ForumLobbying politique et lobbying financier au Parlement européen …

Forum / Lobbying politique et lobbying financier au Parlement européen …
 Foto: Jean-Francois Badias/AP/dpa

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„Ni genuch“ est une expression luxembourgeoise archiconnue pour dire de quelqu’un qu’il est insatiable, qu’il aime les espèces sonnantes et trébuchantes et qu’il n’en possède jamais assez. Cette expression, ça s’entend à l’oreille, ne date pas d’hier, ni même d’avant-hier, puisqu’elle est née au XIVe siècle, un temps où les pièces étaient en métal précieux, en or ou en argent. Leur poids avait une importance capitale sur leur valeur. Voilà pourquoi on les pesait pour être sûr qu’on n’a pas été victime d’une pratique frauduleuse, punie à l’époque par la peine de mort.

On en connaît des tonnes de ces gens qui, à côté d’un revenu imposant, ne cessent de vouloir accroître leurs avoirs, leurs revenus, leur richesse, leur parc immobilier etc., et qui, tous les matins, se lèvent avec l’objectif de profiter de la journée pour en avoir amoncelé, amassé davantage, le soir venu. Pour certains c’est même devenu une philosophie, un art de vivre, presque une pratique sportive. Rien que cela donne un sens à leur vie.

Indélicatesse, quand tu nous tiens!

Ainsi, l’ONG Transparency International vient de publier l’état des revenus des mandataires européens qui, à côté de leur indemnité et autres bonbons dus à leur activité parlementaire, ne rechignent pas à la tâche d’améliorer leurs fins de mois difficiles en acceptant des sièges, grassement rémunérés pour pratiquement zéro travail, dans des conseils d’administration d’entreprises, de banques, d’assurances, de fonds d’investissement ou autres.

Dans ce domaine on aura déjà tout vu, même au Luxembourg. Ainsi, un ministre de l’Economie, en pleine activité, s’est octroyé le siège, revenant à un représentant de l’Etat-actionnaire, au conseil d’administration d’un grand groupe sidérurgique. Contraire à toute forme de démocratie!

Lutter contre la corruption

Mais revenons à nos moutons, c’est-à-dire les révélations de Transparency International, une ONG qui „lutte contre la corruption et pour un monde dans lequel les Etats, les entreprises, la société civile et les individus dans leur quotidien seraient épargnés par la corruption sous toutes ses formes“.

Pas besoin de préciser que la corruption ne doit pas être vue comme un problème secondaire, mais est au contraire à l’origine de déséquilibres, de menaces, de crises pour toute démocratie. En fait, comme son nom l’indique, Transparency International se propose de documenter les systèmes et les réseaux qui permettent à la corruption de prospérer, en exigeant plus de transparence et d’intégrité dans tous les domaines de la vie politique. Et sans aucun doute cela doit faire partie également de nos valeurs démocratiques basiques en Europe, dont certains ne cessent de se revendiquer à tout bout de champ.

Voilà que cette ONG a publié une liste de députés européens qui, à côté des revenus liés à l’exercice de leur mandat, se sont arrangés pour toucher, par le biais d’un siège dans un ou plusieurs conseils d’administration, des revenus supplémentaires, des fois plus importants que leurs indemnités politiques. L’ONG citée a consulté le registre ad hoc et découvert des choses étonnantes, surprenantes et intéressantes.

En effet, il s’est avéré qu’un seul de nos élus à Bruxelles, sans interruption dans le sérail politique depuis 1979 (45 ans! sic!), est membre du conseil d’administration d’une grande société d’assurance et d’une compagnie d’investissement. Le député en question vient de se présenter aux élections sous l’étiquette d’avoir l’Europe „chevillée au corps“. Et le portefeuille en même temps, devrait-il ajouter.

Les conflits d’intérêt qui guettent

A un moment où, sur le plan planétaire, les activités économiques, notamment financières, mais également politiques, sont méticuleusement scrutées dans le contexte géopolitique ambiant (la guerre en Ukraine nous salue, notamment), il est de mauvais augure de voir trop de mandataires politiques, comme l’atteste Transparency International, ne pas savoir faire la part des choses et s’exposer, au risque de perdre leur âme contre un plat de lentilles, à des soupçons de conflits d’intérêt (explication: un récit de l’Ancien Testament relate, qu’un jour, Esaü rentra affamé de la chasse. Jacob, son frère, qui était en train de préparer un plat de lentilles, lui proposa de le nourrir à condition qu’il lui cède son droit d’aînesse, c’est-à-dire l’héritage de la famille. Esaü accepta cette transaction. D’où l’expression „perdre son âme pour un plat de lentilles“.).

Si, notamment, le cumul d’une retraite d’ancien ministre avec les indemnités du Parlement européen, s’avère être trop juste pour assurer un train de vie tant soit peu valable, il faudrait discuter d’une revalorisation de ces dernières.

Pour mieux comprendre le contexte, il faut savoir que, dans le cas présent, le bonus gagné (sic) au CA est à lui seul plus important que le salaire social minimum d’une personne travaillant 40 heures par semaine pendant une année, dans le privé, souvent dans des conditions autrement peu enviables. Asseoir son derrière, trois fois par an pendant trois heures, sur un siège très rémunérateur, est loin d’être aussi éprouvant que le sort quotidien du salarié évoqué. Injustice sociale flagrante!

„Zwei Seelen, wohnen, ach! in meiner Brust.“

Goethe, dans „Faust I“, vers 1.112 f, avait déjà articulé le dilemme tragique d’une personne qui est confrontée à, voire déchirée entre, deux intérêts/sentiments contradictoires. Dans le cas qui nous préoccupe, il en est de même dans un registre différent.

En effet, nous sommes confrontés à une situation délicate où un député, censé juger en toute indépendance et respecter, prioritairement, l’intérêt public, sans être sous influence directe d’un groupe de pression, d’un lobby ou autre, ne sait plus quel maître servir quand il s’agit de prendre position et de voter en toute liberté de conscience des textes, dans le domaine des assurances notamment, alors qu’il est directement lié par son portefeuille à son mentor financier.

En cas de conflit, quel intérêt est prioritaire, l’intérêt public ou l’intérêt privé? Je ne veux aucunement mettre en doute les compétences apparemment pointues du député en question dans le domaine des assurances, quand même bien cachées jusqu’à présent, toujours est-il qu’il y a un problème majeur. En effet, au lieu d’agir à l’extérieur des instances européennes, comme le font la plupart des lobbyistes, en voilà un lobbyiste, parmi d’autres, qui agit directement à l’intérieur du dispositif parlementaire.

Le même député affirme, la main sur le cœur, qu’il sait très bien faire la part des choses et séparer le bon grain de l’ivraie. Et qu’il ne siège dans aucune commission qui traite ces dossiers. Quelle bouillabaisse!

Si tacuisses, philosophus mansisses …

(dictionnaire: « Si tu avais gardé le silence, tu serais resté philosophe »).

Au Parlement européen, notamment, les ingérences extérieures, de nature financière ou politique, continuent de poser problème.

A l’Assemblée nationale française on vient par exemple de mettre en place une commission qui traite spécifiquement les ingérences étrangères, la guerre en Ukraine et la multiplication des ingérences russes, dans de nombreux pays, étant passées par là. Dans un tel scénario, au Luxembourg, la tête de liste du parti populiste d’extrême droite aux élections européennes, aurait des soucis à se faire … Jusqu’à nouvel ordre il peut continuer ses activités de lobbying politique (rémunératrices?), pour la Russie et pour son idole politique, Vladimir Poutine.

Hélas, il n’existe pas, à ce jour, une interdiction légale pour ce type d’activités lucratives, mais l’ONG Transparency International demande qu’un code de conduite ad hoc soit mis en place pour éviter les conflits d’intérêt et autres ingérences, qui sont latents.

Vous allez voir les réactions des uns et des autres. L’attitude de „l’immaculée conception“ s’impose. Elle renvoie au dogme de l’Eglise catholique affirmant que la conception de la Vierge est „sans tache“, exemptée du péché originel hérité par tous les hommes depuis Adam et Eve.

Une autre attitude est également possible, celle de prendre la traditionnelle position de la „vierge effarouchée“ (locution nominale qui se dit d’une femme qui ne se laisse pas approcher, ou draguer): on se fâche, on menace, on dément, on monte sur les chevaux des grands principes (piétinés, dans le cas présent). On joue le rôle de la victime.

Les paris sont ouverts.

Plus de contrôles et plus de détails!

Certes, pas nécessaire de se focaliser sur un parlementaire luxembourgeois, dont le faux pas, réel, certes, est regrettable, car contraire aux valeurs évoquées à tout bout de champ par le concerné lui-même.

La solution est toute trouvée. Comme le demande Tranparency International, il faudrait que la présidence du PE interdise aux députés de s’engager dans des activités parallèles, rémunérées, et interdise ces pratiques douteuses. Des contrôles plus rigoureux et détaillés des déclarations, souvent beaucoup trop vagues. Tout un programme!

A l’occasion d’une visite du Général de Gaulle dans la France profonde, un quidam lui lançait: „Mort aux vaches!“ Et le grand Charles de répondre: „Vaste programme!“

René Kollwelter est un ancien député et ancien conseiller d’Etat
René Kollwelter est un ancien député et ancien conseiller d’Etat