ForumMendicité: le gouvernement dans la panade … et un nain politique fait des siennes

Forum / Mendicité: le gouvernement dans la panade … et un nain politique fait des siennes
 Photo: Editpress/Fabrizio Pizzolante

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Persévérer dans l’erreur, tel semble être le mot d’ordre du gouvernement qui est à la peine, dans la panade (expression marseillaise qui veut dire „avoir de gros ennuis“), même pas passés les 100 premiers jours de sa gouvernance, généralement un seuil emblématique pour tout nouveau gouvernement. Ce dernier encaisse rouste après rouste (toujours en Marseillais, veut dire: „raclée“).

Oui, je parle encore du dossier des mendiants, même si cela semble importuner notre premier ministre, n’en déplaise. Finalement, le gouvernement en porte toute la responsabilité, car il ne cesse de nourrir encore et encore la polémique, notamment par des actes ou des déclarations à l’emporte-pièce. Dès lors, il ne faut s’étonner de rien.

On a l’impression que certains ministres n’en ratent pas une, le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils font tout pour alimenter la chronique en permanence et pour relancer le débat. Dès lors, difficile de parler d’autre chose.

Deux péripéties différentes ont agité le landerneau politique

La cerise sur le gâteau a été incontestablement un avis juridique qui a défrayé la chronique ces jours-ci. On a l’impression que „petit Léon“ et Cie insistent pour rester en haut de l’affiche, comme le chantait si bien Charles Aznavour.

Mais d’abord les faits: l’année dernière, le Collège échevinal de la Ville de Luxembourg a passé commande d’un avis juridique sur la situation légale des mendiants. Cet avis devait constituer le plat de résistance de sa demande en annulation, devant le tribunal administratif, de la décision de l’ancienne ministre de l’Intérieur, de ne pas approuver le nouveau règlement de police de la Ville de Luxembourg. Ce dernier interdisant toutes formes de mendicité dans certaines parties du territoire de la Ville.

Jusqu’ici tout va bien. L’affaire commence à sentir mauvais quand nous apprenons, mais seulement la semaine dernière, date de la publication de cet avis, neuf mois après sa confection, mais gardé sous le coude par la Ville, que ce papier de presque 50 pages a été établi dans une étude co-dirigée par un haut mandataire du CSV, membre d’une Institution importante de l’Etat.

La légalité de cette façon de faire ne pose absolument pas problème, le contenu de l’avis n’est pas le sujet non plus, ici et maintenant (encore que …). En fait l’histoire devient piquante quand on apprend que ce mandataire du CSV est apparemment appelé à occuper, prochainement, le poste de président de la haute corporation citée plus haut. Il aura donc certainement à traiter, à commenter et à aviser, ès qualités, avec ses compères que je salue, les modifications de la législation que le gouvernement se propose d’opérer dans le cadre du Code pénal. En effet, dernièrement, après moult changements de pied, la ministre de la Justice a finalement annoncé vouloir apporter des changements ad hoc à la législation existante …

Connaissant les us et coutumes, je présume que le mandataire cité ne participera pas physiquement aux travaux de la Haute corporation, mais que son influence théorique sera plus que probable. Conflit d’intérêt en perspective? Pas sûr. Mais faute de goût, manque de doigté, certainement. Et preuve d’une bonne dose d’arrogance et d’absence de discernement. Et ce de la part de tous les concernés!

Toujours est-il, qu’en ce qui concerne le fond de l’affaire, et contrairement à plusieurs hauts dignitaires de la Justice qui se sont exprimés, l’étude d’avocats sollicitée a conclu que la mendicité simple et toutes autres formes de mendicité sont concernées par les dispositions du Code pénal sur lesquelles se base le règlement de police communal, donc interdites. En fait, quel hasard, ils rejoignent l’argumentation officielle, mais fausse, du Collège échevinal, l’instance qui a commandé (et payé) l’avis juridique en question.

Les copains d’abord

Vous connaissez la chanson de Georges Brassens „Les copains d’abord“? Vous allez en connaître une nouvelle version. Car la suite de l’histoire est encore plus rocambolesque. Récemment, fin janvier 2024, le ministre de l’Intérieur, notre ami „petit Léon“, a donc rendu public également un avis juridique, SON avis juridique, sur le même sujet, commandé en pleine tourmente, auprès de la même étude d’avocats, et livré dans un temps record, donc en quelques jours seulement. Une performance? Que nenni! Il suffisait tout simplement de faire du copy paste. Ce qui, provenant de la même étude, est absolument légal, voire compréhensible. Pas besoin non plus de passer par l’Université de Nancy pour y arriver …

On peut se référer dans le cas présent au célèbre proverbe du philosophe grec Héraclite (6e siècle avant J-C), qui disait: „On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.“ Apparemment les protagonistes du dossier mendicité ne partageaient pas cette façon de voir du sage évoqué. En effet, la tentation (du diable?) de vendre une deuxième fois le même avis juridique ou presque, sur exactement le même sujet, mais à un client différent, était grande. Pourquoi d’ailleurs y résister? L’argent du contribuable doit bien servir à quelque chose. Devinez qui était le commanditaire de ce deuxième avis! Notre ami „petit Léon“, et ce, six semaines après avoir déjà donné le feu vert à la Ville de Luxembourg pour son nouveau règlement de police.

Invraisemblable! On prend d’abord une décision, importante, et par la suite, vu le brouhaha occasionné, on commande un avis juridique qui peine, dans tous les cas de figure, à contredire la décision ministérielle déjà prise. Tel qui passe la commande est le premier à cueillir les fruits, est une règle non écrite.

Cela me rappelle les rédactions françaises au Lycée dans les années soixante, on rédigeait d’abord les conclusions avant de passer à l’exposé des motifs.

Et voilà que, quel hasard, l’avis numéro 2 pour „petit Léon“, donc rendu publique la semaine dernière, est quasi identique à l’avis numéro 1 ordonné par la Ville de Luxembourg sur le même sujet, l’année dernière. A peine une surprise!

Morale de l’histoire: il faut féliciter l’étude en question pour avoir réussi à vendre deux fois le même produit, à deux clients différents. Merci, chers connards de contribuables. Commercialement, c’est une vraie performance. D’autres en rêvaient, eux l’ont fait! Vous connaissez l’expression, utilisée notamment à l’occasion des soldes: „Deux pour le prix d’un.“ Dans le cas présent, cette expression est utilisée dans une version diamétralement opposée, trafiquée ou dévoyée: „Un pour le prix de deux.“ Pas sûr que ce slogan passerait la rampe à l’occasion des soldes … Même pas dans la Grand-rue, ni rue Philippe II …

Quand un nain politique attaque la Justice!

Quelle ne fut pas la surprise pénible à l’occasion de la récente séance du Conseil communal de la Ville de Luxembourg, quand le président du groupe DP, en fait un nain politique, a attaqué, bille en tête, les responsables du Parquet et autres présidents de la Cour supérieure de justice.

Ce monsieur, dans un discours farfelu, confus, nul, ne s’est pas gêné d’attaquer frontalement, au nom du DP dont il est donc le porte-parole au sein du Conseil communal, un parti du gouvernement, les dignitaires de la Justice et leurs explications publiques dans ce dossier. Il leur reprochait de faire de la politique tout en leur conseillant de se présenter aux élections.

Stop! On va où là? En fait, les représentants de la Justice visés n’avaient fait que renvoyer aux jugements pris par divers tribunaux, ce qui n’était pas du goût de ce con-seiller communal. On pourrait classer l’intervention dans la catégorie des blagues de carnaval et ne pas réagir. Mais des questions se posent.

Ce monsieur avait-il poussé sur la bouteille, car déshydraté après une si longue séance? Ou était-il en pleine possession de ses moyens, ce qui poserait problème, pas seulement politique? Nul ne saura.

Mais plus intéressante était la réaction de plusieurs juristes, membres du Collège échevinal: des hochements de tête approbateurs. Et par la suite un appui oral à l’orateur! Une validation, quoi! La honte!

Voilà où nous en sommes déjà arrivés. Pour des broutilles, comparées à d’autres enjeux, deux partis au pouvoir, au Parlement et au Collège échevinal, acculés car désavoués dans leurs pratiques politiques par les plus hauts dignitaires de la Justice, étalent toute l’étendue de leur arrogance du pouvoir majoritaire. Cela me rappelle des mots devenus tristement célèbres d’un parlementaire français, qui disait, en 1981 déjà: „Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaires.“

Le con-seiller du DP peut être fier. Il a dessiné une croix dans le dos de certains dignitaires de la Justice. Il a tenté d’affaiblir la voix de la Justice, du troisième pouvoir de notre démocratie. Ce monsieur devrait prendre la poudre d’escampette, après s’être excusé en bonne et due forme. Il ne s’agit pas d’un militant lambda, mais d’un (ir)responsable communal de la plus grande municipalité du pays, et d’un parti politique qui se veut un garant de l’Etat de droit et qui porte l’adjectif de „démocratique“ dans son nom. Attention, il ne faut pas sous-estimer la portée de telles déclarations. Cela ne s’est pas passé au comptoir du café de commerce, mais en pleine séance du Conseil communal de la Ville de Luxembourg, de la part d’un mandataire, du DP, et pas de l’ADR. Le DP devrait d’ailleurs se distancier publiquement de ces paroles!

La non-réaction des autres conseillers, hélas, m’a heurté au même titre.

Oui, l’arrogance du pouvoir s’est étalée magistralement. Pas question d’avouer une erreur, une faute. On a toujours raison, car on a la majorité. Et on s’enferme dans sa propre réalité.

Il est de notoriété que la psychorigidité est mauvaise conseillère.

Si les deux partis majoritaires continuent sur la voie engagée, ils seront co-responsables de certaines dérives qui, tôt ou tard, menaceront les bases de notre Etat de droit.

Rien que ça!

Mais d’ici là, ils seront probablement déjà ailleurs …

René Kollwelter est un ancien député et conseiller d’Etat
René Kollwelter est un ancien député et conseiller d’Etat Photo: Editpress/Alain Rischard