Entretien„Dans des moments de crise, les relations bougent“

Entretien / „Dans des moments de crise, les relations bougent“
Arieh Worthalter joue Marc, un père de famille quitté par sa femme Clarisse (Vicky Krieps) (C) Les films du poisson

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Des yeux bleu clairs, un visage expressif, il y a quelque chose de Romain Duris et de Robin Williams chez Arieh Worthalter. Discrètement, le comédien belge s’est fait un nom dans le cinéma francophone. Dans „Girl“ de Lukas Dhont (Caméra d’or au Festival de Cannes en 2018) puis dans „Un monde plus grand“ (2019), „A Cœur Battant“ (2020). Il tient le rôle-titre dans „Serre moi fort“, la troisième réalisation de Mathieu Amalric, présentée sous le label Cannes Première. Librement adapté d’une pièce de Claudine Galea („Je reviens de loin“), le film fragmenté oscille entre rêve et réalité. Clarisse (merveilleuse Vicky Krieps) est partie, elle a laissé mari et enfants. Sous nos yeux, ils s’attachent aux petits événements du quotidien et s’interrogent sur son absence. Ils sont partout dans l’esprit de Clarisse. Se jouant de la chronologie, Mathieu Amalric nous livre les pensées et l’errance de Clarisse à travers de multiples voix, des monologues intérieurs, des dialogues, des notes de piano. Qui est réel? Qui est rêvé? Clarisse est-elle vraiment partie?

Tageblatt: Qu’est-ce qui vous a plu dans „Serre moi fort“?

Arieh Worthalter: C’est une histoire d’amour et de fantômes. Tout est représenté dans une dimension très réelle à travers l’imaginaire. Les morts sont aussi présents que les vivants. Les absents sont parmi nous. Mathieu Amalric plonge dans l’esprit en souffrance de Clarisse. La construction narrative m’a beaucoup plu.

La rencontre avec Mathieu Amalric s’est faite comment?

Il n’avait pas vu grand-chose de moi. On s’était rencontré à une avant-première de „Pearl“ (d’Elsa Amiel, ndlr). Le lendemain, il m’a remis un scénario, pas simple du tout. Son écriture n’est pas classique. Il y a des notes partout, des scènes bis, des passages très techniques. Mathieu réfléchit à beaucoup de choses. C’est stimulant, inspirant de voir un artiste penser sans cesse, réinventer ce qu’il est en train de faire. C’est beau. C’est vivant.

Vous incarnez un père seul avec ses enfants. Ce n’est pas la première fois … (1)

Je trouve les personnages très différents. Comme je ne suis pas papa, cela me permet d’incarner des pères avec une grande liberté. Je ne me demande pas à quoi ressemble un papa. Je l’imagine et j’essaie d’avoir une relation saine avec les enfants acteurs. Sur le plateau, on est amis. Au-delà du père, l’important est de savoir quel homme il est. L’absence de la maman va bousculer la famille et les enfants. Plutôt qu’un papa, je vois un homme désemparé, dans le déni. Il n’a pas de réponse à la situation. Il ne sait pas l’expliquer aux enfants comme il ne sait se l’expliquer à lui-même.

Quand le jeune fils dit „Tu as jeté maman“, le père se sent-il rejeté?

C’est un appel à l’aide, car il voit que j’ai jeté tous les produits de beauté de sa maman. J’efface quelque chose. Je ne pense pas que le papa est rejeté par ses deux enfants. Dans des moments de crise, les relations bougent. Les enfants résistent. A un moment, la fille aînée prend, seule, la responsabilité de consoler son jeune frère. Elle veut gérer.

Cette dualité absence/présence a-t-elle été compliquée à jouer?

Je me suis retrouvé dans la position, très intéressante, de celui qui n’est jamais face à sa femme. Vicky et moi étions ensemble sur le plateau, chacun dans un endroit différent et très proche. Clarisse et Marc se croisent sans jamais se rencontrer. La question est récurrente: pourquoi sont-ils séparés? Mathieu Amalric joue de ce sentiment d’incertitude, de ce mystère. C’était très inspirant et pas du tout paralysant.

La musique, très présente, est le cinquième personnage …

L’aînée est une passionnée de piano. La musique sert de lien avec le monde des absents. Au volant de sa voiture, Camille écoute des cassettes en boucle. Elle plonge alors dans des émotions, des souvenirs tellement forts qu’ils se confondent avec la réalité. Les choix musicaux sont très éclectiques: Mozart, Ravel, Brigitte Fontaine, J.J. Cale … Je suis moi-même musicien. La musique est le reflet de notre l’intériorité.

(1) Notamment dans „Girl“, „Transferts“ (série télé).