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Forum / L’index, ce mal-aimé
 Foto: Editpress/Julien Garroy

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Le Solidaritéitspak („paquet de solidarité“) décidé par la tripartite sans l’accord de l’OGBL a ranimé les débats autour de l’index. Réflexions sur un instrument qui gêne le patronat lorsque les salariés l’ont besoin le plus.

Le Luxembourg n’est pas le seul pays à s’être doté d’un mécanisme d’adaptation automatique, mais dans sa forme il est unique en Europe. Introduit en 1921 pour les fonctionnaires de l’Etat et des chemins de fer, il a été progressivement élargi pour finalement être généralisé par la loi du 27 mai 1975 portant généralisation de l’échelle mobile des salaires et traitements. Si l’index a été modifié plusieurs fois au cours de son histoire, sa généralisation a été introduite à un moment de crise: l’inflation cumulée pour l’année 1975 s’était élevée à 10,12%. En comparaison, celle de l’année 2021 s’additionnait à 3,46%.

Certes, la structure économique du Luxembourg a évolué, le secteur tertiaire étant devenu prépondérant. Or, le secteur financier, par exemple, est moins exposé aux fluctuations des prix d’achat des matières premières sur le marché international. De plus, le risque d’une spirale inflationniste déclenchée par l’augmentation automatique des salaires a déjà été contestée dans les années 1970. Lors des débats parlementaires du 21 mai 1975, le syndicaliste et député socialiste René Hengel, rapporteur du projet de loi sur la généralisation de l’index, a cité plusieurs rapports et avis – du Conseil économique et social, du Conseil d’Etat et même de la Commission des Communautés européennes – selon lesquels l’indexation des salaires à elle seule ne peut pas déclencher ou renforcer l’inflation. Une comparaison des taux d’inflation entre les pays de l’OCDE ne permettait pas non plus d’identifier un lien de causalité. Pour les responsables politiques à l’époque, l’index devait garantir la paix sociale.

L’existence d’une crise, voire de crises multiples, ne constitue pas un argument contre l’indexation automatique. De plus, la flambée des prix d’énergie aujourd’hui ne s’est pas manifestée du jour au lendemain. La crise sanitaire nous accompagne déjà depuis deux ans, sans parler de la crise climatique. Gouverner, n’est-ce pas prévoir? Justement à une époque de forte inflation, le maintien du pouvoir d’achat s’avère essentiel, surtout pour les moins fortunés de notre société. En effet, ceux-ci se retrouvent restreints dans leurs moyens pour compenser leur perte du pouvoir d’achat. Leur patrimoine étant limité, ils ne peuvent pas l’accroître assez rapidement pour neutraliser l’inflation, certainement pas par l’épargne. L’index profite même indirectement aux entreprises par le maintien du même niveau de consommation, mais ses effets ne se laissent pas facilement exprimer en chiffres attrayants pour les actionnaires.

Des critiques à côté de la plaque

Du côté des syndicats, la généralisation de l’index permet en théorie d’investir plus de ressources dans la lutte pour une augmentation réelle du pouvoir d’achat. Du côté des entreprises, la loi leur permet de se libérer d’une charge et évite une insatisfaction croissante au sein du personnel. Notons que l’index n’est ni un „cadeau“, ni une mesure sociale. La conservation de la tranche d’avril 2022 mise en avant par le gouvernement et les partis de la coalition n’est que le maintien du mécanisme tel que prévu par la loi. Ce n’est pas un exploit!

Or, la tripartite en mars a remis en cause la logique de paix sociale en inscrivant la modulation de l’index à l’ordre du jour. Si l’OGBL n’est pas satisfait du résultat, il est d’autant plus surprenant que les autres syndicats aient accepté une manipulation de l’index pour 2022 et pour 2023. La relation des pouvoirs pourrait certes jouer un rôle, en raison d’une diminution du taux de syndicalisation et, par conséquent, d’une réduction du pouvoir de négociation des syndicats. De plus, depuis les années 1980, les gouvernements occidentaux préfèrent démanteler leur pouvoir d’action et de régulation par peur de freiner l’activité des entreprises.

La critique des détracteurs de l’index que les plus grands salaires profitent le plus d’une augmentation est à côté de la plaque. Puisqu’il ne s’agit pas d’une mesure sociale, on ne peut pas escompter que l’index puisse résoudre les inégalités sociales ou les écarts salariaux. Il permet, cependant, de mitiger le risque des plus démunis glissant davantage dans la pauvreté. La réduction des inégalités repose sur d’autres leviers, comme une politique de redistribution et une politique fiscale appropriée. La réforme fiscale de 2016 (entrée en vigueur en 2017) aurait déjà dû accroître la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages. Le gouvernement a fait le choix de réduire le taux d’imposition sur les revenus des collectivités (IRC) de 21% à 18% en 2018. Selon la Chambre des salariés, les avantages fiscaux et la baisse des impôts pour les entreprises depuis 2002 ont permis de compenser les surcoûts salariaux, voire de les largement dépasser.[1] La réforme ne paraît pas non plus avoir réduit les inégalités, au contraire: celles-ci se sont creusées davantage entre 2016 et 2019 (derniers chiffres disponibles) tout en dépassant le niveau des inégalités moyen dans l’UE.[2] Le gouvernement n’a pas proposé de stratégie pour y remédier.

Le crédit d’impôt énergie est un compromis problématique

Il est difficile de croire dans le scénario d’une vague massive de licenciements uniquement en raison de l’index. Jusqu’à ce jour, un lien direct entre index et licenciements ou faillites n’a pas été prouvé. Un crédit d’impôt énergie est prévu dès août 2022 pour compenser la perte du pouvoir d’achat calculé par le Statec à cause du report de l’index à avril 2023. Dans ce contexte, on a entendu parler de „sélectivité“. A part de l’aspect assez „plat“ de cette sélectivité (84 euros pour les revenus mensuels bruts jusqu’à 3.500 euros, 83 euros pour un salaire de 4 000 euros), le discours de (sur)compensation doit être considéré avec scepticisme. En effet, le crédit d’impôt est limité dans le temps et disparaît au moment où l’index reporté tombe en avril 2023. Ce sera le seul pour l’année 2023, peu importe l’évolution éventuelle de l’indice des prix à la consommation (IPCN). Le crédit d’impôt, financé par l’Etat et donc par les contribuables, risque de perdre son effet (sur)compensatoire. Alors que l’accord tripartite décale toute tranche indiciaire supplémentaire éventuelle en 2023 de 12 mois, il n’exclut même pas la possibilité de nouvelles négociations si une tranche devait être déclenchée en 2023. Qui en tirera profit?

Il est légitime de venir en aide aux entreprises qui éprouvent des difficultés, en les soutenant dans leurs efforts pour réduire la consommation énergétique (prévu dans l’accord tripartite) ou en octroyant des prêts qui sont à rembourser au moment où elles génèrent de nouveau des bénéfices (tout en interdisant le versement de dividendes aux actionnaires lorsqu’elles font des pertes). Or, on ne parle de la sélectivité que du côté des salariés et des ménages, alors que dans les débats sur l’index les responsables politiques ne considèrent pas la sélectivité des entreprises. Toutes les entreprises profitent de la manipulation de l’index, peu importe qu’elles aient dégagé des bénéfices ou non, sans égard pour le montant d’aides reçues dans le passé, sans considération de leur taille ou raison sociale. L’UEL ne représente pas un bloc homogène, mais cela semble passer à l’arrière-plan dans les débats publics. Ceux-ci ont plutôt porté sur l’OGBL et sa revendication de compensations pour des salaires bruts jusqu’à 160.000 euros. Que cette information soit correcte ou non, peu importe. Est-ce qu’on peut reprocher à un syndicat de formuler des revendications maximales pour se créer une marge de négociation?

En Belgique, où existe aussi un mécanisme d’indexation automatique, la hausse des salaires pourrait dépasser 12% avant juillet 2023. Le gouvernement fédéral a déclaré fin mars de maintenir l’indexation automatique pour les salaires du secteur public. S’il est vrai que dans le pays voisin les conventions collectives règlent l’index dans le secteur privé au lieu d’une loi, il s’agit d’un signal tout à fait différent de celui du gouvernement luxembourgeois. Celui-ci agit en outre à l’encontre de son propre programme de coalition. Si de tels programmes résultent de compromis et contiennent des formulations vagues, la conservation de l’adaptation automatique est une promesse concrète que le gouvernement préfère avoir oublié. La manipulation de l’index est plus facile à faire qu’une réforme fiscale. Les temps difficiles favorisent-ils les réponses simples?

[1] https://www.csl.lu/wp-content/uploads/2022/03/econews-6-2022_def.pdf [2] https://www.csl.lu/en/pages-economiques/inegalites-et-pauvrete/

jung.luc.lux@hotmail.com
8. Mai 2022 - 9.34

ad Bux Que les frotaliers qui ont voté Le Pen en France paient. Pour le reste vous avez raison.

Bux /
6. Mai 2022 - 8.06

Le motif derrière la manipulation de l'indice expliqué en bref : 1. comment maintenir la compétitivité de l'économie luxembourgeoise ? en maintenant les salaires bas dans le secteur privé. 2. comment maintenir le pouvoir d'achat ? Par des cadeaux de l'État à ses citoyens. 3. qui paie la facture ? Les frontaliers. La politique est une sale affaire.