L’histoire du temps présentLes pièces manquantes du puzzle historique

L’histoire du temps présent / Les pièces manquantes du puzzle historique
   

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A peine réouvert, le Musée national de la Résistance et des Droits humains propose une exposition temporaire novatrice sur les „Victimes oubliées“ du nazisme au Luxembourg: Noirs, homosexuels, gens du voyage ou personnes handicapées. En retrouvant ces pièces perdues du puzzle historique, l’exposition permet de mieux comprendre l’idéologie nazie et son application au Luxembourg. Elle met aussi en avant le destin d’individus, souvent broyés et dont la mémoire avait été effacée.

Le Musée national de la Résistance – et désormais aussi des Droits humains (MNRDH) – a rouvert ses portes il y a deux semaines, après avoir connu un très sérieux lifting. Le bâtiment monumental sur la place du Brill a été entièrement rénové et modernisé, ses espaces d’exposition ont été agrandis et l’exposition permanente a elle-même été mise à jour, intégrant les résultats obtenus par la recherche historique au cours des deux dernières décennies. La résistance est donc toujours bien présente, l’enrôlement forcé aussi, mais ils sont désormais abordés dans un contexte plus large, englobant des sujets qui, il y a une génération encore, étaient, sinon tus, du moins considérés comme marginaux, en premier lieu la collaboration et la Shoah.

Dans l’exposition temporaire ouverte mercredi dernier, le musée va même encore plus loin. „Victimes oubliées“, comme son nom l’indique, s’intéresse à des groupes d’individus qui, bien que persécutés par le régime nazi pendant l’occupation, n’avaient eu droit à aucune reconnaissance officielle et dont le sort était jusqu’à présent resté largement inconnu.

Plusieurs raisons expliquent cette amnésie, souvent volontaire. Les personnes de peau noire n’étaient qu’une poignée – une vingtaine dans le Luxembourg des années 1940 – et n’étaient de toute manière pas considérées comme des Luxembourgeois; les Témoins de Jéhovah étaient à peine plus nombreux et pas très bien vus dans une société encore profondément catholique; „asociaux“ et prostituées n’étaient pas considérés comme des victimes, alors même qu’ils pouvaient être envoyés en camp de concentration sans le moindre jugement et que beaucoup d’entre eux y moururent.

Amnésie volontaire

Et puis, il y avait aussi, du côté des victimes, la volonté de se faire oublier, par peur d’être stigmatisées. Quel homme aurait admis dans les années 1950, 60 ou même 70 avoir été persécuté pour avoir aimé un autre homme? S’ils voulaient avoir la moindre chance d’être indemnisés pour leurs souffrances, les déportés homosexuels avaient même plutôt intérêt à cacher la véritable raison pour laquelle les autorités nazies les avaient poursuivis.

L’historien Jérôme Courtoy, l’un des concepteurs de l’exposition, a ainsi trouvé l’exemple de Jean Möller, arrêté en 1941 „pour avoir commis des actes obscènes“, c’est-à-dire parce qu’il était homosexuel. Condamné à dix mois de prison en 1942, il fut déporté au camp de concentration de Natzweiler-Struthof une fois sa peine purgée. Le triangle rose qu’il devait porter sur sa tenue de prisonnier indiquait clairement pour quelle raison il était là. Mais après la guerre, il rédigea un mémoire dans lequel il raconta qu’il avait été arrêté en tant que déserteur et passeur.

Luxembourgeois de naissance et noir de peau

Autre histoire complexe mise en lumière dans l’exposition: celle de Jacques Leurs, Luxembourgeois de naissance et noir de peau. Son père avait été administrateur dans la colonie belge du Congo, où il avait rencontré Tchaussi, la mère de Jacques. En 1912, Jacques, encore bébé, fut confié à ses grands-parents, dans le Pfaffenthal. Après avoir passé son certificat d’études, il commença en 1929 une formation de comptable aux Chemins de fer Prince-Henri. En 1938, il épousa Léonie Reinert.

Et puis vinrent l’occupation et l’annexion du Luxembourg au Reich. Pour le Gauleiter Gustav Simon, il était absolument inenvisageable qu’un Noir travaille pour la Reichsbahn et prête serment au Führer. En juin 1941, il ordonna personnellement son renvoi. Les autorités nazies le harcelèrent aussi pour le forcer à divorcer de son épouse „aryenne“, l’obligeant à déménager à plusieurs reprises, menaçant même à un moment de le castrer.

A la libération, Jacques Leurs fut engagé par les Chemins de fer luxembourgeois (CFL) nouvellement créés. Il fit aussi une carrière de syndicaliste et d’homme politique au sein du LSAP, pour lequel il siégea au conseil communal de Luxembourg et présenta sa candidature aux élections législatives de 1968.

Amour interdit

Si Jacques Leurs survécut à la guerre, Egon et Robert-Georg Lehmann eurent moins de chance, comme le montrent dans l’exposition les résultats des recherches de l’historien Daniel Thilman. Les deux garçons étaient nés d’un amour interdit par les lois raciales du Troisième Reich. Aux termes de celles-ci, leur mère Christine était une „Tzigane“ et leur père, Karl Hessel, un „Aryen“. Egon était né en 1939. Par la suite, Christine et Karl furent convoqués par la police criminelle de Duisbourg, la ville où ils vivaient, et sommés de divorcer.

En 1942, Christine tomba de nouveau enceinte. Elle s’installa alors dans le sud du Luxembourg, à Niederkorn, chez la sœur de Karl, dans l’espoir de cacher la naissance de Robert-Georg à la police. Cela ne fonctionna pas. En janvier 1943, elle fut arrêtée et emprisonnée. Six mois plus tard, elle était déportée à Auschwitz. Au même moment, Karl était enrôlé dans la Wehrmacht. Egon et Robert-Georg purent continuer à vivre au Luxembourg dans une sécurité relative pendant un certain temps, puis furent à leur tour arrêtés et déportés à Auschwitz. Christine mourut le 28 mars 1944 dans le dispensaire du camp. Robert Georg fut gazé le 27 juin 1944. Egon disparut lui aussi, sans que l’on sache avec certitude ce qui lui est arrivé. Quant à Karl, il fut tué en combattant pour le pays qui avait assassiné sa femme et ses enfants.

Aktion T4

L’exposition évoque enfin ceux qui furent assassinés derrière les murs rassurants d’institutions censées les soigner. En Allemagne, le régime nazi assassina plus de 70.000 personnes en situation de handicap physique ou mental dans le cadre de l’Aktion T4, dans le but d’améliorer la santé de la „race“ allemande. Le programme fut officiellement arrêté en 1941, lorsque des évêques commencèrent à le dénoncer publiquement. Les patientes et patients des institutions psychiatriques continuèrent toutefois d’être tués, mais de manière plus discrète, par négligence volontaire, surdose de médicaments et surtout par la faim.

S’il y eut des victimes de cette politique au Luxembourg, ce fut plutôt sous cette forme. Les personnes internées à la maison de santé d’Ettelbruck ne furent pas systématiquement assassinées, mais leur taux de mortalité était affolant – ou aurait dû l’être, si la guerre n’avait pas banalisé leur mort. 12% des patientes et patients mouraient chaque année, autant que durant les terribles années de la Première Guerre mondiale où la faim et le typhus, contrairement à la période 1940-1945, avaient fait rage.

Et puis il y eut aussi des victimes luxembourgeoises de l’Aktion T4 en dehors du Luxembourg, comme Jeanne Baustert. Internée pour schizophrénie à Neuss, en 1922, elle fut transférée à l’hôpital psychiatrique de Ratisbonne en 1943. Les personnes en situation de handicap n’étaient plus alors assassinées par gazage, mais par injection ou privation de nourriture. Jeanne mourut de malnutrition à peine quelques semaines après la fin de la guerre, le 8 juin 1945.