Samstag15. November 2025

Demaart De Maart

L’histoire du temps présentLes Italiens dans le Luxembourg des migrations (IV)

L’histoire du temps présent / Les Italiens dans le Luxembourg des migrations (IV)
Extrait de la liste établie par l’occupant nazi recensant les jeunes hommes et femmes italiens ayant opté pour la nationalité luxembourgeoise avant 1940 Source: ANLux, CdZ-A-4340

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Lors d’un séminaire pour la rentrée académique, une ancienne ministre évoqua dans un discours sur les débuts de l’Université du Luxembourg, qui fête cette année son vingtième anniversaire, ses souvenirs de jeunesse.

Comme elle avait en face d’elle une majorité d’étudiant-e-s venus de différents pays et continents, elle souligna que le Luxembourg avait été depuis toujours un pays d’accueil, ouvert aux étrangers. Elle en voulut pour preuve la présence et la vie ensemble de gens de diverses nationalités et cultures dans son quartier et sa rue d’une ville du Bassin minier dans l’après-guerre: luxembourgeoise, allemande, française, italienne, russe …

Elle avait à la fois raison et tort. Elle avait raison dans ce sens que les villes du Bassin minier luxembourgeois et lorrain sont depuis longtemps des espaces qu’on peut étudier par le concept de „convivialité“ avancé par le sociologue et historien anglais Paul Gilroy, des lieux de vie „in which cultures, histories, and structures of feeling, previously separated by enormous distances, could be found in the same place, the same time: school, bus, café, cell, waiting room, or traffic jam“ (After Empire: Melancholia or Convivial Culture?, London, 2004).

Elle avait tort dans ce sens qu’elle suggérait que l’ouverture était l’attitude générale de la population voire des autorités luxembourgeoises à l’égard des étrangers.

Dans son exposé au colloque sur „Ces Italies qui respirent au Luxembourg et dans la Grande Région“ du 30 novembre 2022 à l’Université du Luxembourg, Vincent Artuso présenta une période où l’attitude à l’égard notamment des Italiens était caractérisée par le contraire, du moins de la part des autorités luxembourgeoises comme des autorités d’occupation allemandes, celle des années 1930 aux années 1950. Une attitude résumée par le titre de l’exposé: „Indésirables, mais indispensables“.

Artuso a rappelé d’un côté, comme je l’ai fait lors des premiers volets de cette série sur l’immigration italienne, que la communauté italienne était dans l’entre-deux-guerres une communauté très diverse, regroupant des gens de passage, mais aussi des familles enracinées depuis deux voire trois générations, une majorité d’ouvriers, mais aussi une classe moyenne en gestation, avec ses commerçants, ses entrepreneurs, ses artisans, une communauté imprégnant la „convivialité“ dans la capitale et dans le Bassin minier par ses associations sociales, culturelles et sportives, par ses cafés, par ses fêtes et manifestations …

L’influence de théories raciales

D’un autre côté, les années 1930 virent la percée dans la sphère parlementaire et gouvernementale luxembourgeoise de théories ethnonationalistes influencées par des théories raciales, analysant l’immigration avec un vocabulaire biologique. Ceci ne fut pas seulement l’apanage des nazis en Allemagne après 1933. En France, le thème racial fut lancé par les hygiénistes qui tentent, dans les années 1920, de légitimer leur fonction de médecins salariés en faisant de la question des étrangers, ce „péril social“, leur centre d’intérêt. Au Luxembourg, le langage médico-racial s’est imposé dans les années 1930, comme le montrent en 1936 les observations de la commission spéciale mise en place par Joseph Bech, qui écrit ceci dans son avis sur la loi sur la nationalité luxembourgeoise: „Tout mélange normalement conditionné doit se faire dans des proportions raisonnables; si les substances étrangères sont ajoutées en trop grande quantité, elles ne peuvent plus être assimilées et ce sont elles qui dominent.“

La question des étrangers devient, comme le souligna Vincent Artuso, une question d’„assimilation“, exprimée en unités biologiques, de „corps étrangers“. La politique migratoire d’exclusion qui fait tomber le nombre d’étrangers au Luxembourg de 56.000 (18% de la population) en 1930 à 29.000 en 1947, le nombre d’Italiens de 14.000 à 7.600 est à voir dans ce contexte.

Jetons maintenant un coup d’œil sur la période de l’Occupation: Les occupants nazis vont encore plus loin et poussent la logique raciale jusqu’à l’extrême, à savoir la Shoah. Mais la logique raciale nazie se retrouve également dans leur „Volkstumpolitik“ dans le Luxembourg occupé. D’après les conceptions idéologiques nazies, notamment du Reichsführer SS Heinrich Himmler qui fut en même temps „Reichskommissar zur Festigung deutschen Volkstums“, et du Gauleiter Gustav Simon, non seulement les Luxembourgeois étaient „deutschstämmig“. Mais encore, tout le territoire occupé ne devait être habité à l’avenir que par des „Menschen deutscher Volkszugehörigkeit“ (Volksdeutsche Mittelstelle, septembre 1941): „Das fremde Volkstum ist, sobald die politischen und wirtschaftlichen Verhältnisse dies zulassen, auszuschalten.“

„Fremdes Volkstum“

D’après le „Schlußbericht über die Erhebungen zur Anlegung einer Volkskartei in Luxemburg“ de 1942 (Bundesarchiv Berlin, R59/58), la population du pays se composait de 242.777 Allemands, 7.777 Italiens, 2.378 Belges, 841 Français, 779 Polonais, 1.440 Autres („Sonstige“) et 31.354 „Mischvölkische“. Comme les 7.777 Italiens résidant au pays, mais aussi les jeunes Italien-ne-s devenus Luxembourgeois par option avant-guerre ou encore les „Mischvölkische“, issus de mariages entre Luxembourgeois-es et Italien-ne-s, tous considérés comme „fremdes Volkstum“ à l’image des Belges et des Français, étaient indispensables au niveau économique, leur expulsion vers l’Italie n’était pas prévue pendant la guerre, mais pour l’après-guerre.

Les théories raciales nazies eurent d’autres conséquences encore pour les résidents italiens au Luxembourg. Il y avait avant 1940 près de 600 jeunes hommes et femmes, fils et filles d’immigrés italiens nés au Luxembourg, qui avaient opté à leur majorité pour la nationalité luxembourgeoise. Le Gauleiter fit dresser une liste nominative de tous ces jeunes Italiens („Verzeichnis der italienischen Staatsangehörigen, die während ihrer Minderjährigkeit für die luxemburgische Staatsangehörigkeit optiert haben“, ANLux, CdZ/Chef der Zivilverwaltung-A-4340). Il le fit dans un but précis et à la demande des alliés fascistes italiens, comme le montre ce communiqué du Fascio Abele Tiapago d’Esch-sur-Alzette dans la presse luxembourgeoise d’avril 1941: „Die in Luxemburg geborenen Italiener, welche zwischen 18 und 21 Jahren für die Luxemburger Staatsangehörigkeit optiert haben und also noch minderjährig waren, werden jetzt nach italienischem Recht als Italiener durch Abstammung betrachtet.“ Les nombreuses circulaires du Gauleiter des mois suivants soulignent que ces jeunes gens refusent de se déclarer au consulat italien pour être inscrits.

Beaucoup de jeunes Italiens vivant au Luxembourg et ayant gardé leur nationalité italienne furent en revanche enrôlés dans l’armée italienne – alors que certains d’entre eux ne parlaient même pas italien. Des recherches ultérieures sont nécessaires pour déterminer leur nombre exact.

Ajoutons pour conclure que les recherches que j’ai menées lors de la publication des Mémoires du résistant italien au Luxembourg Luigi Peruzzi („Luigi Peruzzi, Mes Mémoires. Un antifasciste italien déporté au SS-Sonderlager Hinzert raconte“, Editions Le Phare, 2002), en vue de constituer un Mémorial de la Déportation des environ cent antifascistes italien-ne-s, ont révélé un très haut degré de collaboration entre la Légation (Ambassade) d’Italie au Luxembourg et les cadres fascistes d’une part et l’occupant allemand de l’autre pendant la guerre. Ici également, la nationalité joue un rôle important. Ceux qui avaient gardé la nationalité italienne furent extradés vers l’Italie sur la base d’un accord entre Hitler et Mussolini. Ils étaient soit transférés directement du Grand-Duché à la frontière du Brenner et remis aux autorités italiennes, soit internés d’abord pendant quelques semaines ou quelques mois au SS-Sonderlager Hinzert avant d’être extradés. Une fois arrivés en Italie, ils étaient emprisonnés et interrogés dans les préfectures de leur région d’origine. Leur procès était fait par des commissions provinciales. Dans la majorité des cas, ces commissions les condamnaient au „confino“, à l’éloignement et à la détention sur des îles ou des villages de régions déshéritées (Ventotene, Tremiti, Pisticci-Matera) pour une durée d’un à cinq ans.

Ceux parmi les antifascistes italiens qui avaient opté – souvent pour ne pas être expulsés – pour la nationalité luxembourgeoise au cours des années 1930 connurent un sort plus tragique encore. De Hinzert, ils furent déportés dans d’autres camps de l’enfer concentrationnaire allemand. Beaucoup ne survécurent pas: mentionnons Alfred Branchini mort à Dachau, Anildo Briscolini à Mauthausen, Primo Brufatto à Allach, Marcel Cesarini à Auschwitz, Andrea Pasini à Mauthausen. (à suivre)