Mukwege, lauréat du Prix Nobel de la Paix: „J’appelle le peuple congolais à se mettre debout comme un seul homme“

Mukwege, lauréat du Prix Nobel de la Paix: „J’appelle le peuple congolais à se mettre debout comme un seul homme“

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Il est gynécologue-obstétricien. Il „répare“ celles qui subissent des violences sexuelles. Le Dr Denis Mukwege a ouvert l’hôpital de Panzi il y a presque vingt ans, à l’Est de la République démocratique du Congo. Il y a soigné plus de 50.000 victimes de viol dans cette région secouée par les conflits. De multiples récompenses (1) honorent le parcours d’un homme d’exception, dont le Prix Nobel de la Paix (avec la Yazidie Nadia Murad, ex-esclave du groupe Etat islamique).

De notre correspondante Corinne Le Brun, Bruxelles

Malgré les risques et une tentative d’assassinat (en 2012), Denis Mukwege est aussi devenu un porte-parole de son pays. Militant des droits humains congolais, il est venu récemment à Bruxelles pour appeler le peuple congolais à imposer „une transition sans Kabila“. A deux mois des élections, ce Prix Nobel de la Paix permettra à la voix du docteur Mukwege de porter encore un peu plus pour que cessent les violences.

Tageblatt: Vous avez mis en place une „transition citoyenne“ en République démocratique du Congo. Quels en sont les objectifs?

Dr Denis Mukwege: Ce mouvement citoyen appelle à l’éveil de la conscience du peuple congolais. Nous considérons que la situation humanitaire n’a jamais été pire au Congo. Près de huit millions de Congolais souffrent de malnutrition, selon les données de l’ONU, alors que les massacres se poursuivent, dans les provinces du Kivu et du Kasaï, dans l’indifférence de l’Occident. Au Sud Kivu, des femmes sont violées chaque jour. Au Nord Kivu, on torture, on viole, on décapite dans un silence total. Cela fait vingt ans que nous sommes perfusés.

Il est temps, à mes yeux, que nous, Congolais, puissions vivre par nous-mêmes et ne pas dépendre de la perfusion extérieure, dans un pays où tout est là. Mais malheureusement, nous n’avons aucune chance d’accéder à ces ressources naturelles que nous avons.
En juin 2016, nous avions senti que le gouvernement demandait des dialogues politiques. Nous savons très bien que ces dialogues chez les Africains, ce sont des palabres: vous savez quand vous les commencez et jamais quand vous les terminez. On n’avait pas tort. Les premiers dialogues ont duré un ou deux mois sans aboutir. Au final, l’accord de la Saint-Sylvestre (2) n’a pas été appliqué.

Et aujourd’hui, outre le fait que l’article 64 de la Constitution n’est pas respecté, nous sommes dans une impasse totale. Tout est dans cet article, qui autorise le peuple congolais à s’opposer à celui ou ceux qui prennent le pouvoir illégalement. Nous avons besoin d’élections libres, transparentes et citoyennes sans Kabila. J’appelle le peuple congolais à se mettre debout comme un seul homme.

Comment, concrètement, fonctionne ce mouvement citoyen?

Notre équipe est constituée de douze professeurs congolais qui n’ont pas une ambition politique mais une vision pour le Congo. Nous allons dans des universités, nous organisons des conférences comme celle que nous avons faite récemment à Bruxelles. Nous donnons la priorité aux compétences de transmission des professeurs et des intellectuels pour que les Congolais prennent conscience de leur misère et qu’eux-mêmes puissent se battre pour se libérer.

Je crois qu’on finit par s’accommoder à sa misère. Comme quand on naît dans la violence, on pense que rien d’autre n’existe. C’est inacceptable. Je crois que pour le moment quand on vit ce qu’on vit, on voit très bien que le président essaie de violer la Constitution et s’il y arrivait, on ne voit pas comment les élections vont se faire sans violence. C’est pour cette raison que nous croyons plutôt à une solution alternative qui est constitutionnelle.
Je ne suis pas politicien. Mais tout est politique. Je participe à la gestion de la cité. C’est une obligation morale de dénoncer la mauvaise gouvernance en place et d’expliquer comment l’effacer.

Votre mouvement citoyen est-il menacé?

Les pressions sont permanentes. Par exemple, je n’ai pas pu assister aux deux dernières réunions à cause de problèmes sécuritaires. Il faut beaucoup de courage de la part de mes collègues parce que nous sommes obligés d’aller dans des endroits isolés pour pouvoir nous présenter. Personnellement, depuis l’attentat à mon encontre en 2012, je ne peux pas sortir de l’hôpital. Pour venir à Bruxelles, j’étais escorté par la police Monuscu (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo). Ma vie est en danger. Avant, je vivais à Bukavu. Maintenant, je vis à l’hôpital avec mes malades et mon épouse. Nos grands enfants vivent un peu partout dans le monde.

De quels soutiens bénéficiez-vous?

Très peu de personnalités nous soutiennent au Congo. Nous sommes en train de construire ce réseau initié à Bruxelles. Bruxelles a une expertise, beaucoup de gens ici connaissent les anciennes colonies et comprennent les problèmes. Et donc il est plus facile de faire un raisonnement avec eux. Nous n’avons pas de contact avec les opposants en Belgique. Nous travaillons beaucoup plus avec la société civile au Congo.

Les crimes les plus ignobles se sont passés sous silence radio. Cette attitude est très négative. A partir du moment où l’individu n’a pas le droit d’aller en justice, lorsqu’il n’y a pas de réparation, comment peut-on faire le travail de mémoire? S’il n’y a pas ce travail, il y a répétition. Et aujourd’hui, nous voudrions bien que la Cour internationale de Justice de La Haye puisse s’occuper des crimes qui ont été commis au Congo. En fait, ils sont tout à fait mous par rapport à cela.

Comment se déroulent vos journées à l’hôpital de Panzi?

Quand je suis là, je travaille comme gynécologue-obstétricien. J’opère, je fais le suivi des patients comme n’importe quel médecin. Nous avons instauré un système total pour que les femmes victimes de violences sexuelles puissent être prises en charge sur le plan médical, sociologique, psychologique, économique et juridique. Pour pouvoir continuer à traiter les blessures, il faut combattre les causes profondes: se battre pour qu’il y ait une paix durable dans la région.

Vous recevez également le soutien de la GrandeDuchesse Maria Teresa de Luxembourg …

La Grande-Duchesse s’intéresse à la question de la violence sexuelle. Elle voudrait soutenir l’idée de créer une plate-forme globale qui peut aider les femmes à accéder à des réparations lorsque le viol est commis. Malheureusement, aujourd’hui, il n’y a pas un système de réparation: lorsqu’une femme est violée, il ne suffit pas de prononcer un jugement et laisser la femme dans la nature. Il faut absolument obtenir réparation, que celle-ci puisse se porter sur la satisfaction de la victime par rapport à la justice. L’année prochaine, nous espérons organiser une grande conférence mondiale sur l’évolution de la réparation des femmes à Luxembourg (3).


Pour en savoir plus   

(1) „L’homme qui répare les femmes“ (titre du film documentaire des Belges Thierry Michel et Colette Braeckman) a tout récemment reçu les insignes de Docteur honoris causa par l’Université de Liège. La „Chaire Mukwege“ („Chaire internationale sur la violence faite aux femmes et aux filles dans les conflits“) a été inaugurée le 21 septembre 2018.

(2) L’accord de la Saint Sylvestre, signé le 31 décembre 2016, prévoit au plus tôt de nouvelles élections démocratiques sans Joseph Kabila. En premier lieu fixées à fin 2016, puis 2017, les élections présidentielles et législatives en RD Congo devraient finalement avoir lieu le 23 décembre 2018. Les reports avaient été recommandés par la Commission électorale indépendante (CENI) pour cause de listes électorales incomplètes et bénéfiques à Kabila, qui n’a pas le droit à un troisième mandat, selon l’accord.

(3) En 2017, la Grande-Duchesse Maria Teresa de Luxembourg était à Genève pour assister au vernissage de l’exposition „Hidden voices“ réalisée par des survivantes de violences sexuelles en période de conflit, organisée par la Fondation du Docteur Denis Mukwege, avec le soutien de la Fondation du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse. Dans son allocution à Genève, la Grande-Duchesse a annoncé la tenue, le 26 et 27 mars 2019, à son initiative, d’un symposium international à Luxembourg  au European Convention Center en faveur des survivantes de viols de guerre.

MERCI BIFOMO EPILI
24. November 2020 - 12.25

merci beaucoup cher docteur denis mukwege