompagne l’exposition; parfois, le purisme de Le Corbusier plane. Le décor est de béton, oui, mais sans bouder non plus les briques de verre, ni la pierre de taille.

Des 800 images ainsi nées dans le silence d’une expédition solitaire, 87 sont actuellement exposées au CNA, qui ne ravivent délibérément pas les 60 ans de la saga agricole de Mersch, pour préférer raconter un univers et mieux le traduire en un langage de couleurs, de formes, de volumes, d’espaces et de lumières.

Info

Au CNA (Espace Display), Dudelange: Christian Aschman, „Hors-Champs“, photos (Agrocenter de Mersch), jusqu’au 29 novembre 2020, www.cna.lu