L’artiste allemande, d’origine luxembourgeoise, Vera Kox, pense „la terre comme un organisme cohérent et vivant, capable d’éprouver des sentiments et des sensations“. C’est ce qu’elle a voulu indiquer en nommant „Sentient soil“ sa vaste exposition monographique à laquelle la Konschthal offre son cadre. La vie humaine est dépendante d’une mince couche fertile à la surface de l’écorce terrestre, qu’elle tend à maltraiter. C’est là que l’artiste y puise les matières premières pour alerter sur sa dégradation. Le co-commissaire de l’exposition, Charles Wennig, suggère d’envisager l’artiste comme une „archéologue du futur qui extrait des artefacts fossilisés et post-humains des profondeurs de nos décharges“.
Paysages alternatifs
Pour ce faire, Vera Kox ne choisit pas la voie la plus élémentaire. Elle compose des paysages alternatifs, „des environnements autonomes qui se soustraient à toutes catégories et idées préconçues“, apprend-on dans le texte de présentation. C’est „dans un monde mi-naturel, mi-artificiel, entre Pléistocène et post-Anthropocène“ qu’elle propose le regardant de s’immerger.
L’exposition est un grand processus de production associé à plusieurs résidences à l’étranger. Il y eut notamment cette année une résidence de trois mois au Mexique à Guadalajara pour pouvoir sortir des fours, les céramiques, grandes, complexes et fragiles conçues par l’artiste, présentant ces glaçures brillantes qu’elle n’avait encore jamais utilisées. La Konschthal a cofinancé la production – et financé un livre présenté le 24 novembre à l’occasion d’une conversation avec Lisa Robertson et Sarah-Ihler Meyer. On retrouve dans les sculptures des empreintes de plantes intégrées à ses œuvres comme une évocation du recul de la biodiversité.
Vera Kox propose aussi des installations, dans lesquelles elle met au défi ses sculptures. C’est ainsi qu’elle introduit dans l’espace d’exposition des poutres en acier, qu’elle fait dialoguer avec des objets organiques en céramique, posés à leurs extrémités, dans un équilibre précaire. Ailleurs, c’est un film qui rapporte ses expérimentations en deux lieux extrêmes, sensibles au changement climatique, dans lesquels les fluides sont omniprésents: Spitzbergen, région minière proche du pôle Nord, le champ géothermique Dallol en Ethiopie, une des régions les plus chaudes. A côté, les céramiques, fragiles, sont suspendues à des balançoires rudimentaires. Cela évoque la fragilité de l’environnement, mais aussi donne une impression de fonte, sous l’effet du changement climatique. Le directeur des lieux, Christian Mosar, souligne la dimension très contemporaine du travail de Vera Kox sur le dur et le mou, le forme et l’informe,
Migrations, mais pas que
Avec Displaced II qui occupe les niveaux inférieurs de la Konschthal, c’est à d’autres méditations sur le caractère provisoire de la vie qu’on est invité. Il s’agit du cœur d’une exposition consacrée à la notion de chez soi et à sa perte, dont le prologue fut inauguré en juillet dernier. Les 14 artistes ici rassemblés abordent la thématique de diverses manières. Il ne s’agit pas toujours de migration. La perte d’identité et d’appartenance à une communauté dont il est question peut être la conséquence „du renoncement à certaines croyances ainsi que [de] la nostalgie d’un patrimoine perdu ou d’une époque révolue“.
C’est le suspens qui forme le fil rouge à toutes les œuvres filmiques présentées dans ce contexte, souligne Christian Mosar. Le travail de l’Argentin Sebastián Díaz Morales est un bel exemple de cette acceptation large du concept. Côte à côte sont présentées quatre de ses „Pasajes“, d’une déambulation kafkaïenne et hypnotique d’un homme qui traverse une série de pièces sans aucune continuité architectonique entre les différentes scènes à une visite de la prison panoptique de Haarlem.
Dans un autre espace de projection, c’est le film „Casa negra“ de l’exilé cubain, Marco A. Castillo qui est à voir. On assiste à la recomposition d’un charivari à la sauce communiste. L’artiste reconstitue l’une des actions que la police politique demandait aux voisins de personnes considérées comme déviantes politiquement de faire, à savoir une manifestation bruyante devant leur maison, suivi d’un badigeonnage de cette dernière par du goudron noir. La maison noircie ressemble à une œuvre d’art minimaliste, tandis que les mains des voisins qui s’apposent sur ses fenêtres évoquent plutôt les films de zombie.
On découvre aussi un clip musical, dont l’esthétique et la thématique lui donnent toute sa place dans une exposition d’art contemporain. Il s’agit de „Territory“ de The Blaze, une musique électronique sans parole, dont la narration est soutenue par l’image, en l’occurrence le retour au bled d’un jeune homme dont les parents ont immigré en France.
La Konschthal prouve une nouvelle fois, notamment après l’exposition consacrée à l’artiste lituanien Deimantas Narkevicius, par sa disposition et sa lumière, qu’elle se prête particulièrement bien à accueillir les travaux flirtant avec le cinéma – plutôt délaissés ces derniers temps au profit des arts numériques et autres jeux vidéo.
Lisa Kohl aussi
Il n’y a d’ailleurs pas que de la vidéo. Mais aussi de la photo. On retrouve l’artiste luxembourgeoise Lisa Kohl parmi les 14 artistes de Displaced II. Elle est présentée avec deux photographies, dont une, au potentiel iconique, montre, sur une frontière barbelée de l’île de Chypre, un empilement de sièges en plastique comme une sculpture qui permet l’évasion, dans un détournement astucieux des lieux et des objets.
On retrouve également la photographe Candida Höfer, dans un travail précoce encore largement méconnu, avant qu’elle ne se consacre aux intérieurs vides qui ont fait sa marque. Pour entrer à l’académie de Düsseldorf, elle avait proposé une série sur les immigrés turcs en Allemagne, qu’on nous propose de découvrir dans un diaporama.
Gregor Schneider mélange vidéos et photos pour évoquer le spectacle morbide des bulldozers géants de Garzweiler, qui, après avoir rasé des villages entiers, extraient la houille à ciel ouvert, sous les yeux des clients d’un improbable café. Parmi les nombreuses autres curiosités à découvrir, citons l’Iranienne Samira Hodaei qui, au cours de quatre mois de résidence au Bridderhaus, explore en parallèle les traces et les impacts sociétaux de l’industrie du pétrole dans l’Iran qu’elle a quitté et celle de l’industrie minière à Esch-sur-Alzette. C’est aussi en voyageant dans le temps, qu’on peut ne plus être chez soi.
Jusqu’au 15 janvier 2025.

De Maart

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