Samstag25. Oktober 2025

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ForumMon corps, mon droit, mon choix! Ensemble défendons l’accès libre et garanti à l’avortement

Forum / Mon corps, mon droit, mon choix! Ensemble défendons l’accès libre et garanti à l’avortement
 Photo: archives/Timothy Clary/AFP

La lutte pour l’accès à l’IVG des mouvements féministes des années 1970 a permis à plusieurs générations de femmes en France et aux Etats-Unis d’avorter sans être pénalisées. 

Pourtant, il suffit parfois d’une crise politique et économique pour qu’un droit aussi fondamental puisse disparaître du jour au lendemain avec des conséquences parfois néfastes pour les femmes. Aujourd’hui, j’ai 36 ans. Je m’engage avec mes ami.e.s féministes pour l’accès libre et garanti de l’IVG, car je ne veux plus avoir peur. 

La première fois que j’ai entendu parler d’IVG c’était en cours de philosophie au lycée. J’avais à peine 15 ans. On était en 2003, l’IVG était pénalisée au Luxembourg et n’accessible qu’en cas de „détresse“. Le prof avait simplement voulu nous faire comprendre qu’un État démocratique devrait laisser ces citoyennes décider librement de leurs corps. Je m’imaginais enceinte à 15 ans et face à la possibilité d’avorter, je me rendais compte que l’avortement me faisait autant peur que de devenir „fille-mère“. 

La „fille-mère“ tout comme la „femme qui avorte“ constituent de véritables repoussoirs sociaux dans la société dans laquelle j’ai grandi. On y condamnait les filles qui étaient devenues mères trop jeunes et celles qui avaient avorté. Par conséquent, toute mon adolescence s’est déroulée dans la crainte permanente de tomber enceinte.  

Le Luxembourg est une société conservatrice

Dans ma tête d’adolescente, les éléments n’étaient pas bien mis en place. C’est vrai que j’étais très mal informée. A qui la faute? Sans doute l’absence d’éducation sexuelle à l’école et dans la famille. La faute à la morale chrétienne aussi, qui a bien été implantée dans mon corps et dans ma tête. On vivait dans un état paternaliste uni avec l’Église contribuant à réitérer ces valeurs conservatrices sous des airs de convivialité. 

Rétrospectivement, mon constat est sans appel: le Luxembourg est une société conservatrice. Il a d’ailleurs fallu attendre 2014 pour que l’IVG ne figure plus dans le Code pénal tout en gardant jusqu’à aujourd’hui des contraintes à son accès libre.  

La terreur des avortements clandestins

Devenue majeure, je développais une forme de curiosité pour le sujet de l’avortement. N’étant pas féministe et sans accès aux contenus pédagogiques développés aujourd’hui sur Instagram, je regardais des films. Le film roumain „Quatre mois, trois semaines, deux jours“ de Cristian Mungiu, sorti en 2007, se déroule dans la Roumanie de l’État totalitaire de Ceausescu en 1987. Il raconte l’histoire de Gabita, une étudiante qui a recours à un avortement clandestin exécuté contre de l’argent et avec des moyens rudimentaires. Que de souffrance, de sang et d’angoisse dans un contexte d’oppression politique … 

Il n’y a pas longtemps, j’ai lu „L’événement“ d’Annie Ernaux. Dans ce roman autobiographique, l’autrice revient sur l’événement de sa vie, son avortement clandestin. Le récit a lieu dans la France des années 1963, à Paris. Le texte a été écrit en 1999. Abandonnée par le garçon qui l’a mise enceinte, Annie Ernaux, femme adulte, ressent „accablement“ et „impuissance“ face à l’interdiction des médecins de la prendre en charge et face à la seule issue possible, un avortement clandestin par l’introduction d’une sonde dans la cuisine d’une „faiseuse d’anges“. Pendant tout le récit, la pression du temps qui passe avant de passer à l’acte est palpable.

Elle reflète la crainte qu’il soit trop tard et la honte d’avoir commis un „péché“. La terreur de devoir peut-être subir un choix que l’on n’a pas fait – avoir un enfant – et la peur de ne survivre ni aux choix imposés, ni à l’avortement pratiqué avec les moyens du bord, je ne les ai jamais vécues. Pourtant rien ne garantit que je ne les vivrais un jour. 

On a raison de se révolter!

A l’heure actuelle, l’accès libre et sécurisé à l’IVG est remis en question en Europe et ailleurs dans le monde. La Pologne l’a pratiquement interdite tandis que le gouvernement d’extrême-droite en Italie laisse entrer des groupes d’action anti-avortement dans les hôpitaux pour exercer une pression supplémentaire sur le personnel de santé et les patientes afin d’éviter les avortements.

Le 24 juin 2022, la majorité ultra-conservatrice de la Cour suprême des États-Unis a révoqué le droit à l’avortement pour n’importe quel motif jusqu’à environ 24 semaines de grossesse. Cette décision donne la permission à tous les États fédéraux d’interdire la pratique de l’IVG sur leurs territoires respectifs. 

Le corps des femmes est un enjeu de pouvoir. Contrôler les corps des femmes, c’est contrôler la croissance démographique d’une population. L’histoire a montré que souvent ce contrôle s’exerçait par la violence. C’est toujours le cas aujourd’hui. Les femmes sont victimes de stérilisations forcées, de mutilations génitales, de viol comme arme de guerre.  

Mon droit, mon choix garanti par la Constitution

L’inscription de l’IVG dans la Constitution luxembourgeoise serait une avancée considérable en matière de droits des femmes et d’égalité des genres. Elle permettrait de garantir plus durablement ce droit fondamental face aux aléas et revirements politiques en faveur de l’extrême-droite. 

Le 4 mars 2024, la France, tirant sans doute des leçons de l’exemple américain, est devenu le premier pays du monde à inscrire le droit à l’avortement dans sa Constitution. En mai 2024, le parti de gauche luxembourgeois „déi Lénk“ a déposé une proposition de loi pour inciter la Chambre des députés et le gouvernement luxembourgeois à faire de même. Des pétitions à visée européenne et nationale circulent sur les réseaux sociaux pour aboutir à l’accès libre et garanti à l’IVG.

Pourtant, le combat féministe pour le droit des femmes de disposer librement de leurs corps et de leur intégrité physique ne s’arrête pas là. 

Garantir les bonnes conditions de prise en charge

Line Wies représente „déi Lénk“ au sein de la plateforme JIF depuis 2018. Son combat féministe s’est nourri d’expériences personnelles et de ses études de sociologie sur le genre, la politique et les sexualités. Elle a été conseillère communale pour „déi Lénk“ à Esch-sur-Alzette de 2017 à 2023.
Line Wies représente „déi Lénk“ au sein de la plateforme JIF depuis 2018. Son combat féministe s’est nourri d’expériences personnelles et de ses études de sociologie sur le genre, la politique et les sexualités. Elle a été conseillère communale pour „déi Lénk“ à Esch-sur-Alzette de 2017 à 2023. Photo: Editpress/Julien Garroy

Au Luxembourg, personne ne saurait chiffrer le recours effectif à l’avortement, comme il n’existe pas de nomenclature propre à l’IVG au niveau de la Caisse nationale de santé. On ne peut pas savoir le nombre d’avortements pratiqués, ni la situation des personnes ayant fait le choix d’avorter. On a zéro information sur leurs conditions de prise en charge et leur état de santé.

Dans ces conditions, l’IVG paraît presque comme un acte clandestin, car socialement rendue invisible. En l’absence de telles données, comment garantir une prise en charge adéquate et l’accès aux soins nécessaires?

Même sans données officielles, des témoignages de femmes ayant avorté permettent de se rendre compte des barrières existantes pour accéder réellement à l’IVG au Luxembourg.

Il y a d’une part le temps d’attente trop long pour être pris en charge, faute de ressources en personnel de santé. Il existe d’autre part des médecins qui refusent de pratiquer des avortements. Ces objecteurs de conscience ne sont pas identifiés, ni sanctionnés. Si la JIF demande une prolongation du délai légal pour pratiquer une IVG de 12 à 14 semaines, c’est aussi pour éviter que les femmes soient obligées d’avorter dans d’autres pays parce qu’elles n’ont pas été prises en charge à temps au Luxembourg. 

Solidarité avec les femmes du monde entier 

Le corps des femmes est un champ de bataille, où la voix puissante des femmes militant pour le droit de disposer de leur corps et de leurs droits reproductifs a pu surmonter les sermons des hommes d’État, hommes d’Églises, hommes d’esprit, et quelques femmes de pouvoir aussi. La solidarité féministe traverse nos corps et nous lie par nos points vulnérables les plus intimes.

Le 8 mars est l’occasion de se rappeler des luttes qu’il faut mener sans relâche pour vivre un jour l’égalité des genres, pour vivre libre et en sécurité.